- Propos recueillis par Mathurin Derel | Crée le 21.10.2025 à 17h42 | Mis à jour le 31.10.2025 à 17h02ImprimerJean-Luc Douillard est spécialiste de la prévention du suicide. Il animera une conférence mercredi 22 octobre sur le thème de la prévention du suicide chez les adolescents à l’Université. Photo M.D.Psychologue clinicien et co-auteur du livre À la rencontre des adolescents, Jean-Luc Douillard est l’un des spécialistes français de la prévention du suicide. Fondateur du dispositif Apesa (Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë), il travaille également avec les clubs de rugby professionnels et des dirigeants d’entreprise sur la santé mentale. En Nouvelle-Calédonie pour dix jours, il forme de nouvelles "sentinelles" et des psychologues. Il donnera ce mercredi, à l’Université, une conférence grand public consacrée à la prévention du risque suicidaire chez les adolescents.
Vous présentez mercredi soir une conférence sur la prévention du suicide chez les jeunes. Qu’est-ce qui vous y a poussé ? Le contexte particulier que connaît le pays ?
Parce que ça fait deux ou trois ans qu’on entend partout que la santé mentale des jeunes se dégrade beaucoup. On n’a pas encore d’enquêtes très précises, mais une étude menée ici en 2025, auprès de 4 000 à 5 000 collégiens, devrait donner des éléments début 2026. On saura alors comment va cette génération-là. Et puis je trouve qu’on n’est pas assez ambitieux, ni en métropole ni en outre-mer. Je vais proposer à la province Sud un protocole de prévention du suicide chez les jeunes. Ce dispositif commencerait à l’entrée en 6ᵉ et se poursuivrait jusqu’au lycée, sur quatre ans.
Quel en serait le principe ?
Nos critères de repérage ne sont pas les bons. On attend la crise pour s’inquiéter. Je voudrais que l’on parte du principe que si on oblige un adolescent à aller voir un psychologue quand tout va bien, il aura l’habitude de parler de lui. Il saura à qui s’adresser si un jour il va mal. Quand un jeune traverse une rupture amoureuse, un conflit avec ses parents, une situation de harcèlement ou un échec de projet, il est souvent démuni.
Ces premières douleurs de la vie, ils ne savent pas encore les gérer. Si on leur apprend plus tôt à parler, à identifier leurs émotions, à faire confiance à des adultes extérieurs à la famille ou au collège, on leur donnera des stratégies pour éviter la tentative de suicide. L’objectif, c’est de réduire considérablement ces tentatives, de permettre aux jeunes de parler plus facilement d’eux et de solliciter plus vite les professionnels quand ils en ont besoin.
"Il y a des gens prêts à accepter d’avoir ce rôle-là, de médiateurs, de personnes de proximité, d’écoutants"
Les jeunes Calédoniens sont-ils particulièrement vulnérables ?
Les adolescents qui grandissent avec des adultes fragiles et des institutions fragiles sont plus en risque. Ici, il y a la question de la culture, de l’identité, des croyances, des traditions, de l’histoire politique. Grandir nécessite des cadres stables. Or, aujourd’hui, ces cadres sont vacillants : la religion, la coutume, les rites, la société, tout ça s’effrite. On doit apprendre à vivre ensemble dans un pays tiraillé entre deux identités, une histoire compliquée et une société en manque de perspectives.
Quand on a 15 ans aujourd’hui, il faut être sacrément résilient pour avoir envie de grandir. D’où l’importance d’aider les parents à rester des parents, les enseignants à rester des enseignants, les éducateurs à rester des éducateurs. Et de recréer de la confiance entre ces différents adultes. Parce que si les parents, les profs, les éducateurs se méfient les uns des autres, l’adolescent est perdu.
Le contexte culturel calédonien est également spécifique…
Il y a 25 ans, j’ai travaillé avec une communauté amérindienne du nord-est du Canada, les Atikamekw. Ils ont fait la même chose que les Inuits à un certain moment dans leur communauté. Les Atikamekw se sont rendu compte qu’il y avait une jeunesse qui était très en difficulté, un peu comme celle que l’on voit ici, avec beaucoup d’alcool, de fragilité, d’errance, d’agressivité. Ils se sont rendu compte que ces jeunes étaient complètement acculturés, entre deux cultures : leur culture d’origine et la culture vers laquelle on tend à les conduire, une culture un peu européenne. Mais en fait, ils sont largués. On pourrait faire le parallèle avec ici.
À la maison, les jeunes n’entendent parler que de la culture kanak, des rites et des traditions et de la nécessité de défendre cette identité, cette culture. Et dans leurs établissements scolaires, ils sont tout le temps portés vers l’idée d’abandonner un peu cette culture kanak, parce que c’est un peu archaïque, qu’il faut s’adapter à la modernité de la société. Comme cela a été fait, on peut former dans les communautés, sur les territoires, des sentinelles qui ne soient pas des professionnels de santé. Il y a des gens prêts à accepter d’avoir ce rôle-là, de médiateurs, de personnes de proximité, d’écoutants.
Vous dites qu’il faut aussi “réparer les adultes” ?
