fbpx
    Nouvelle Calédonie
  • Propos recueillis par Philippe Minard/ALP | Crée le 27.06.2018 à 05h39 | Mis à jour le 17.10.2018 à 14h10
    Imprimer
    Christian Blanc, à la projection du film documentaire « Rocard, un artisan de la paix » le 12 juin dernier à Paris. Photo DR

    Les Nouvelles calédoniennes : Ancien chef de cabinet de Michel Rocard au PS et ancien secrétaire général de la Nouvelle-Calédonie auprès d’Edgard Pisani, vous êtes devenu incontournable en 1988 ?
    Le premier type qu’a rencontré Rocard en prenant ses fonctions, c’est ma pomme ! J’étais alors préfet de Seine et Marne. Il m’a dit : « Toi qui connais la Calédonie, qu’est-ce qu’il faut faire ? ». J’ai répondu : « Je n’en sais rien… ». Après un silence, j’ai dit : « Peut-être faudrait-il une mission de bonne volonté. » Tout autre aurait répondu « Ça n’a pas de sens ! » L’idée de confier les affaires de l’État à des religieux, c’était impensable ! Mais le génie de Rocard a été de permettre que cela se fasse, même si on a pondéré ça avec la présence de quelques fonctionnaires. Tout cela s’est fait sur la base d’un mot : humain. Nous allions essayer de parler avec des hommes et de voir s’il était possible de dépasser l’échec dans lequel nous nous trouvions. C’est la raison pour laquelle cette mission du dialogue a été constituée avec les représentants de traditions humaines, humanistes, très présentes sur le territoire calédonien.

    À ce moment, le sentiment qui dominait était l’échec de toutes les politiques passées ?
    Oui. Les juristes, les négociateurs, les différents gouvernements, l’État… Jusque-là, tout le monde avait échoué ! Cela explique en grande partie pourquoi les Kanak ne croyaient plus en la parole de la France. Il suffisait d’une élection à Paris, à 20 000 km de là, pour complètement changer la donne et la parole de ceux qui avaient pris un engagement. Nous avions fait beaucoup de tentatives entre ceux qui souhaitaient sincèrement, pour des raisons politiques, la décolonisation et ceux qui s’y opposaient. Les Caldoches étaient finalement ceux qui étaient à la fois les plus irréductibles face aux Kanak, mais également ceux qui les connaissaient le mieux. Ils avaient une forme de proximité. Je ne parle pas des Européens ou des fonctionnaires qui résidaient à Nouméa pour des raisons multiples comme le climat ou le niveau des retraites. Je parle des Calédoniens farouchement attachés à ce que la France reste la France et que les colonies de la France restent françaises.

    Quel était le trait commun des membres de la mission du dialogue ?
    Notre équipe, constituée d’hommes de bonne volonté, est partie je dirais « les mains vides », sans savoir a priori ce qui allait se passer, si ce n’est qu’ils étaient tous ensemble animés d’une volonté d’écouter. Ils savaient écouter et entendre, y compris le silence, ce qui est essentiel en Nouvelle-Calédonie pour échanger avec les Mélanésiens. Nous avons réalisé plus de 1 200 entretiens. Jusqu’à cet instant, il n’y a que les politiques qui s’exprimaient. Le contact a été direct avec les Caldoches dans leur Brousse, les Kanak dans leurs tribus ou les commerçants à Nouméa. Probablement qu’après quelques méfiances, la population s’est dit que, peut-être, « ces gens étaient différents ».

    Que retenez-vous de votre première rencontre avec Jean-Marie Tjibaou ?
    Le premier jour avec Jean-Marie Tjibaou, à Hienghène, a été un peu difficile. À un moment donné, Tjibaou a dit « Nous avons le soutien d’un certain nombre de pays comme l’Australie. » Je l’ai coupé tout de suite : « Tjibaou, l’Australie, vous savez ce qui s’y est passé. Vous voulez finir comme les Aborigènes ? ! » Et comme cet homme avait un humour fabuleux, il a éclaté de rire et nous n’avons plus jamais parlé de l’Australie.

