- LNC | Crée le 09.11.2025 à 09h00 | Mis à jour le 09.11.2025 à 09h00ImprimerLa famille Vautrin le 21 avril 1915. Debout, de gauche à droite: Maurice, Gaston, Philippe et Camille. Assis : Louis, Emile, Jeanne-Marie, Eugène et Octave.Le jeune Sylvestre-Clément Vautrin, orphelin de père, a été, comme son frère Louis, trop vite livré à lui-même. De vol en recel, il finit au bagne! Jusqu'à sa mort en 1912, l'ancien forçat a mené une vie d'honnête travailleur et de bon père de famille. A 72 ans, au moment de la parution de cet article, son petit-fils, Félix Vautrin, " le dernier fils du dernier fils ", continue de consacrer l'essentiel de ses journées aux recherches généalogiques sur sa famille. De ces archives est né un livre, en 2009. Retour sur la vie de Sylvestre-Clément Vautrin dans ce 77e épisode de notre saga consacrée aux familles issues du bagne. Cet article est une archive parue dans Les Nouvelles calédoniennes le samedi 25 juin 2016.
Pour bien comprendre les raisons de la condamnation de mon grand-père, il faut un peu remonter le temps. " Et le temps, Félix Vautrin le prend. Le temps de chercher, d'expliquer, d'écrire puis... de classer. Cinquante-neuf classeurs ornent sa bibliothèque. " Déformation professionnelle, dit-il en riant, une carrière de fonctionnaire d'État, cela laisse des traces ! " Toutes les informations, les milliers de documents, les centaines de lettres, de cartes postales ou de photos sont là, chez lui, rangées et référencées. Il connaît la place de chaque chose, et l'histoire de sa famille sur le bout des doigts.

Félix Vautrin, petit-fils de Sylvestre-Clément, le jeune forçat." Mon arrière-grand-père, fonctionnaire d’État, est mort jeune alors qu'il était en poste en Algérie. Il laisse une veuve et quatre enfants âgés de 6 à 17 ans. Les deux aînés trouvent un travail et fondent une famille, tandis que les deux jeunes, Louis et Clément, sont livrés à eux-mêmes. Insouciants, ils commettent plusieurs délits et séjournent plusieurs fois en prison pour vol. Après quelques récidives, les voilà envoyés en Nouvelle-Calédonie."
Deux frères transportés
" Clément, mon grand-père, est condamné en octobre 1874 par la cour d'assises d'Alger aux travaux forcés à perpétuité pour vol commis avec circonstances aggravantes. Il voyage sur l'Orne et débarque à l'ile Nou le 22 septembre 1875. Il a 19 ans.
Louis, son frère aîné, est condamné en 1876 par la cour d'assises de Constantine à huit ans de travaux forcés et à cinq ans de surveillance. Il se voit aussi infliger un certain nombre de punitions en Nouvelle-Calédonie, sa peine est même augmentée de deux ans en 1878 pour tentative d'évasion. Puis il finit par rentrer dans le rang et être considéré par l'administration pénitentiaire en 1883 comme un transporté "très digne d'intérêt".

Dans les archives, Félix Vautrin na pas retrouvé de photo de son grand-père. En revanche, cette lettre de Sylvestre Clément Vautrin à son fils Maurice a été conservée.Cette année-là, les deux frères se retrouvent mis en concession à Nekou sur des parcelles voisines. En 1886, alors que Louis est libre, la peine à perpétuité de Clément est commuée en une peine de vingt ans et il obtient cinq années de remise de peine. Mon grand-père est considéré par l'administration comme "un très bon concessionnaire, actif et intelligent".
La Nouvelle-Calédonie comme patrie
" En 1887, Clément a 31 ans et épouse à Bourail Jeanne-Marie Rayna, une jeune condamnée tout juste libérée. Cette Marseillaise de 24 ans est arrivée en Nouvelle-Calédonie quelques mois auparavant alors qu'elle purgeait en Métropole une peine de deux ans de prison pour homicide involontaire.

La mobilisation en août 1914. Maurice habillé en blanc, à Voh, où il travaillait sur la mine Lepic.
Assis à gauche en veste sombre, Louis Vautrin. le fils ainé, et à droite, Maurice.Les années passent tranquillement sur la concession. À l'occasion d'un courrier envoyé à l'administration à la suite du décès de sa mère et en vue d'obtenir sa part d'héritage, la demande de Clément est annotée de la mention suivante : "un concessionnaire laborieux, père de trois enfants qu'il élève convenablement'. Le couple donne naissance à huit garçons entre 1888 et 1907." Mon grand-père est déclaré libre en 1901. Malgré la levée d'astreinte à résidence prononcée en 1907 pour Louis, aucun des deux n'a semble-t-il quitté la colonie, ni revu ses frère et sœur restés en Métropole.
En 1911, la famille déménage et s'installe à Nouméa, à la 2e Vallée-du-Tir, dans une maison où j'ai moi aussi habité jusqu'à l'âge de 27 ans. Clément décède un an plus tard. Louis reste célibataire et exerce plusieurs métiers, de gardien de phare à chercheur d'or ! Lorsqu'il revient, après plusieurs mois d'absence, il est logé dans un petit cabanon attenant à la maison. Très proche de ses neveux, il partage avec eux une importante correspondance pendant la Grande Guerre, et malgré son âge avancé, reprend le travail à l'usine des Hauts Fourneaux pour aider la famille de son frère à survivre. Lui aussi meurt dans la maison de la Vallée-du-Tir, en 1927, bien avant Jeanne-Marie qui s'éteint en 1942, à l'âge respectable de 79 ans. "
Six frères dans la guerre
La très nombreuse - et très bien conservée - correspondance de ses oncles pendant la guerre a permis à Félix Vautrin d'écrire un livre, Six frères dans la guerre, retraçant le parcours et la vie des combattants. Les trop jeunes Eugène et Emile (son père) ne sont pas mobilisés, les six autres garçons partent. Louis, Gaston et Camille reviennent. Maurice, Octave et Philippe tombent au combat.

