- LNC | Crée le 01.12.2024 à 09h00 | Mis à jour le 01.12.2024 à 13h31ImprimerJean, Jeanne-Marie et leurs quatorze « premiers » enfants, en 1920, devant leur maison de Fonwhary (La Foa). Jeanne-Marie est alors enceinte du quinzième. On peut voir qu’elle a un œil abîmé. D’après l’histoire familiale, un coup de corne de bétail le lui Photo DR" François Delathière était un filou, têtu et fainéant, condamné en 1876 à quinze ans de travaux forcés. " Ce portrait peu flatteur du " bagnard ", comme il l’appelle, est dressé par son arrière-arrière-petit-fils, Jerry Delathière. Dans ce 28e épisode de notre saga consacrée aux familles issues du bagne, l’historien, auteur du célèbre Ils ont créé La Foa, ne cherche pas à embellir son histoire. Mais il la retrace avec respect, et parfois même une pointe d’humour.
"Dans son livre Calédoniens, le père O’Reilly fait démarrer la famille Delathière à Jean (1875-1949) qui était, en fait, le fils du forçat. Pour faire ce who’s who local, l’auteur avait envoyé un questionnaire à chaque famille. Mon grand-oncle Pascal (et il n’est pas le seul) a volontairement gommé le chapeau de paille de la famille. "
Or, Jerry connaissait la tombe d’un certain François Delathière décédé en 1907. À l’image de bon nombre de Calédoniens, les revendications identitaires des Kanak l’ont mis face à ses propres origines. Passionné d’histoire, il a, pendant plus de dix ans, remonté la piste de sa famille et de celles de son village.
Jerry Delathière, chez lui. Photo DR" Je suis parti de rien. Mon père est aujourd’hui décédé, et de sa vie, il n’a jamais rien dit de nos origines. Il a même refusé de lire mon livre. Je sais aujourd’hui qu’il a pu épouser ma mère, descendante de colon Feillet, uniquement parce que mon grand-père maternel est décédé prématurément à 45 ans. De son vivant, je ne sais pas si celui-ci aurait consenti à cette union. En ce temps-là, les familles d’origine libre ne " se mélangeaient pas " à celles d’origine pénale. Dans un centre libre comme Canala d’où il était originaire, lorsque l’on disait " Il est de La Foa " ou " Il est de Bourail ", tout le monde savait automatiquement qu’il s’agissait d’un descendant de forçat.
La tombe du bagnard au cimetière de La Foa. Cette tombe est le point de départ de toutes les recherches de Jerry. Photo DRLes Delathière n’ont pas cherché à transmettre une histoire arrangée, ils se sont tus. Entre les archives et les renseignements récoltés auprès d’autres historiens, j’ai réussi à recoller quelques morceaux. Nous avons notamment découvert le village d’origine du bagnard, Saint-Mathieu près de Limoges. Un cousin a fait le voyage et s’est rendu aux assises. Les minutes du procès nous ont renseignés sur sa condamnation, puis tout s’est enchaîné.
La grange des Delathière à Saint-Mathieu près de Limoges. Photo DRFrançois Delathière vivait dans un village reculé. Il était maçon et avait construit seul sa maison. En cette fin du XIXe siècle, les populations cherchent à se rapprocher des villes. François souscrit une assurance habitation contre l’incendie puis, une semaine après, met le feu à sa maison.
Il va alors réclamer ses indemnités, mais l’assurance, méfiante, diligente une enquête. Le couple devait traverser une période de crise, ainsi quand les policiers sont venus interroger sa femme, elle l’a dénoncé. "
François la forte tête
" Le 13 août 1876, il est jugé pour incendie volontaire d’une maison habitée et tentative d’escroquerie et condamné pour ce crime à quinze ans de travaux forcés et à quinze années de résidence obligatoire dans la colonie à l’issue de sa peine ; la fameuse " peine de doublage ". En attendant d’être embarqué, il est enfermé à Brest, et de nouveau condamné à quinze jours de cachot pour bagarre au réfectoire !
En 1877, François Delathière débarque à Nouméa après un long voyage sur le Tage. Photo DRC’était une vraie teigne, un petit bonhomme, le front bas, les yeux marron et au caractère irascible selon son dossier. Il débarque à Nouméa par le Tage en 1877 et intègre le camp pénitentiaire de Dumbéa… d’où il va s’évader deux ans plus tard ! Il est repris par la police kanak après trois jours de cavale et traduit devant le premier conseil de guerre permanent. Il récolte, bien sûr, une peine supplémentaire.
À leur arrivée, les bagnards étaient répartis en plusieurs classes. De la première, les mieux notés, la crème des condamnés, à la troisième, les irréductibles. Évidemment, François était parmi les mauvais éléments, pourtant il obtient une concession en 1881. Un an auparavant, sa femme Françoise, née Lavergne, et son petit garçon, Jean, l’avaient rejoint. Ils s’installent donc à La Foa, à l’époque le deuxième centre de colonisation pénale après Bourail, sur la section de Thia.
La famille fait souche à La Foa
" La famille s’agrandit, quatre filles naîtront, deux seules survivront. Maria, née en 1881, épousera plus tard Joseph Lacour et Marie-Joséphine, quant à elle, se liera avec le fils d’un instituteur de Téremba, un certain Charles Lavoix.
