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    Nouvelle Calédonie
  • Propos recueillis par Anthony Tejero | Crée le 06.04.2021 à 20h32 | Mis à jour le 08.04.2021 à 04h46
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    Didier Tappero est directeur général d'Aircalin, compagnie dont la Nouvelle-Calédonie est l'actionnaire majoritaire. Photo Th Perron
    Depuis un an, et le début de la pandémie, l'activité s'est effondrée de 80 % pour la compagnie aérienne. Et les perspectives d'une reprise sont aussi lointaines qu'incertaines. Alors qu'Aircalin n'envisage pas un retour à la normale du trafic avant 2024, son directeur général, Didier Tappero, vient de solliciter l'État. Une aide jugée indispensable pour tenir le choc pendant la reprise qui s'annonce longue et progressive.

    Économie et finances : « Nous avons sollicité l'État comme l'ont fait d'autres compagnies aériennes »

    Le ciel calédonien est fermé depuis mars 2020. Quel est le bilan un an après ?

    Aircalin est toujours là et a bien résisté. On n'est pas en risque. Pourquoi ? Comment a-t-on tenu un an avec 20 % de notre chiffre d'affaires ? C'est parce que la situation avant la crise était bonne déjà.

    Après de nombreuses années de pertes, et même plus d'un milliard de résultat déficitaire en 2012, un plan de retour à l'équilibre a été mis en place. Nous avons ensuite eu cinq exercices bénéficiaires jusqu'en 2019. Cela a donné une solidité à la compagnie avec une trésorerie de l'ordre de 10 milliards de francs. On a attaqué la crise avec cette trésorerie solide. Et nous avons fait de gros efforts internes : le plan de départ volontaire de 20 % de nos effectifs, des réductions de rémunération, des efforts de productivité. Sans oublier les mesures de soutien de la Nouvelle-Calédonie à travers le chômage partiel et les réquisitions de vols. Et puis, il y a le prêt garanti par l'État de 4,8 milliards, soit 25 % de notre chiffre d'affaires. C'est un apport extrêmement important et nécessaire.

    Quelle est votre réaction à l'annonce du prolongement de la restriction des vols jusqu'au 31 octobre ?

    Aujourd'hui, nous ne fonctionnons pas comme une compagnie commerciale. Chaque vol donne lieu à une réquisition et à un nouvel arrêté. La vie économique et sociale est maintenue parce qu'il y a des approvisionnements qui se font toutes les semaines via le Japon et l'Australie en matière de cargo. C'est un soutien économique pour Aircalin. Il nous reste environ 20 % des sommes versées qui participent à la couverture de nos frais fixes et cela permet à la compagnie de maintenir ses compétences, de faire voler ses avions, de garder la compétence des pilotes, des techniciens etc. L'entreprise reste en état de fonctionner.

    Toutes ces mesures font qu'Aircalin, un an après, est en capacité financière de continuer son exploitation.

    Jusqu'à quand ?

    Aujourd'hui, nous avons une perspective de fermeture du ciel jusqu'à fin octobre. En prenant l'hypothèse que ces mesures d'accompagnement restent d'actualité (réquisitions, chômage partiel, etc.), nous savons pouvoir tenir jusqu'à la fin de l'année. Mais il est certain que nous aurons besoin d'un soutien et d'un accompagnement financier à partir de la fin de l'année.

    Le scénario critique serait une reprise en fin d'année, vers novembre, ou en tout début d'année prochaine.

    Un soutien de l'État ?

    Notre actionnaire, la Nouvelle-Calédonie, a déjà beaucoup contribué au soutien de la compagnie. Nous avons sollicité l'État comme l'ont fait d'autres compagnies aériennes. Au premier rang desquelles Air France, mais également Corsair, Air austral et d'autres. Tahiti Nui a actuellement la même démarche que la nôtre. Nous sommes une industrie qui ne peut pas fonctionner normalement. Et donc forcément, la réponse n'est pas la réponse classique apportée à une industrie qui serait en situation économique difficile. Ce sujet concerne tout le transport aérien au niveau mondial.

    Où en sont ces négociations ?

    Le principe est posé, tout reste à faire. Dans le calendrier, nous ne sommes pas encore en situation de crise aiguë. Nous avons quelques mois pour continuer à travailler. Et balayer toutes les possibilités. Des décisions seront à prendre avant la fin de l'année. Notre but aujourd'hui, c'est d'alerter. Les choses vont se compliquer et les questions de fond sur le transport aérien en Nouvelle-Calédonie se posent. C'est l'industrie la plus affectée, avec celle du tourisme, par cette pandémie.

    Sans l'aide de l'État, la compagnie peut-elle faire faillite ?

