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    Nouvelle Calédonie
  • Philippe Frédière | Crée le 16.08.2018 à 05h46 | Mis à jour le 16.08.2018 à 06h08
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    Ce tableau résume la répartition des fonctions juridictionnelles en Calédonie, avec des voies de recours se terminant à Paris.
    Les magistrats sont pratiquement tous Métropolitains. Mais le droit applicable par les tribunaux calédoniens n’a cessé de se différencier au cours des dernières décennies. Quant aux audiences et aux formations de jugement, elles aussi connaissent des adaptations. A deux mois et demi du référendum se pose la question : faut-il aller plus loin ?

    La justice en Nouvelle-Calédonie est une compétence régalienne par excellence. C’est l’Etat qui dit le droit. Mais d’une façon très différenciée de la Métropole tant et si bien que par bien des aspects, la justice en Calédonie est déjà en partie calédonienne. Et elle présente plusieurs paradoxes.

    D’un côté, les juridictions calédoniennes sont animées presque exclusivement par des Métropolitains. Les magistrats de l’ordre judiciaire (tribunal de première instance et cour d’appel), leurs homologues de l’ordre administratif, tout comme ceux de la chambre territoriale des comptes, viennent presque tous de l’extérieur. Ils ne sont pas Calédoniens et pas Kanak. D’un autre côté, le droit et les lois qu’ils font appliquer sont de plus en plus spécifiques au territoire et s’éloignent toujours un peu plus de ceux de Métropole. Les différences ne s’arrêtent pas là. Au tribunal de première instance, l’organisation des audiences, la composition des juridictions, et même la procédure sont souvent distinctes de la pratique métropolitaine. Du coup, plus que la Défense, plus que l’ordre public, la justice est peutêtre la compétence de l’Etat la plus teintée de connotations locales, même si elle est rendue par des personnes venues de l’extérieur. A l’exception notable des personnels de greffe majoritairement calédoniens et de toutes ethnies. Alors, faut-il la transférer pour de bon comme le souhaite le FLNKS ? La « calédoniser » encore plus comme le souhaite Calédonie ensemble ?

    Le poids des assesseurs citoyens

    LE DROIT DIFFÉRENT

    Le droit civil a été transféré à la Calédonie depuis quelques années. Et bien sûr il se démarque : le droit des contrats n’a pas suivi les évolutions métropolitaines. Quant au droit du divorce, il fait depuis longtemps le distinguo entre les personnes de droit commun et celles de statut coutumier. Le droit commercial a lui aussi été transféré, tout comme le droit du travail, sans parler du code de la route, des codes de l’environnement… C’est clair, les magistrats qui entrent en fonction ou les avocats qui posent leur plaque professionnelle doivent en passer par une phase d’adaptation. L’organisation judiciaire est aussi très différente de celle de Métropole. Le tribunal mixte de commerce et le tribunal du travail sont des particularités. Leurs équivalents métropolitains, les tribunaux de commerce et des conseils de prud’homme sont composés exclusivement de juges non professionnels et élus. Ici, c’est toujours un magistrat qui préside.

    Au tribunal correctionnel de Nouméa, les assesseurs citoyens jouent un rôle beaucoup plus décisif que ce que pourrait laisser croire leur silence pendant les audiences. Dans le huis clos des délibérés, ils apportent cette lecture et cette échelle de valeurs calédoniennes et kanak que n’ont pas forcément les magistrats professionnels. A Koné et à Lifou, ces assesseurs sont presque toujours des coutumiers. Ces formations de jugement sont donc composées de cinq personnes : trois magistrats, deux assesseurs citoyens. Autant dire qu’il suffit à ces deux juges non professionnels de rallier un des trois magistrats magistrat à leur point de vue pour emporter la décision à la majorité. C’est une forme de calédonisation très concrète.

    Il en va de même devant la cour d’assises. La présence d’un jury non professionnel, tiré au sort, donne l’assurance que pour les affaires les plus graves, les décisions soient rendues par une formation de jugement où la population est bien présente.

    En revanche, les juridictions plus spécialisées que sont le tribunal administratif et la chambre des comptes font plus largement appel au droit métropolitain. A quelques exceptions près, dont une, majeure : la loi organique issue de l’accord de Nouméa qui est un peu la loi fondamentale du Caillou.


