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    Nouvelle Calédonie
  • Propos recueillis par Julien Mazzoni | Crée le 06.12.2025 à 06h00 | Mis à jour le 06.12.2025 à 06h00
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    Ludovic Boula, président du Sénat coutumier, a présenté le Livre blanc des quartiers populaires aux institutions jeudi 4 décembre. Photo Julien Mazzoni
    Au lendemain des émeutes du 13 mai 2024, le Sénat coutumier a multiplié les médiations dans huit quartiers populaires de Nouméa et de Dumbéa. De ces rencontres, de forums et d’une année et demie d’échanges avec les habitants est né un document inédit : le Livre blanc des quartiers populaires. Son président, Ludovic Boula, revient sur la genèse de cette démarche, les constats partagés et les attentes désormais tournées vers les institutions.

    Comment est né ce Livre blanc des quartiers populaires ?

    Après le 13 mai, nos grands chefs nous ont demandé d’aller sur le terrain pour faire de la médiation. Les quartiers étaient délaissés par les institutions et même par les politiques. On a commencé par distribuer les denrées alimentaires envoyées par les îles, mais très vite, on s’est aperçu que l’essentiel était ailleurs : les habitants avaient besoin de parler. Je suis arrivé avec une coutume, en leur disant que j’étais là pour les écouter. Cette parole, elle était presque thérapeutique.

    Vous vous êtes appuyés sur les associations existantes ?

    Sur les leaders, les référents. Je les contactais d’abord pour ne pas fragiliser leurs groupes. Quand ils acceptaient, j’arrivais simplement pour écouter. Les jeunes, les parents, tout le monde parlait. Je leur disais : "Ne soyez pas hypocrites, lâchez tout." Et de là, le lien s’est créé.

    "Pendant les émeutes, les quartiers se sont auto-organisés. Ils ont montré qu’ils savent fonctionner ensemble."

    À quel moment cette réflexion collective a-t-elle évolué vers la rédaction d’un Livre blanc ?

    Quand les problématiques sont devenues trop larges pour rester dans la médiation : logement, santé, éducation… Les habitants ont exprimé un besoin d’espace de parole régulier. Alors on a ouvert les mardis et jeudis après-midi au Sénat coutumier. Les référents de quartier venaient, on parlait de tout : les droits, les devoirs, le fonctionnement des institutions. C’est de là qu’est né le premier forum.

    Qu’est ce qui est ressorti de ces forums ?

    Le premier portait sur les droits et les devoirs. Le second sur l’économie sociale et solidaire. Pendant les émeutes, les quartiers se sont auto-organisés : pôle alimentaire, pôle juridique, pôle éducatif, pôle information. Ils ont montré qu’ils savent fonctionner ensemble. Les forums ont permis de les connecter aux dispositifs existants : CCI, AFD, associations...

    Et puis il y a eu le forum sur l’identité et la culture : Kanak, Polynésiens, Vanuatais… Tous ont expliqué leur manière de faire la coutume. Il y a eu aussi les danses urbaines, le hip-hop : comment les jeunes ont survécu en ville en gardant un lien avec leur identité. Pour nous qui venons des tribus, c’était enrichissant.

    "Les habitants ont beaucoup d’idées. Le problème, c’est qu’on ne leur a pas assez donné la parole."

    Vous évoquez aussi une semaine d’immersion dans les quartiers.

    Oui, chaque jour dans un quartier. On visitait les lieux détruits, on mettait en lien la mairie et les bailleurs sociaux. On posait des questions concrètes : pourquoi tel bâtiment n’est-il pas détruit ? Les croyances, les langues, la coutume : tout a été discuté.

    Et les jeunes ont parlé de leurs projets : jardins solidaires, graff, danse. À Rivière-Salée, par exemple, ils ont peint un mur représentant une natte tressée et un Livre blanc. Comme c’est leur œuvre, personne n’y touche.

    Quels types de projets sont ressortis ?

    Souvent, l’idée d’une maison commune. Une maison de quartier, mais adaptée à notre mode de vie. À Kaméré, il y a le projet d’une école de la mer pour former aux métiers de la pêche. Ailleurs, des jardins solidaires, du coworking, des espaces culturels. Les habitants ont beaucoup d’idées. Le problème, c’est qu’on ne leur a pas assez donné la parole.

    "Le 13 mai n’était pas juste une réaction au dégel du corps électoral, mais une soupape."