    Aujourd'hui, ce n'est pas le sujet. Mais je ne vais pas dire que ce n'est pas possible. Car il y a une chose que personne ne maîtrise, c'est quand il y aura une reprise et avec quelle intensité ?

    Quel serait le scénario critique ?

    Le scénario critique serait une reprise en fin d'année, vers novembre, ou en tout début d'année prochaine. Et ce, avec une activité pour 2022 de l'ordre de 40 % de ce que nous avions en 2019. Ce ne sont pas des hypothèses fantaisistes. Aujourd'hui, au niveau mondial, l'industrie estime qu'il n'y aura pas un retour à la normale du niveau d'avant la crise, avant 2024, voire 2025. Nous serons dans un contexte d'une reprise qui sera lente et progressive. Nous reprendrons des couleurs, mais nous ne serons pas totalement tirés d'affaire.

    Faut-il craindre une augmentation du prix des billets ?

    Pour redonner l'envie aux gens de voyager, il faut que la tarification aérienne soit adaptée. Je n'anticipe donc pas d'augmentation de tarif à la reprise. Le fait d'avoir des avions plus performants génère des économies de charges d'exploitation. Avec notre nouvelle flotte, nous serons donc plus performants pour maintenir une politique tarifaire plutôt incitative.

    Dessertes : « Nous réfléchissons à transférer l'activité d'Osaka sur Singapour »

    Les lignes vers Melbourne et Osaka ont été supprimées. Est-ce une décision définitive ?

    Il faut toujours être opportuniste et attentiste. Ce qui détermine une ligne, c'est la demande. Dans une activité restreinte comme celle que nous connaissons, il faisait sens de supprimer Melbourne, qui est la ligne la plus coûteuse vers l'Australie pour se concentrer sur Sydney et Brisbane. Cette destination sera donc intimement liée à deux points pour le futur : le tourisme, d'une part, car la croissance de 30 % du tourisme dans le pays jusqu'en 2019 a été en partie drainée par l'ouverture de Melbourne. Et cela supposera, d'autre part, pour Aircalin, d'avoir un quatrième avion.

    En ce qui concerne Osaka, je suis plus circonspect car on a déjà la desserte de Tokyo, et le marché d'Osaka est nettement moins dynamique. Cela ne suffisait pas à équilibrer cette ligne. En revanche, nous réfléchissons à transférer l'activité d'Osaka sur Singapour. Cela fait partie des options sur lesquelles nous travaillions déjà avant la crise sanitaire. Deux raisons essentielles. C'est une autre voie d'acheminement du trafic vers Paris avec Air France et d'autres transporteurs. Et cela permet une ouverture sur le sud-est asiatique à la fois pour le marché calédonien mais également pour essayer de drainer une clientèle asiatique vers la Nouvelle-Calédonie. Il y a un vrai intérêt pour la clientèle. Cela offre une diversité et c'est un produit qui fait sens. On sait le faire, on peut le faire et cela offre des perspectives très intéressantes.

    D'autres destinations régionales pourraient-elles ouvrir ?

    Tout dépend déjà de comment nous organisons le redémarrage de notre activité touristique en Nouvelle-Calédonie et sur quels marchés. Comment acheminer des passagers de Sydney à Lifou ? Cela peut impliquer d'utiliser à plein effet La Tontouta comme hub, c'est-à-dire de proposer un Sydney-Lifou, via La Tontouta avec le relais des compagnies domestiques locales. Mais là encore, ce travail a été mis entre parenthèses par la période de crise. Nous reprendrons tous ces dossiers dès que possible. Ce n'est qu'en fonction du schéma de développement touristique que nous pourrions retenir, que nous définirons de nouvelles destinations. Dans notre région, il faut se poser des questions sur de nouvelles dessertes en Australie. Quels seraient les réservoirs de population en Australie qui seraient intéressés par du tourisme en Calédonie ? Il faut aller là où il y a des marchés assez conséquents.

    Coronavirus : « Il s'agit de donner à un passager une identité sanitaire »

    La pandémie a bousculé l'organisation des compagnies aériennes. Comment vous adaptez-vous ?

    Le transport aérien, dans son ensemble, a peu ou prou les mêmes problématiques. Il a fallu apprendre à gérer une nouvelle donne sanitaire. Nous ne savions pas faire. Si nous revenons en arrière, le transport aérien a par exemple dû s'adapter au terrorisme et on a appris à développer la sûreté, avec des files d'attente de passagers pour les contrôles où on enlève les ceintures, les chaussures, etc. Et finalement quelque chose que nous ne connaissions pas est devenue la norme. Une habitude de voyage. Je pense que ce sera pareil sur le plan sanitaire. Nous y serons beaucoup plus sensibles. Nous avons énormément appris en un an, en gérant le risque sanitaire, en l'intégrant dans nos procédures et dans nos façons de travailler. Et la prochaine évolution, ce seront des applications mobiles qui commencent à se développer. Nous en regardons deux, dont le travel pass de l'Iata (Association internationale du transport aérien) et celle développée par MedAire car c'est quelque chose qui sera demandé aux passagers.

