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    Nouvelle Calédonie
  • Propos recueillis par Philippe Minard/ALP | Crée le 19.05.2024 à 05h30 | Mis à jour le 19.05.2024 à 05h30
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    Patrick Roger, ancien journaliste du Monde, connaît très bien le dossier calédonien. Photo DR
    Patrick Roger, ancien journaliste du Monde, est un fin connaisseur du dossier calédonien. Dans un livre au titre particulièrement d'actualité (1), il décrypte les enjeux du Caillou. Les événements actuels n'ont, selon lui, aucun rapport avec ceux des années 80 et reposent sur l'instrumentalisation d'une jeunesse désœuvrée par certains politiciens indépendantistes. Sous prétexte de refonte du corps électoral.

    Pourquoi avez-vous intitulé votre livre Nouvelle-Calédonie, la Tragédie ?

    Parce que tout a commencé par une histoire tragique et violente, celle de la colonisation, en 1853. On le voit bien sûr particulièrement ces derniers jours, mais je suis extrêmement inquiet de l'incapacité des responsables politiques calédoniens à réfléchir ensemble à un avenir commun, alors que la Calédonie fait face à une crise politique, économique et sociale dramatique. La filière du nickel sur laquelle la Calédonie s'est reposée pendant des décennies est en train de s'effondrer et les trois usines du territoire sont plus que mal en point. 70 000 emplois en dépendent !

    Le texte débattu à l'Assemblée nationale n'est-il qu'un prétexte pour certains afin de déstabiliser les autorités locales et nationales ?

    Je pense que, fondamentalement, même si ce projet de loi est un détonateur, il y a beaucoup de posture derrière les positions adoptées par les uns et les autres. Surtout du côté des indépendantistes, et c'est là qu'est tout le danger. En alimentant une sorte de récit autour de ce texte qui, souvent, repose sur des présupposés qui sont faux. Cette colère se nourrit surtout du désespoir des jeunes vis-à-vis de l'avenir. En ce sens, j'ai presque envie de dire que la mobilisation contre le projet de loi ne fait que détourner l'attention des véritables problèmes.

    Ce texte, prévoyant l'inscription sur les listes électorales pour les élections provinciales des Français résidant depuis au moins 10 ans sur le territoire, a pourtant bien été validé par les partis indépendantistes ?

    Le projet de loi consistant à élargir le droit de vote aux élections provinciales aux résidents d'au moins 10 ans ainsi qu'aux natifs était prévu dès les accords de Matignon (1988) pour pouvoir voter au référendum de 1998. L'accord de Nouméa (1998) précisant les nouveaux statuts du territoire et sa nouvelle organisation politique et institutionnelle prévoyait lui aussi 10 ans de résidence avant de pouvoir voter aux provinciales. C'est Jacques Chirac, en 2007, à la fin de son mandat, qui a gelé le corps électoral, autorisant ainsi le vote des seules personnes résidant en Calédonie avant 1998. Dire aujourd'hui, comme le font les indépendantistes, " 10 ans de résidence c'est trahir l'accord de Nouméa ", c'est factuellement faux ! Dès le début des discussions sur la fin de l'accord de Nouméa, les indépendantistes ont fait savoir que la période de 10 ans leur convenait. Quand le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a demandé à la délégation du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) quelle était sa position sur le corps électoral, sachant que les loyalistes demandaient eux trois ans de résidence et que lui en avait proposé sept, ses représentants ont signé un document précisant " pas moins de dix ans de résidence ".

    Aujourd'hui, j'estime que la situation tient à l'irresponsabilité des principaux responsables politiques calédoniens, de part et d'autre.

    Côté indépendantiste comme côté non-indépendantiste, il n'y a pas un leader capable de ramener le calme, comme ce fut le cas en 1987 avec Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur. C'est le fond du problème ?

