- Anne-Claire Pophillat | Crée le 07.05.2025 à 08h59 | Mis à jour le 12.05.2025 à 10h24ImprimerÉlise Desmazures, directrice de l’Isee, Fabrice Dufresne, directeur de l’IEOM, et Thomas de Gubernatis, directeur de l’AFD, ont présenté la situation économique de la Nouvelle-Calédonie en 2024 lors d’une conférence de presse mardi 6 ma, actant une baisse Photo A.-C.P.Le Cerom, qui regroupe l’Isee, Institution de la statistique et des études économiques, l’IEOM, Institution d’émission d’Outre-mer et l’AFD, Agence française de développement, s'est penché sur la situation économique de la Nouvelle-Calédonie en 2024. Si le résultat mérite d’être consolidé, la forte diminution de l’activité en raison des émeutes a fait chuter le produit intérieur brut (PIB), entraînant "un retour à presque 10 ans en arrière en termes de performance économique", ont-ils annoncé lors d’une conférence de presse, mardi 6 mai.
Si le Cerom* présente les comptes économiques rapides de la Nouvelle-Calédonie chaque année, l’exercice n’avait pas la même portée mardi 6 mai, lors de la conférence de presse organisée pour l’occasion, puisque depuis les émeutes, "la situation économique s’est largement détériorée", introduit Élise Desmazures, directrice de l’Isee.
Avec les chiffres et éléments disponibles, le Cerom livre ainsi une première estimation de la croissance pour 2024. Il en résulte une diminution du PIB comprise entre moins 10 % et moins 15 %. "Si on est à moins 10 %, cela veut dire qu’on retrouve le PIB de 2017. Si on est à moins 15 %, cela signifie qu’on est retourné à celui de 2013, analyse Élise Desmazures, soit un retour à presque 10 ans en arrière en termes de performance économique." Le point sur les éléments qui expliquent cette situation.
Le PIB est fortement en retrait en 2024. Infographie Cerom"Une crise d’une énorme ampleur"
Début 2024, la situation est déjà compliquée, notamment pour les trois usines métallurgiques. KNS en particulier. Koniambo nickel est mise en sommeil et va finalement cesser son activité faute de repreneur fin août. Un "fait très marquant pour les Calédoniens et pour l’économie", pointe la directrice de l’Isee. Puis, surviennent les émeutes du 13 mai. "500 entreprises" sont détruites, de nombreuses sociétés, établissements publics, habitations, véhicules sont lourdement dégradés, et l’activité économique et les déplacements quasiment à l’arrêt pendant plusieurs semaines. "Une crise d’une énorme ampleur."
Le climat des affaires a atteint un niveau historiquement bas. Infographie CeromLa confiance des entreprises au plus bas
Conséquence, l’indice du climat des affaires (ICA) s’effondre fin juin 2024, pour s’établir à 66,4 (100 étant la valeur en dessous de laquelle le moral des entrepreneurs est plutôt défavorable). Il s’agit de "la valeur la plus faible jamais enregistrée depuis que nous réalisons ce type d’enquête en Nouvelle-Calédonie, en 1999, mais aussi la plus faible de l’ensemble des Outre-mer", indique Fabrice Dufresne, directeur de l’IEOM. L’ICA est très faiblement remonté en décembre à 77,9, un chiffre qui reste "légèrement en dessous du niveau atteint lors du Covid", signe "d’une reprise extrêmement timide". 54 % des entreprises estiment encore, fin 2024, qu’il leur faudrait au moins un an pour revenir à un niveau d’activité pré-crise. Et 42 % déclarent craindre une défaillance au cours des 12 prochains mois.
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Effondrement de l’emploi dans le secteur privé
Après une année 2023 record en termes de nombre de salariés dans le secteur privé, l’emploi plonge après les émeutes, passant de plus de 66 000 salariés fin 2023 sous la barre des 56 000 un an plus tard. Un emploi sur 6 est détruit, soit 11 000. Les patentés sont également fortement touchés. À peu près 1 500 entrepreneurs individuels cessent leur activité. Si le secteur public est moins affecté, 1 000 emplois environ sont tout de même perdus. La mise en place de dispositifs spécifiques, chômages total et partiel exactions, a joué un rôle d’amortisseur, mais ils arrivent bientôt à terme, le dernier prenant fin le 30 juin.
L’emploi salarié du secteur privé s’est effondré. 11 000 ont été détruits. Infographie CeromUne consommation ralentie et des ménages vulnérables
"La consommation baisse, mais ne s’effondre pas", selon le Cerom. S’appuyant sur les retraits et paiements par carte bancaire qui, après une forte chute à la suite des émeutes (62 %), remontent, Fabrice Dufresne développe : "On a à peu près 8 % en moins de paiements par carte bancaire par rapport à 2023, et lorsqu’on compare les deux premiers mois de 2025 par rapport à ceux de l’année dernière, on est à -12,5 %." Autre indicateur de la consommation des ménages : l’octroi des crédits à la consommation, qui a connu "une chute de près de 40 % en 2024", avant un rebond sur le dernier trimestre de l’année.