    Vous évoquez l'instauration d'un passeport vaccinal ?

    Ce n'est pas tout à fait un passeport vaccinal, car un tel document implique l'obligation de vaccination. Or, nous n'en sommes pas là. Il n'y a pas de législation actuellement. En revanche, il s'agit de donner à un passager une identité sanitaire. Aujourd'hui, pour voyager, il faut un billet, un passeport, des visas pour certains pays, et bientôt, il faudra que vous ayez des documents sanitaires en votre possession, un test PCR ou une vaccination, etc. On décidera dans quelques semaines quel système nous retiendrons.

    Justement, le gouvernement veut rendre obligatoire la vaccination de certains personnels, dont ceux d'Aircalin. Qu'en pensez-vous ? Et qu'adviendrait-il des employés réfractaires ?

    Je ne pourrai avoir réponse à tout que lorsque j'aurai vu la loi. Notre position, au titre de l'obligation de sécurité et de santé des salariés, est de recommander fortement la vaccination. La question du vaccin obligatoire ou non, il faut y réfléchir. Et c'est bien qu'il y ait un débat sur le sujet. Le vaccin obligatoire existe déjà, notamment pour inscrire les enfants à l'école. Il est important de poser toutes les questions que cela soulève. Que se passe-t-il par exemple pour un personnel qui ne peut pas se faire vacciner ? Cela arrivera. Ce ne doit pas être un sujet tabou.

    Un agent d'enregistrement d'Aircalin contrôlé positif n'avait pas voulu se faire vacciner. Quelle proportion du personnel est aujourd'hui vaccinée ?

    Une majorité l'est, mais tout le monde n'est pas vacciné. Je ne sais pas si c'est un chiffre que je peux communiquer. Mais c'est plutôt de l'ordre des deux tiers.

    Quelques semaines plus tôt, un pilote en isolement à domicile avait également été contrôlé positif. Est-ce que ces cas ont fait évoluer les protocoles sanitaires ?

    Il faut prendre conscience que depuis un an, nos personnels vivent avec des contraintes sanitaires fortes et des protocoles stricts. Notre industrie est extrêmement réglementée. Les personnels de l'aérien sont rompus au respect de ces règles et habitués à toutes ces contraintes. Ils les appliquent bien. Je n'ai donc pas de doute que nos personnels appliquent le protocole défini par les autorités sanitaires. Et il y a un travail permanent de notre part pour leur rappeler l'importance de ces règles.

    À bord des avions, comment le risque est-il géré ?

    Dans le seul vol hebdomadaire de passagers, sur le tronçon Tokyo-Nouméa, les avions ne sont pas pleins car cela dépend de la capacité d'accueil dans les hôtels de quatorzaine. Une liste est agréée par le gouvernement. Le service à bord a été adapté pour minimiser les moments de contact. Et le personnel navigant porte le masque, comme les passagers d'ailleurs. Il y a du gel, des équipements individuels de protection sous forme de blouse, des visières, etc. Il y a une gestion spécifique pour les toilettes. Et à chaque retour, l'avion est entièrement désinfecté.

    Vols vers nulle part.

    Aircalin a opéré deux vols La Tontouta-La Tontouta, critiqués pour leur impact environnemental. « Les vols étaient complets et les retours, excellents. On ne s'est pas encore positionné pour d'autres vols, glisse Didier Tappero. On le fera s'il y a une demande. »

    Nouméa-Paris-Nouméa.

    L'an passé, Aircalin a opéré entièrement ses premiers vols jusqu'à Paris, via Tokyo. Si l'actionnariat est d'accord, ces rotations pourraient être reconduites.

    4 milliards d'euros. 

    La Commission européenne a approuvé, mardi, un projet de l'État français d'accorder cette aide à Air France, pour recapitaliser la compagnie.

    Et aussi...


      

    La livraison du dernier A320neo, dans le cadre du renouvellement de la flotte, est reportée à 2023 : « Ce quatrième avion, pour quoi faire ? On a un peu de temps encore pour s'y pencher. Aircalin, c'est un peu moins de 20 milliards de chiffre d'affaires. La moitié concerne le marché calédonien, l'autre, ce sont les marchés extérieurs : essentiellement l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et la France métropolitaine. Nous sommes donc une activité tournée vers l'export. Si nous sommes dans un schéma de redynamisation du secteur touristique et si nous souhaitons, d'ici 2 à 3 ans, revenir a minima sur le niveau de fréquentation touristique de 2019 qui avait progressé de 30 %, alors le quatrième avion est indispensable. »

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