    Qu’est-ce que les habitants vous ont exprimé à travers tout cela ?

    Que le 13 mai n’était pas juste une réaction au dégel du corps électoral, mais une soupape. La société était déjà malade. Ils reprochent aussi que leurs projets, pendant les élections, soient repris par les élus, modifiés, et finalement ne fonctionnent pas.

    Ils pointent également le fait que chacun travaille de son côté alors qu’on poursuit les mêmes objectifs. Pour nous, il faut être plus stratégique sur la façon d’utiliser le budget public.

    Que propose justement le Livre blanc sur la gouvernance ?

    On veut suivre les projets jusqu’au bout. Ce Livre blanc, il vient d’eux. Nous, on n’a qu’un pouvoir consultatif. On veut mettre en place un comité de suivi en janvier 2026 avec toutes les institutions. On ne peut plus continuer chacun dans son coin alors qu’on a les mêmes objectifs.

    Vous avez présenté ce document aux institutions jeudi 4 décembre. Quel accueil a-t-il reçu ?

    Tout le monde était là : Congrès, gouvernement, mairies, provinces, État, chambres consulaires, associations. Tous reconnaissent qu’il faut travailler ensemble.

    Certains projets institutionnels — le village des solutions, la démocratie participative — s’emboîtent avec nos propositions. Tout le monde a des écrits, mais il faut maintenant les faire " matcher ".

    "L’identité kanak ne concerne pas que le peuple kanak : elle peut rassembler tout le monde."

    Quels besoins spécifiques ont exprimé les habitants en matière d’urbanisme ?

    Ils demandent de reconstruire autrement. Pas selon les modèles de l’Hexagone. Ici, on vit dehors. On a besoin de cours. On n’est pas faits pour être enfermés dans des bâtiments. C’est valable pour toutes les communautés. Les bailleurs sociaux commencent à en parler, mais on est encore loin.

    Ce Livre blanc touche aussi à l’identité et au rôle de la coutume.

    Oui. Le lien entre jeunes et coutume est distendu. Et nous, les coutumiers, on a fauté. Si les jeunes demandent qui ils sont, c’est notre responsabilité aussi. On a un rôle dans la gestion de nos enfants. L’identité kanak ne concerne pas que le peuple kanak : elle peut rassembler tout le monde. Faire connaître aux jeunes leur identité, ça leur fait du bien, ça les tient debout.

    Qu’attendez-vous maintenant ?

    Que le comité de suivi soit mis en place et que les institutions s’engagent. Le Livre blanc n’est pas celui du Sénat coutumier : il vient de la population. Nous, on n’a qu’un rôle consultatif et coutumier. Mais si on peut travailler ensemble, ça peut engager tout le monde.

    "La parole des quartiers"

    Le Livre blanc des quartiers populaires, adopté le 21 novembre 2025 par le Sénat coutumier, est le résultat d’un an et demi de médiations, de forums et de concertations avec huit quartiers : Nouville, Vallée-du-Tir, Kaméré, Montravel-PLK, Rivière-Salée, Magenta et Arawa (Dumbéa-sur-Mer). Il dresse un diagnostic partagé des fragilités révélées par la crise de 2024 : logement précaire (près d’un tiers des familles), rupture des transports, saturation sanitaire, déscolarisation des jeunes, dépendance alimentaire et manque d’espaces éducatifs ou culturels.

    Le document formule sept priorités : logement et dignité (réhabilitation, maisons communes, coopératives d’habitat), jeunesse et éducation (maisons des jeunes, soutien scolaire, reconstruction éducative), économie locale et économie sociale et solidaire (champs partagés, agriculture urbaine, coworking kanak), transport (navettes solidaires, baisse tarifaire), santé (centres communautaires, médiation sanitaire), culture et identité (toponymie coutumière, maisons des identités), et gouvernance partagée.

    Chaque quartier a fait émerger des projets concrets : école de la mer à Kaméré, coworking à la Vallée-du-Tir, jardin solidaire à Rivière-Salée, maison commune à Nouville ou Arawa. Le Livre blanc propose également la création d’un comité de pilotage interquartiers et d’un guichet unique, afin d’éviter la dispersion institutionnelle et d’assurer un suivi opérationnel des projets. Pour le Sénat coutumier, ce document n’est pas un programme politique, mais "la parole des quartiers" mise en forme pour que les institutions puissent, enfin, y répondre.

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