Si la consommation a chuté après les émeutes, elle est repartie, mais sans retrouver le niveau de 2023. Infographie CeromEn revanche, "la vulnérabilité des ménages s’est fortement aggravée", remarque le directeur de l’IEOM, qui recense une "hausse très sensible" du nombre de crédits pas remboursés, les fameux "incidents de paiement". Le nombre de dossiers de surendettement progresse également de manière "assez notable". 91 dossiers ont déjà été déposés cette année, quand l’IEOM en a traité un peu plus de 100 en 2024. "C’est un indicateur de fragilité qu’il faut ne pas négliger."
Immobilier : les transactions se contractent de deux tiers sur l’année
L’investissement peine à se relever. Les crédits d’investissement des entreprises sont en fort recul, et l’octroi des crédits à l’habitat quasiment à l’arrêt. Même si le déclin du marché immobilier s’est fait sentir dès fin 2022, il a atteint, en 2024, le niveau le plus bas jamais enregistré (-80 % d'octroi de crédits en moins par rapport à 2023). Les transactions, elles, se sont contractées de 2/3 sur l’année, avec une baisse record de -90 % au 3e trimestre. Et les premiers chiffres sur 2025 "ne sont pas bons", précise élise Desmazures, avec -80 % de transactions immobilières.
Déjà en crise, le marché de l’immobilier est quasiment atone en 2024. Infographie CeromLe taux de créances douteuses – les crédits qui font l’objet d’un défaut ou d’un impayé, à la fois de particuliers ou d’entreprises -, qui avait déjà augmenté au moment du Covid, a connu une forte accélération depuis mai 2024, atteignant presque 8 %, "le taux le plus élevé dans les Outre-mer". Malgré tout, précise Fabrice Dufresne, "il reste relativement contenu au vu de l’ampleur de la crise".
Enfin, concernant les échanges extérieurs, si les importations ont ralenti, "les exportations, notamment de nickel, ont diminué de manière encore plus marquée", relate la directrice de l’Isee, à la fois en volume et en valeur.
"La crise est encore devant nous"
La conclusion tirée par le Cerom n’est guère favorable. "Les moteurs traditionnels que sont la consommation, l’investissement et l’exportation sont quasiment à l’arrêt", souligne Élise Desmazures. Et les mesures de soutien qui permettent de limiter l’effondrement, comme le chômage exaction, ne vont pas durer. "On pense malheureusement que la crise est encore devant nous." Avec, en toile de fond, "la crise des finances publiques que la Nouvelle-Calédonie traverse déjà depuis plusieurs années". En parallèle, mentionne la directrice de l’Isee, l’endettement des collectivités croit. Cela pourra-t-il avoir des conséquences plus tard, avec des "problèmes de financement"? Le message des partenaires du Cerom est clair : la situation n’évoluera pas sans perspectives, avec le "risque de s’enfoncer, de rentrer dans un cercle vicieux". "On n’arrivera pas à développer l’économie, ni à rendre le territoire attractif, tant qu’il n’y aura pas de visibilité. C’est l’enjeu des négociations qui ont lieu en ce moment pour trouver consensus qui permette un rebond de l’économie."
Un "choc" pour les finances des collectivités
L’Agence française de développement soutient l’ensemble des collectivités locales, à tel point qu’elle porte 80 % de leur dette. À ce titre, elle assure un suivi régulier de l’état de leurs finances. Si, en 2023, les indicateurs des communes étaient plutôt au vert, avec une "tendance favorable", estime Thomas de Gubernatis, directeur de l’AFD, la situation s’est renversée en 2024, avec les émeutes, et ce pour l’ensemble des collectivités. "Il y a eu un énorme choc des finances publiques."
Sans fiscalité propre, avec une assiette de répartition qui a fondu (passant de 114 milliards en 2023 à 81 milliards en 2024) et une forte baisse du fonds intercommunal de péréquation, les collectivités n’ont eu d’autre choix que de limiter au maximum leurs dépenses, explique Thomas de Gubernatis. "Elles ont commencé par réduire un certain nombre d’actions sociales, de services publics, puis elles n’ont plus renouvelé des contrats, n’ont pas remplacé des départs à la retraite, voire ont diminué le temps de travail des agents. Elles sont arrivées vraiment à la corde." L’AFD a également reçu des demandes de moratoire concernant le remboursement d'emprunts. "Près d’un quart de nos clients en a obtenu sur 2024 et même sur 2025." Une situation qui interroge sur leur capacité à maintenir la commande publique cette année et au-delà.
Note
Le Cerom (Comptes économiques rapides pour l’Outre-mer) est un partenariat entre les instituts de la statistique des Outre-mer (Isee en Nouvelle-Calédonie), les Instituts d’émission d’Outre-Mer (IEOM) et l’Agence française de développement (AFD). Il vise la mise en commun de leurs moyens afin de procéder à des analyses macroéconomiques et des estimations de produit intérieur brut (PIB).
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