    L’indépendance et l’impartialité dans un petit pays

    Faut-il transférer l’exercice de la justice à la collectivité calédonienne ou à un futur Etat ? C’est évidemment une des demandes du FLNKS. Ce serait de plus une opération beaucoup moins lourde que le transfert de la défense, de l’ordre public, ou que ne l’a été le transfert de l’enseignement secondaire. Après tout, il n’y a qu’une quarantaine de magistrats au palais de justice de Nouméa, quatre au tribunal administratif, et cinq à la chambre des comptes.

    Le seul poste rattaché à la justice qui coûterait vraiment cher, c’est le Camp-Est, et plus généralement l’administration pénitentiaire. Mais transférer pour faire quoi ? Tout déléguer comme le fait Monaco avec la France, et comme le font plusieurs petits Etats de la région avec l’Australie ou la Nouvelle-Zélande ?

    MAGISTRATS CALÉDONIENS ?

    Ce qui est sûr, c’est qu’il reste des pas à faire dans la calédonisation de la justice. C’est la conviction qu’avait exprimée le procureur de la République Alexis Bouroz lors d’un entretien accordé aux Nouvelles calédoniennes le 22janvier dernier, alors même qu’il émettait des réserves quant à la pertinence d’un transfert complet. A terme, l’émergence de magistrats calédoniens semble indispensable pour rapprocher la justice du justiciable. Dans une matière aussi sensible, aussi humaine, l’apparence et la perception de l’impartialité sont aussi importantes que l’impartialité vraie. Il faut ressentir un minimum de proximité avec un juge pour accepter la sanction qu’il prononce. Mais voilà : le concours d’entrée à l’Ecole de la magistrature est difficile, très difficile. Les admis sont peu nombreux. Mais la justice pourrait-elle rester impartiale si elle était rendue exclusivement par des Calédoniens. Dans un pays si faiblement peuplé, les liens sociaux et amicaux prennent vite une place importante. Est-il souhaitable que l’ensemble des magistrats exerçant en Calédonie soient des gens du pays ? Est-il souhaitable qu’un juge exerce longtemps la même fonction au même endroit ? Ne risque-t-il pas de se scléroser ? Et même s’il continue à rendre des décisions toujours impartiales, la perception qu’en auront les justiciables ne sera-t-elle pas biaisée ?

    Problème de mobilité

    RICHESSE

    La loi française prévoit l’inamovibilité de la plupart des magistrats pour garantir leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Ils ont beau être fonctionnaires, impossible de les muter sans leur consentement. Mais dans les faits, c’est la mobilité qui domine. C’est par elle que se font les évolutions de carrière et les évolutions personnelles. Beaucoup la perçoivent comme une richesse. Sauf que la mobilité serait très difficile à mettre en oeuvre dans un territoire qui ne compte guère plus qu’une cinquantaine de magistrats.


    Le projet du FLNKS concernant la justice

    Dans son projet de futur Etat souverain, le FLNKS prévoit un seul ordre juridictionnel, comme dans les pays anglo-saxons, qui regrouperait le judiciaire et le tribunal administratif dans un unique tribunal de première instance.

    Il y aurait un deuxième degré qui serait la cour d’appel, incluant elle aussi le contentieux administratif. Le troisième degré serait une cour suprême assumant les rôles cumulés de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat, du Conseil constitutionnel et de la chambre des comptes.

    Il est prévu d’associer les populations à divers degrés de la justice avec les assesseurs coutumiers, les assesseurs civils, les commerçants et les salariés. C’est déjà largement le cas au tribunal mixte de commerce et au tribunal du travail. Il est prévu d’intégrer davantage les règles coutumières dans la réparation pénale, la prévention de la délinquance et l’application des peines.

    Le FLNKS prévoit d’inscrire les principes d’indépendance et d’impartialité de la justice dans la constitution du futur Etat. Il pose aussi la règle du droit à un procès équitable. D’entrée de jeu est affichée la volonté d’exercer cette compétence en partage et en coopération avec la France ou des pays de la région. Les règles de coopération devant définir les conditions de « mise à disposition d’hommes de loi. » Dans la mesure où les magistrats métropolitains parlent français, et leurs homologues de la région plutôt anglais, on peut imaginer que la France serait le partenaire privilégié pour cette mise à disposition.

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