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    Nouvelle Calédonie
  • Propos recueillis par Baptiste Gouret | Crée le 01.05.2024 à 10h00 | Mis à jour le 01.05.2024 à 10h00
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    Luc Tournabien a vécu les Évènements de l’intérieur en tant que militant indépendantiste, après avoir rejoint les rangs du FLNKS au début des années 1980. Photo Baptiste Gouret
    Arrivé en 1981 à Thio à l’occasion d’un tour du monde, Luc Tournabien s’embarque finalement dans le combat indépendantiste aux côtés du FLNKS lorsqu’éclate la guerre civile. Quarante ans après le début des Évènements, l’écrivain et ancien professeur a profité de la "fin d’un cycle" pour témoigner de cette période de lutte active à travers un livre en forme de récit. Un ouvrage qui doit aussi permettre de questionner l’avenir incertain du Caillou.

    Vous publiez aujourd’hui un récit intitulé 40 ans d’émancipation… pour mieux recoloniser ? Qu’est-ce qui vous a poussé à publier ce témoignage des luttes indépendantistes ?

    On arrivait, selon moi, à la fin d’un cycle né par l’étincelle allumée en 1984. Ces quarante ans représentent la fin d’un phénomène assez brûlant au départ dont les ondes de choc ont atteint Matignon. Pour moi, c’était quelque chose de bouclé, et on allait forcément se diriger vers quelque chose de nouveau : une indépendance-association ou bien, et j’ai peur que ce soit le chemin qu’on est en train d’emprunter, la bagarre entre deux camps.

    Dans ce livre, vous racontez votre arrivée sur le Caillou en 1981 puis votre engagement aux côtés du FLNKS, à Thio, retraçant toute la période des Évènements et des accords. C’était important pour vous de faire connaître ce combat indépendantiste à travers vos yeux ?

    À l’origine, je ne voulais pas raconter mon histoire. L’ambition était plutôt de raconter les faits à travers ma vie, car ils acquièrent une crédibilité en étant écrit par celui qui les a vécus. Je me souviens d’un libraire qui m’avait dit : " Je suis fatigué Luc de voir des gens passer deux mois en Calédonie avec une licence d’histoire et écrire un bouquin sur les solutions à appliquer en Nouvelle-Calédonie". Moi, j’étais immergé dans le FLNKS en tant que militant actif, voire très actif, dès l’origine.

    "On m’a qualifié de communiste quand j’ai rejoint le FLNKS"

    Vous racontez également qu’au départ, en 1981, quand vous arrivez en Nouvelle-Calédonie, le globe-trotter de 28 ans que vous êtes s’imagine séjourner simplement quelques mois en Nouvelle-Calédonie. Qu’est-ce qui vous a fait rester et plonger dans une cause militante qui, a priori, vous était étrangère ?

    C’est une question que je me pose encore parfois, plus de 40 ans après. Quand j’arrive en 1981, je suis tout neuf, sans préjugé. Je ne savais quasiment pas que les Kanak existaient. J’entends des gens tenir des propos très racistes envers eux. Et il faut dire que je suis, déjà à ce moment-là, allergique à toute forme d’injustice. Déjà en France, lorsque je suivais mes études de diététique, j’avais manifesté contre l’apartheid en Afrique du Sud. Quand j’arrive à Thio, je deviens enseignant dans un collège où il n’y a que des Kanak tandis que l’autre établissement sur la colline d’en face n’accueillait que des blancs. Tout de suite, ça m’interroge.

    L’injustice vous a-t-elle vraiment sauté aux yeux en Nouvelle-Calédonie ?

    Complètement. Dans les plaines à Thio, près de la mer, c’était uniquement des Caldoches. Dans les montagnes, j’allais voir les Kanak pour leur demander pour quelles raisons ils préféraient s’installer en hauteur, près des creeks. Ils me répondaient qu’ils s’étaient fait chasser de leurs anciennes terres et ne pouvaient plus les traverser. Pour moi, c’était inenvisageable. À l’époque, on m’a qualifié de communiste quand j’ai intégré le FLNKS, mais ce n’était pas du tout le cas. J’étais attaché à des valeurs humanistes, de fraternité entre les peuples et de non-violence, et là ça prenait une telle tournure… Et puis, j’entendais Jacques Lafleur à l’époque dire à tout le monde qu’une poignée de Kanak manipulait la population, alors que, quand j’allais en tribu, je voyais bien que tout le monde était en phase avec le combat indépendantiste.