Jean repartira en Métropole faire son service militaire, à son retour, il épousera Jeanne-Marie Gervolino, la fille d’un transporté italien. Sur la concession, les cultures ne vont pas fort. François, ce fainéant, ne travaille pas, si bien qu’il est dépossédé de son lot.
Sa famille en garde la jouissance, mais lui réintègre le camp de Bourail pour purger la fin de sa peine. Il sort en 1891. Entre-temps, son épouse a acheté un autre terrain à Fonwhary (actuelle propriété Lacour). Ils divorcent en 1896. Françoise était une petite femme malingre qui souffrait du cœur. Un matin elle s’est levée, est allée voir ses bêtes, puis s’est recouchée. Elle ne s’est jamais réveillée, elle avait 42 ans. François aussi avait des problèmes cardiaques. Têtu jusqu’au bout, il faisait semblant de se soigner. À sa mort, ses enfants ont retrouvé tous ses cachets dans les tiroirs où il les cachait !
A gauche, Jean Delathière, lors du mariage de son fils Eugène dit « Tonin ». A droite, Jeanne-Marie Gervolino épouse Jean Delathière, dans les années 1947-1948. Photo DRLes enfants n’ont pas eu une enfance malheureuse à La Foa. Ils vivaient au milieu de familles de condamnés, comme des poissons dans l’eau. Jean, mon arrière-grand-père, s’est installé sur les terres de sa mère, il a élevé du bétail et récolté du café. Jeanne-Marie, son épouse, lui a donné quinze enfants qui ont tous vécu. Elle faisait également du colportage et avait transformé leur maison en une auberge, aujourd’hui on appellerait cela une maison d’hôte.
Tonin Delathière, Eugène de son vrai prénom, fils de Jean et Jeanne-Marie Delathière. Photo DRCe passé occulté, parce que ressenti comme infâmant par les premières générations issues de bagnards, a provoqué chez certaines familles calédoniennes un véritable " complexe du bagnard ". Les descendants de François n’ont eu de cesse de vouloir se hisser dans la société. Ils voulaient réussir, montrer aux autres que les fils et petits-fils de chapeaux de paille étaient capables d’être " d’honorables personnes ". Mon père s’habillait toujours très bien, marchait la tête haute et voulait avoir fière allure. Aujourd’hui, tout ceci s’est tassé. Le livre Ils ont créé La Foa a révélé beaucoup de secrets de famille.
À l’époque où je récoltais les témoignages des anciens, on ne m’a pas pris au sérieux, bizarrement personne n’avait ni photos ni informations. En 2000, lorsque l’ouvrage est sorti, les gens étaient prêts, les langues s’étaient déliées et l’accueil a été très bon."
Pascal et Pierrot Delathière en tenue militaire. Photo DRUne dynastie attirée par la politique
Pascal Delathière a été maire de La Foa, en 1956." Ma sœur, Carole Munschy, a été élue au conseil municipal de La Foa, de 2008 à 2014. Mon cousin Jean-Jacques Delathière y siège depuis quatre mandats, il a même été maire adjoint. Ils sont les héritiers de plusieurs générations de Delathière et de leurs familles alliées au sein de la mairie de La Foa. Le premier a été Charles Lavoix, élu président de la commission municipale en 1908, l’époux de Marie-Joséphine Delathière. Lui a succédé, en 1912, son beau-frère Joseph Lacour, époux de Maria Delathière. En 1920, Jean Delathière a repris le flambeau. Pascal Delathière, son fils, a été le premier à être élu sous la dénomination de maire, en 1956. Charles, mon père, a été adjoint pendant trois mandats avant de prendre la tête de la mairie, en 1983."
400 descendants au minimum
"Notre famille est immense, je n’ai pas compté précisément mais nous devons être au minimum 400 descendants.
J’ai moi-même six frères et sœurs, les grandes fratries ne sont pas rares chez les Delathière. Jeanne-Marie et Jean ont eu quinze enfants, ce qui leur a valu les honneurs de la presse de l’époque. Voici un extrait de La France Australe à La Foa, édition du 24 mai 1921 :
" Madame Delathière, femme du président de la Commission municipale de notre centre, vient de mettre au monde un quinzième enfant, de sexe féminin. La mère et l’enfant se portent bien. Après nos félicitations à cette courageuse maman et nos souhaits pour son quinzième bébé, n’est-il pas opportun de rappeler qu’en mai 1920, il a été institué une " médaille de la famille française " pour rendre hommage aux mères qui élèvent de nombreux enfants et, qu’après un an, aucune maman, ici, n’a été honorée de cette distinction si bien méritée cependant par les mères calédoniennes. Une médaille de bronze doit être accordée aux mères de 5 enfants, une médaille d’argent pour celles de 8 enfants et d’or pour celles qui en ont eu 10. […] N’oublions pas que la maternité est adéquate à notre relèvement, à la conservation de notre race, de sa gloire, de ses richesses scientifiques et morales, à son prestige dans le monde et que les ouvrières de cette perpétuité ont tous les droits à notre protection et à notre vénération. "
Note
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé. Cet article est paru dans le journal du samedi 23 janvier 2016.
Une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.
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