Camille et Maurice en 1918." Louis aime la lecture et l'écriture. Toujours de bonne humeur, il décrit dans ses longues et nombreuses lettres la vie quotidienne et l'environnement dans lequel il se trouve.

À gauche, Gaston Vautrin.Gaston, lui, ne sort jamais et reste à l'écart des autres soldats. A leur retour, les deux frères, décorés, retrouvent leur métier aux Hauts Fourneaux.

Camille, victime de fièvre, est le seul à ne pas être blessé durant la Grande Guerre.Maurice est calme et brave. Il semble dans ses courriers prévoir les événements. Dans quelques-unes de ses lettres, je retrouvais des signatures telles que A. Creil ou M. Clairois ; pendant longtemps je me suis demandé : "mais qui est ce A. Creil ?" Puis j'ai trouvé ! Il était interdit de livrer des renseignements à sa famille sous peine de punitions.

En 1934, la rue des Fonctionnaires de la Vallée-du-Tir est rebaptisée rue des Frères-Vautrin.Avec ces signatures, Maurice indiquait discrètement aux siens où il se trouvait ! Il décède d'un éclat d'obus près de Soissons en 1918. Philippe est le poète de la famille. D'après ses courriers, il s'intéresse beaucoup à la géographie. Il est porté disparu en 1916 à Barleux. Un jugement de 1921 le déclare mort pour la France. Nous ne retrouverons sa trace que quatre-vingt-dix ans plus tard.
Camille est revenu indemne. Reste le jeune Octave, le plus téméraire. Il n'a que 20 ans lorsqu'il est mobilisé. Il veut être parmi les meilleurs et rejoint le RICM qui est à l'époque, selon ses dires, "le régiment de choc le plus prestigieux de France". Il meurt à la tête de ses hommes en 1918.
Entre le bagne et le sang versé à la guerre, les deux premières générations en Nouvelle-Calédonie n'ont pas été épargnées par les souffrances. Ma grand-mère et mes oncles ont fait face seuls car aucun lien n'a été conservé avec les membres de la famille vivant en Métropole. Chez nous, personne n'ignorait que l'ancien était bagnard, mais nous n'en parlions pas. Le destin de ses fils parle pour nous. "
Jeanne-Marie, une femme condamnée

Jeanne Marie, une femme condamnée.Entre 1872 et 1887, 415 célibataires et 32 veuves arrivent en Calédonie. Jeanne-Marie Rayna, condamnée à deux ans de prison pour homicide involontaire en 1885, arrive à l'ile Nou par le Ville de Saint-Nazaire en janvier 1887 à sa demande. À bord du même navire voyage le docteur Gervais Roux, médecin de première classe et commissaire du gouvernement. " Le nombre de femmes condamnées ayant été réduit à 21 y compris 5 enfants, on a pu supprimer 10 couchettes et mettre à leur place trois tables sur lesquelles les femmes travaillaient et prenaient leurs repas. Ce logement a toujours été tenu dans un état de propreté irréprochable grâce à la surveillance de Madame la Supérieure, la sœur Bénédicte... "
" Les femmes prenaient l'air, d'abord de 2 heures à 4 heures de l'après-midi, sur l'arrière du château à tribord, devant la porte de ma chambre ; puis quand le temps le permettait, de 6 heures et demie du matin à 7 heures et demie sur le gaillard d'avant. "
" Les femmes condamnées n'ont eu que des maladies peu sérieuses ; l'air de la mer a même amélioré la santé de quelques-unes qui étaient fort anémiées à leur arrivée à bord. "
(Rapport manuscrit du 24 janvier 1887, conservé aux Archives d'outre mer, carton H 186l, aimablement communiqué par Louis-José Barbançon )
Le retour du Poilu disparu

Le retour du Poilu disparu.Des six frères engagés sur le front, Gaston et Louis, blessés, puis Camille sont rentrés vivants au pays. Octave et Maurice ont été tués au front et leurs dépouilles, revenues en 1922, sont inhumées au carré militaire du 4° Km. Restait Philippe. Alors qu'il est affecté au 5° régiment d'infanterie coloniale, sa compagnie est engagée fin août 1916 à Barleux. De nombreux Calédoniens y laissent leur vie, Philippe est porté disparu.
Sa famille l'attend, en vain. Un jugement en 1921 le déclare mort pour la France, certes, mais où est Philippe ? Quatre-vingt-dix ans plus tard, Félix Vautrin reprend les recherches et finit par découvrir grâce au Souvenir français que son oncle a bien été tué le 4 septembre 1916. Son corps reposait depuis dans la nécropole de Dompierre-Becquincourt aux côtés de milliers d'autres poilus. Soutenue par les associations d'anciens combattants, la famille Vautrin a pu, en 2008, faire rapatrier le corps du fils manquant. Philippe repose désormais au côté de ses frères.
Note
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé.
Cet article est paru dans le journal du samedi samedi 25 juin 2016.
Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.
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