    Quel est le moment clé de la mission selon vous ?
    Sur le fond, après deux jours de suite à Hienghène qui, certes, s’étaient passés de manière agréable, ça n’avançait pas beaucoup. Le troisième et dernier jour prévu, la négociation était même bloquée. J’ai dit à Jean-Marie Tjibaou : « Je ne comprends plus… Est-ce que vous accepteriez de faire un rêve, le rêve de la Calédonie telle que vous l’imaginez ? » Avec humour, il m’a dit « Oui, un peu comme Martin Luther King ? ». J’ai répondu « Si vous voulez oui, c’est ça ». Il a pris son temps et m’a dit « Je vais vous raconter ». Exceptionnellement, j’ai pris des notes et cela a été merveilleux. À un moment, j’ai compris que nous allions arriver à un accord. Ce qui était essentiel pour lui, c’était le respect de l’identité kanak et de cette civilisation vieille de plusieurs millénaires, qui n’avait pas du tout été comprise par les Européens. Il m’a dit « On a essayé maintes fois d’expliquer, mais cela n’a jamais été compris, et c’est la raison pour laquelle nous luttons pour l’indépendance, car elle seule nous permettra cette identité. » Je l’ai écouté avec de plus en plus d’attention, surtout quand il a dit « en fait ce que nous voulons, c’est la souveraineté ». J’ai alors commencé à poser des questions plus précises sur sa notion de la souveraineté. Cela nous a, par exemple, permis ultérieurement de définir les trois provinces. L’idée étant, à terme, de respecter les identités, mais aussi, l’implantation de colonisation qui s’était effectuée au fil du temps et qui était respectable aussi. Le lendemain de ce songe de Tjibaou, j’ai parlé à Jacques Lafleur de la seule condition émise par le leader kanak, à savoir la tenue d’un référendum du peuple français.

    Quel était le climat à Paris, aux premiers jours des rencontres ?
    Nous attendions cet instant depuis longtemps. Nous avions réussi à ce que Jean-Marie Tjibaou soit à Paris et nous attendions Jacques Lafleur qui avait quelques difficultés à nous rejoindre. Il a fallu être insistant. Il est venu. Comme toujours durant cette période de discussions, Tjibaou et Lafleur sont entrés par l’arrière des jardins de Matignon. Je les informe alors que Michel Rocard a une crise de colique néphrétique. Il était dans la petite chambre qui se trouvait à proximité de la salle de travail. Je vais voir Michel Rocard pour l’informer qu’ils sont là tous les deux. Il a la force de caractère de sortir de sa chambre, en souffrant énormément ! Les deux protagonistes voient arriver le Premier ministre en robe de chambre… Et là, on est effectivement au coeur de l’accord de Matignon. Ce qui est au coeur de cette histoire, c’est la dimension humaine.

    Que retenez-vous personnellement de cette mission ?
    Je pense à Montaigne qui dit que tout homme porte en lui d’humaines conditions. C’est-à-dire que chacun porte l’amour, le beau, le bon, mais aussi les instincts les plus vils. L’enjeu de ma vie professionnelle a été de proposer aux hommes d’affirmer ce qu’ils ont de meilleur. Quant à la Calédonie, je crois que la question demeure de savoir si la République française peut, au sein d’un pays qui a encore la chance d’avoir une civilisation océanienne, non seulement le reconnaître, mais aussi lui donner les capacités de se développer

     

    L’année 1988

    22 avril

    Attaque de la brigade de gendarmerie de Fayaoué, Ouvéa, par des indépendantistes. Quatre gendarmes tués.

    5 mai

    Assaut militaire de la grotte de Gossanah où sont retenus des otages. Dix-neuf indépendantistes et deux militaires tués.

    8 mai

    Réélection de François Mitterrand à la présidence de la République française.

    15 mai

    Envoi par le Premier ministre, Michel Rocard, d’une mission du dialogue en Nouvelle-Calédonie.

    26 juin

    Signature de l’accord de Matignon par les délégations du FLNKS et du RPCR ainsi que par l’État, à Paris.

    20 août

    Signature de l’accord d’Oudinot qui complète l’accord de Matignon.

    6 novembre

    Approbation par référendum national des accords Matignon-Oudinot. 57 % de « Oui » en Nouvelle-Calédonie. 80 % en Métropole (abstention record de63 %).

     

    MERCI DE VOUS IDENTIFIER
    X

    Vous devez avoir un compte en ligne sur le site des Nouvelles Calédoniennes pour pouvoir acheter du contenu. Veuillez vous connecter.

    J'AI DÉJA UN COMPTE
    Saisissez votre nom d'utilisateur pour LNC.nc | Les Nouvelles Calédoniennes
    Saisissez le mot de passe correspondant à votre nom d'utilisateur.
    JE N'AI PAS DE COMPTE

    Vous avez besoin d'aide ? Vous souhaitez vous abonner, mais vous n'avez pas de carte bancaire ?
    Prenez contact directement avec le service abonnement au (+687) 27 09 65 ou en envoyant un e-mail au service abonnement.
  • MEDIAS ASSOCIÉS
  • SUR LE MÊME SUJET
  • DANS LA MÊME RUBRIQUE
  • VOS RÉACTIONS