Oui, parce que les adultes ne vont pas bien. Les enseignants ne vont pas bien, les parents ne vont pas bien, les institutions ne vont pas bien. Si les adultes allaient un peu mieux, les adolescents iraient aussi un peu mieux. Pour grandir, il faut des adultes fiables et solides autour de soi. Quand on voit aujourd’hui l’état de santé des adultes et des institutions, c’est compliqué. Il faut redonner confiance aux adultes et à leurs institutions, à la famille, à l’école, à la société.
"On psychologise trop : “tu vas mal, il faut un psy”. Non. Avant d’en arriver là, il faut recréer du lien et de la confiance."
Les services de santé spécialisés dans la prise en charge des adolescents sont saturés. Existe-t-il des moyens d’agir autrement ?
Les recommandations officielles prévoient une hospitalisation de quatre à cinq jours dans un service dédié après une tentative de suicide. Mais il n’y en a pas. Alors il faut imaginer des alternatives à l’hospitalisation. Avant d’hospitaliser, il est essentiel de traiter les causes : les conflits d’autorité, les ruptures amoureuses, le harcèlement, les deuils. Si on traite ça, on réduit de 90 % les tentatives. Mais pour ça, les acteurs de proximité – enseignants, éducateurs, animateurs, profs de sport – doivent être bien formés. Ce sont eux qui doivent être outillés. On ne peut pas tout confier à l’hôpital. Les acteurs de proximité sont essentiels. Un enseignant, un éducateur, un parent, un animateur socioculturel peuvent accompagner psychologiquement un adolescent. On doit remettre du cadre, redonner aux acteurs de proximité la légitimité d’être des acteurs de prévention. On psychologise trop : “tu vas mal, il faut un psy”. Non, un psy est utile quand la souffrance dépasse les ressources de l’entourage. Mais avant d’en arriver là, il y a un travail à faire pour recréer du lien et de la confiance.
La prévention, justement, passe souvent après la crise. On fait en France de la prévention “par le risque” : on agit quand ça déborde. Si un adolescent a la possibilité d’être écouté, même une heure, par un adulte bienveillant, ça peut tout changer.
Un adolescent qui va mal, ce n’est pas toujours celui qu’on croit. Dans un lycée, la communauté éducative passe 85 % de son temps à gérer 15 % des élèves. Et souvent, les drames concernent les 85 % restants, ceux qui semblent aller bien, qu’on ne voit pas. Ce sont eux, parfois, qui se suicident. Il faut apprendre à repérer aussi le mal-être silencieux.
"Il est important de créer des espaces de parole."
Quels signes doivent alerter les parents ?
Il ne faut pas avoir peur de poser des questions directes. Beaucoup d’adultes ont peur de poser des questions très directes à un adolescent. Mais si on veut savoir si un adolescent pense au suicide, il faut lui demander directement. Les parents se disent : “Je ne vais quand même pas demander à mon fils s’il a envie de mourir, parce que cela pourrait lui donner envie”, comme s’il allait attraper le virus du suicide. En fait, non seulement les adolescents répondent, mais ils répondent encore plus précisément si on leur pose des questions précises.
Et il est important de créer des espaces de parole. Un enfant se sent libre quand il y a un cadre. À l’intérieur de ce cadre, on lui donne de l’identité et de la liberté. Mais sans cadre, il ne se sent pas libre, il se sent perdu. Quand un jeune ne va pas bien, cela ne suffit pas de lui dire d’aller voir un psy. La démarche doit aussi venir de l’adulte. Les adolescents n’iront pas d’eux-mêmes ; il faut aller vers eux, leur montrer qu’on s’intéresse à eux.
Quels sont, selon vous, les acteurs de proximité les mieux placés pour prévenir la souffrance des jeunes ?
Les animateurs sont souvent des post-adolescents : ils ont 18 à 25 ans, ils sont proches des jeunes, exigeants et authentiques. Ils ont cette fibre naturelle de l’écoute et peuvent devenir des interlocuteurs précieux. On peut les former, comme on forme des “sentinelles”, à repérer la souffrance et à orienter. Il n’y a pas besoin d’être un grand spécialiste de l’adolescence, il faut juste savoir rencontrer les jeunes. On devrait pouvoir créer, dans chaque commune, des lieux de proximité où un ado peut venir parler, de façon confidentielle, avec un adulte formé. C’est comme ça qu’on désamorce les crises avant qu’elles ne deviennent graves.
Quel message souhaitez-vous transmettre au travers de votre conférence ?
Qu’il faut remettre du sens, du lien et du cadre. Redonner un sentiment d’identité, personnelle et collective. Les adolescents d’aujourd’hui ont tous les outils pour reconstruire une société plus humaine, plus solidaire. C’est aussi cette génération-là qui peut-être nous sortira des conflits, qui reconstruira une société plus humaine, plus humaniste. Si on leur fait confiance, ils nous aideront à changer la société. Mais pour cela, on doit d’abord leur apprendre à grandir sans souffrir autant.
Note
Conférence publique, ce mercredi 22 octobre à 18 heures, dans l’amphi 250 de l’Université de la Nouvelle-Calédonie. Entrée libre et gratuite.
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