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    Nouvelle Calédonie
  • Entretien avec Lionel Lecomte et Nathalie Vernet-Lataste, directeur et directrice adjointe du Service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip)
    Julien Mazzoni | Crée le 15.03.2023 à 15h50 | Mis à jour le 15.03.2023 à 17h54
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    Lionel Lecomte et Nathalie Vernet-Lataste, directeur et directrice adjointe du Service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip). Photo Julien Mazzoni
    Il est au contact quotidien des détenus avec une mission qui tient en trois mots : prévenir la récidive. Le Spip est un service méconnu mais essentiel pour la réinsertion.

    Comment agissez-vous pour lutter contre la récidive et permettre la réinsertion - ou l'insertion - des condamnés ?

    On sait aujourd'hui que l'incarcération ne permet pas de lutter contre la récidive et, au contraire, la favorise. Notre mission est de faire en sorte que la personne intègre la loi et ressorte dans de meilleures dispositions que lorsqu'elle est entrée. C'est à mi-chemin entre le travail de psychologue et celui de criminologue. Depuis les années 1970, on sait que certains modèles d'accompagnement, créés aux USA et au Canada, permettent de diminuer le risque de récidive de 35 %. On peut lutter contre la récidive grâce à ces modèles. Et on sait que si on n'intervient pas, un individu sur deux qui sort de prison récidive.

    "Contrairement aux idées reçues, le meilleur spécialiste de sa délinquance, c'est l'auteur."

    Comment expliquer la récidive ?

    La plupart du temps, si les personnes récidivent, ce n'est pas parce qu'elles n'ont pas d'emploi. Le premier facteur est le système des croyances : "Je suis issu d'une famille de délinquants, je fais comme les autres. Ma loi à moi, c'est pas ta loi à toi et je fais ce que je veux." Autre exemple, le conjoint violent qui bat sa femme ne le fait pas parce qu'il n'a pas d'emploi, il le fait parce qu'il l'estime nécessaire et naturel, que lui est un être supérieur et qu'il doit corriger sa femme. Et l'alcool n'est pas la cause mais est un élément déclencheur. C'est donc sur ces croyances qu'on va travailler au travers d'activités récréatives et culturelles régulières. L'idée c'est d'agir sur la manière dont la personne se situe par rapport au passage à l'acte.

    C'est un problème d'éducation alors ?

    C'est un problème de structuration de la personnalité. Le principal modèle international de criminologie clinique repose sur huit facteurs pour expliquer la récidive. Des facteurs statiques (âge, première commission des faits...) sur lesquels on ne peut pas agir, et les facteurs sur lesquels on va travailler, qui sont la croyance, le réseau de pairs (les copains), les addictions, etc. Tous ces facteurs permettent d'évaluer sur quoi il faut agir pour que la personne ne récidive pas et pour l'orienter vers tel ou tel programme. Nous avons avec les détenus une approche bienveillante et collaborative. Contrairement aux idées reçues, le meilleur spécialiste de sa délinquance, c'est l'auteur.

    Quelle est la proportion de détenus souhaitant s'engager dans un processus de réinsertion ?

    La quasi-totalité d'entre eux. Pour ce qui est des formations par exemple, le centre pénitentiaire manque de place. Si on en avait plus, on en développerait davantage. Il y a de la demande. 71 détenus sont placés en tant qu'auxiliaires. Ils sont employés par l'administration à la cantine pour distribuer les repas, en cuisine, au niveau de l'entretien des bâtiments, avec des formations également. C'est important de les accompagner pour que ce qu'ils apprennent à l'intérieur soit transposable à l'extérieur. On interroge régulièrement la population pénale et chaque année on leur propose différentes thématiques, agriculture, pêche, métiers de la mer. Des dispositifs existent, mais ce qui nous manque, c'est de l'espace.

    Les détenus sont-ils rémunérés pour le travail qu'ils effectuent en détention ?

    Oui. Ils sont rémunérés entre 40 000 et 60 000 francs par mois pour les postes les plus qualifiés. Ils peuvent dépenser cette somme au sein de l'établissement ou l'économiser pour leur sortie, mais de toute façon, une partie est prise par l'administration, au-dessus d'un certain montant, pour indemniser les victimes.

    Lorsqu'on est incarcéré, on est privé de sa liberté mais également de couverture médicale. Quels problèmes cela pose-t-il ?

    Il y a une inadéquation des textes locaux avec les textes nationaux. En Métropole, une personne incarcérée est automatiquement affiliée à la caisse primaire d'assurance maladie. Elle a une couverture sociale durant son incarcération. Ici, ce n'est pas le cas. Les personnes incarcérées relèvent strictement de l'administration pénitentiaire. C'est une anomalie. Et surtout, cela concerne aussi leurs ayants droit. Une des pistes de travail est de mettre en œuvre des conventions avec les provinces pour que les personnes incarcérées voient leurs droits suspendus mais maintenus pour leur famille et réactivés à leur sortie. Il faut savoir que l'administration pénitentiaire dépense chaque année plus de 220 millions de francs en soins pour les détenus.

    La santé, c'est aussi les troubles psychologiques. Sont-ils suffisamment bien traités en détention ?

    La seule étude épidémiologique sur l'état de santé des détenus n'est pas spécifique à la Calédonie mais à l'ensemble des administrations pénitentiaires et date d'une quinzaine d'années. 16 à 18 % des personnes entrantes souffraient de troubles graves de la personnalité et plus de 50 % de troubles du comportement. Ce sont des populations beaucoup plus à risque que les populations à l'extérieur. La convention avec le CHS permet d'avoir du personnel infirmier, des accueils par des médecins urgentistes, une psychologue à temps plein et du temps de psychiatre. Un temps insuffisant mais qui est le reflet du nombre de psychiatres sur le territoire et des moyens du CHS. La Nouvelle-Calédonie est très démunie en spécialistes de santé mentale.

    Pensez-vous que le modèle actuel de prison est dépassé ?

    Les formations et les soins, en faisant leur entrée dans les prisons dans les années 1990, ont apporté une meilleure qualité de service. En 1995 nous étions 800 conseillers, aujourd'hui nous sommes 6 000. C'est un bond en avant extraordinaire. Mais il ne faut pas perdre de vue que les prisonniers sont des êtres humains comme vous et moi.

    En Calédonie, on essaie d'avoir le plus possible recours à la semi-liberté pour les peines inférieures à dix-huit mois. C'est une sortie progressive avec obligation de chercher un travail, de se soigner. L'objectif c'est de ne pas couper net avec une activité qui se passait très bien. Le but n'est pas d'enfermer pour enfermer. On connaît tous quelqu'un qui est en prison ou qui y est passé. La société calédonienne doit accepter ce principe de la semi-liberté et prendre ainsi sa part de responsabilité dans la réinsertion des détenus.

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