    Au moment où éclate la guerre civile, en 1984, vous êtes à Thio, haut lieu de la lutte kanak. Comment vivez-vous cette période ?

    Rapidement, on me demande de rejoindre le comité de lutte. Au début, je ne voulais pas, j’ai décliné la proposition. Puis j’ai fini par accepter, mais c’était compliqué. Il y avait beaucoup de techniques d’intimidation et des faits de violence auxquels je ne souhaitais pas prendre part.

    Vous finissez pourtant par être condamné en 1987 à 15 mois de prison, dont 12 avec sursis, pour une confrontation et des violences entre Loyalistes et indépendantistes à Thio.

    En tant que Français, j’avais confiance en la justice. J’ai vite compris mon erreur. Ils ont décidé que, en tant que secrétaire général de la mairie et membre du FLNKS présent sur place au moment des faits, c’était forcément moi qui guidais tout le monde. C’était évidemment faux, j’étais loin d’être écouté par les Kanak de Thio.

    "Les balles m’ont frôlé"

    Justement, ce statut de Métropolitain intégré à la lutte a-t-il déjà posé un problème ?

    Dans le camp non-indépendantiste, c’était très virulent. Lors de l’épisode de violences pour lequel j’ai été condamné, on m’a tiré dessus sur le pont de Thio, en criant : "C’est Tournabien, enculé de Zoreille, tuez-le !" Les balles m’ont frôlé. On considérait que j’étais en grande partie responsable de la révolte des Kanak, que je les manipulais, comme s’ils ne pouvaient pas réfléchir par eux-mêmes…

    Vous qualifiez, à votre arrivée, la Nouvelle-Calédonie de " paradis tendu ". Est-ce que vous emploieriez la même formule aujourd’hui ?

    Oui, je dirais que c’est toujours un paradis à mèche courte, au bord de l’explosion.

    Pour certains observateurs, le contexte actuel ressemble en effet fortement à celui qui précédait les Évènements. Vous qui avez assisté à cette montée des tensions il y a quarante ans, est-ce un constat que vous partagez ?

    Oui, le contexte est très proche. Pour moi, on est à la veille de 1984, à la différence qu’aujourd’hui, les Kanak sont beaucoup plus formés. À l’époque, il n’y avait quasiment aucun bachelier kanak. Aujourd’hui, une partie d’entre eux sont diplômés, en licence ou même en doctorat. Donc je dirais que c’est un paradis en formation, prêt à éclore. Il y a tous les ingrédients.

    "La France a réellement intérêt à accorder cette indépendance"

    Pour vous, seule une indépendance-association est envisageable pour assurer un avenir serein à la Nouvelle-Calédonie ?

    Oui, c’est selon moi la seule perspective. Aujourd’hui, c’est une solution dont on peut parler même dans les rangs indépendantistes, ce qui n’était pas le cas auparavant. Donc ces 40 années ont permis d’arriver à cette réflexion, inimaginable il y a encore 20 ans. Je pense, en plus, que la France a réellement intérêt à accorder cette indépendance tout en gardant de bonnes relations avec les Calédoniens.

    Dans le livre, vous mentionnez régulièrement une France "aux antipodes", tant sur le plan géographique que sur les enjeux. Aujourd’hui, c’est elle, à travers l’Assemblée nationale et le Sénat, qui doit statuer sur la réforme constitutionnelle. Qu’en pensez-vous ?

    Je pense que, de toute façon, cette réforme a peu de chance de passer. Du moins je l’espère, car si elle est votée, ça risque de flamber un peu partout dans le pays. Notamment parce qu’aujourd’hui, il y a beaucoup plus de jeunes qui veulent se mobiliser face à des vieux qui ne seront pas capables de contenir leur colère. Il y a déjà toute une base critique du FLNKS qui considère que le mouvement est trop timoré dans son combat. J’ai quand même l’espoir que, si ça s’envenime, ça se limite à des blocages de l’économie et des axes. J’ai le sentiment qu’il y a eu, de toute façon, un rapprochement ces quarante dernières années entre Caldoches et Kanak qui rend les violences moins probables.

    Note

    40 ans d’émancipation… pour mieux recoloniser ?, de Luc Tournabien, 272 pages, 1 950 CFP.

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