    Tout à fait ! A l'époque, on avait deux camps qui sortaient d'une période de quasi-guerre civile, mais deux dirigeants ont su se hisser à la hauteur des enjeux. Jean-Marie Tjibaou l'a payé de sa vie. Aujourd'hui, j'estime que la situation tient à l'irresponsabilité des principaux responsables politiques calédoniens, de part et d'autre. On a deux blocs qui se font face. C'est aussi la conséquence des trois référendums binaires de sortie de l'accord de Nouméa (pour le oui ou pour le non à l'indépendance). Ces deux blocs sont aujourd'hui totalement fissurés et fracturés entre eux. Ils n'arrivent à se mettre d'accord sur rien, de telle sorte que depuis trois ans, on assiste à une succession de portes qui claquent et de chaises vides. C'est totalement invraisemblable ! Personne n'est capable de prendre un peu de hauteur. C'est un microcosme politique. Il se connaissent depuis des décennies et se détestent.

    Il apparaît de plus que les leaders indépendantistes ne maîtrisent pas les jeunes kanak qui conduisent les émeutes actuelles…

    C'est effectivement l'autre aspect de la crise. Après avoir donné son accord pour le troisième et dernier référendum, le FLNKS a finalement appelé ses troupes à une non-participation. On assiste depuis à des surenchères permanentes à tel point que l'une des branches indépendantistes a décidé de ne plus discuter avec l'Etat. Je pense qu'une grave erreur a été de nommer ministre Sonia Backès, alors qu'elle était la présidente loyaliste de l'une des trois provinces. Chez les indépendantistes, cela n'a fait que renforcer l'idée que l'Etat n'était plus impartial. Certains de leurs représentants ont alors mis en place une Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) afin d'agréger toutes les tendances les plus radicales du mouvement indépendantiste. Cette dynamique de mobilisation a pris de plus en plus d'ampleur, avec parfois l'utilisation de monnaie sonnante pour recruter les jeunes désœuvrés et parfois alcoolisés des bidonvilles de Nouméa, et en les " chauffant " à bloc. La CCAT s'est alors autonomisée de plus en plus, à tel point qu'elle n'est plus du tout sous contrôle aujourd'hui. Tout cela se traduit par les émeutes que l'on connaît actuellement. Et la CCAT elle-même ne contrôle plus les jeunes rebelles…Cela rappelle les événements qu'il y a eu l'année dernière en Métropole après la mort du jeune Naël.

    La situation en 2024 n'est pas la même qu'en 1984. Depuis les accords de Matignon et de Nouméa, d'énormes progrès ont été faits.

     Il est donc infondé de comparer les évènements actuels à ceux de 1984 et 1987, qui avaient débouché sur les accords de Matignon, puis de Nouméa ?

    Totalement ! On entend dire en permanence " Cela nous ramène 40 en arrière ". C'est faux. La situation en 2024 n'est pas la même qu'en 1984. Depuis les accords de Matignon et de Nouméa, d'énormes progrès ont été faits, même s'il demeure des inégalités sociales. La société calédonienne a considérablement évolué. On a aujourd'hui près de 15% de mariages mixtes, avec une société qui s'est métissée, la formation de cadres kanak etc. Dans les années 80, l'insurrection venait principalement des tribus et de la Brousse, avec la volonté affichée de récupérer des terres. Depuis, la population de la Calédonie s'est déplacée du nord vers la capitale, car c'est là que se trouve l'emploi. Aujourd'hui, c'est à Nouméa et dans ses environs que se concentrent les émeutes, marquées par les pillages et les incendies.

    Lors des débats à l'Assemblée, on a justement noté un décalage entre les réactions politiques avec la réalité du terrain…

    Ce qui me désole du côté de LFI, des verts mais aussi du PC, c'est l'impression que nous sommes encore dans les années 80. Ils répètent les mêmes schémas comme si rien n'avait changé. C'est totalement irréaliste et irresponsable ! La mise en accusation d'une France coloniale aujourd'hui est caricaturale. Je ne connais pas beaucoup de colonies qui disposent d'une telle autonomie avec des indépendantistes qui dirigent le gouvernement, le Congrès et deux provinces sur trois.

    Note

    Nouvelle Calédonie, la tragédie, (Editions du Cerf) 352 pages, 24 euros

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