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  • Elias HUUHTANEN / AFP | Crée le 12.11.2023 à 08h20 | Mis à jour le 12.11.2023 à 08h20
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    Dans le village d’Ittoqqortoormiit, une expédition scientifique a pour objectif de comprendre les effets du changement climatique sur le fjord Scoresby et ses habitants. Photo Olivier MORIN / AFP
    Le fracas des icebergs qui s’effondrent dans les eaux turquoise de l’est du Groenland, c’est l’alarme qui sonne pour l’un des écosystèmes les plus importants de la planète au bord de l’abîme. Alors que la glace fond comme peau de chagrin, dans le village d’Ittoqqortoormiit, l’une des dernières communautés de chasseurs inuits voit ses moyens de survie ancestraux menacés.

    Si la calotte glaciaire du Groenland renferme un douzième de l’eau douce de la planète – de quoi faire grimper le niveau de la mer de sept mètres en cas de fonte -, le changement climatique pourrait priver Ittoqqortoormiit, petite bourgade isolée, de sa seule source d’approvisionnement en eau potable.

    Des hivers froids, une glace robuste et une neige abondante constituent l’environnement naturel dans lequel ces Inuits, établis près du détroit Scoresby, ont coutume d’évoluer.

    Mais les températures dans l’Arctique augmentent aujourd’hui quatre fois plus vite que la moyenne mondiale.

    A Ittoqqortoormiit, à quelque 500 kilomètres de la colonie humaine la plus proche, il n’y a qu’une source d’eau potable : une rivière issue d’un lac, lui-même alimenté par un glacier qui fond.

    "Dans quelques années, il n’y aura peut-être plus rien", dit Erling Rasmussen responsable de la gestion de l’eau pour le village au sein de la compagnie publique Nukissiorfiit.

    Le dernier mois de juillet a été le plus chaud jamais enregistré à la station de recherche groenlandaise Summit Camp, au sommet de la calotte.

    "Les glaciers rétrécissent de plus en plus", poursuit M. Rasmussen. "Je pense qu’à l’avenir, pour boire, la ville devra chercher de l’eau dans l’océan".

    Transformer la glace en eau potable est énergivore et trop aléatoire, et d’autres petites communautés isolées du Groenland, comme Oqaatsut sur la côte ouest, ont déjà opté pour la désalinisation.

    Banquise amincie, ours affamés

    Autour du détroit Scoresby – le plus grand fjord sur Terre – libre de glaces un mois par an, durant les interminables hivers polaires les habitants dépendent de la viande fournie par les chasseurs.

    Les cargos n’atteignent Ittoqqortoormiit, à l’embouchure du fjord, qu’une à deux fois l’année. Leurs marins aguerris doivent alors zigzaguer entre d’immenses icebergs encombrant d’étroites passes.

    "Nous avons besoin de nos propres protéines animales. Nous ne pouvons pas nous contenter d’acheter de la viande danoise congelée", explique Jørgen Juulut Danielsen, enseignant et ancien maire du village.


    Caroline Bouchard, scientifique canadienne au Centre de recherche sur le climat du Groenland, et Eric Marechal (à gauche), directeur de recherche au Centre national français de la recherche scientifique (CNRS), observent un glacier. Photo Olivier MORIN / AFP

    Mais à mesure que le thermomètre monte et que la banquise s’amincit, la chasse traditionnelle aux phoques, qui consiste à traquer les pinnipèdes lorsqu’ils remontent respirer par des trous au travers de la glace, devient plus périlleuse.

    Le chasseur Peter Arqe-Hammeken a failli perdre sa femme et ses deux enfants quand la glace s’est dérobée sous leur motoneige lors d’une chasse en janvier par une température pourtant de -20°C.

    Son épouse s’en est sortie avec un muscle déchiré en extirpant l’aîné de 12 ans de l’eau glacée, raconte l’Inuit de 37 ans.

    Plus difficile aussi avec moins de neige d’utiliser les chiens de traîneau pour débusquer le bœuf musqué.

    Les humains ne sont pas les seuls affectés. L’affaiblissement de la banquise pousse désormais des ours polaires affamés à pénétrer dans le village en quête de nourriture.

    "Ici, vous voyez le réchauffement climatique"

    Nichés entre les montagnes rougeâtres du Rode fjord – le "fjord rouge", un fjord dans le fjord -, les glaciers, dont les parois bleutées se dressent depuis la mer, sont indispensables à l’écosystème.

    Les conditions extrêmes locales ont fait de cet endroit l’un des moins étudiés sur la planète.

    Après cinq ans de planification minutieuse, l’initiative scientifique française Greenlandia se hâte de documenter ce qui peut l’être sur ce poste avancé du changement climatique. Avant qu’il ne soit trop tard.

    Ces deux dernières décennies, l’immense calotte glaciaire du Groenland a perdu 4 700 milliards de tonnes, contribuant à elle seule à une hausse des océans de 1,2 centimètre, estiment des scientifiques danois spécialistes de l’Arctique.

    "Vous entendez parler du réchauffement climatique mais ici vous le voyez", témoigne le chef de l’expédition Vincent Hilaire auprès des journalistes de l’AFP embarqués à bord du voilier laboratoire, le Kamak.

    Réactions en chaîne

    La hantise de la scientifique québécoise Caroline Bouchard du Greenland Climate Research Centre à Nuuk, la capitale du Groenland, est que le recul des glaciers ne condamne le détroit Scoresby à devenir "un écosystème moins riche".

    Les glaciers qui se jettent dans la mer provoquent en effet une remontée d’eau, l’eau de fonte froide soulevant celle du fond du fjord riche en nutriments.

    Or, à mesure que les glaciers fondent et reculent vers l’intérieur des terres, cette belle mécanique s’enraye.

    La raréfaction des nutriments déclenche une réaction en chaîne : moins de plancton, donc moins de morue polaire, donc moins de phoques et d’ours, sources de protéines essentielles pour les habitants d’Ittoqqortoormiit.

    L’importance de la morue

    Sur le pont du Kamak, Caroline Bouchard vérifie le contenu de ses filets tandis que la lumière éclatante du soleil arctique illumine une myriade de formes de vie marine dans sa boîte de Petri de mise en culture.

    Dans son échantillon, au milieu des copépodes, plancton et petits crustacés krill, le nombre de larves de morue est passé de 53 l’an dernier à seulement huit cet été.

    Si, rappelle-t-elle, une analyse approfondie des résultats est nécessaire pour déterminer les causes de cette diminution, les chiffres sont étonnamment bas à ses yeux.

    La morue polaire est au "coeur de l’écosystème" de l’Arctique, souligne-t-elle.

    "Si vous faites soudainement chuter le stock de morue polaire, qu’adviendra-t-il du phoque annelé et de l’ours polaire ?"

    Avec toujours ce même ricochet : des conséquences catastrophiques pour les habitants du coin.

    "Ce n’est pas seulement Ittoqqortoormiit que l’on perd. C’est un mode de vie unique", déplore Mme Bouchard.

    "Neige de sang"

    De nouvelles recherches menées lors de l’expédition Greenlandia dessinent un tableau sombre pour l’avenir des glaciers : dans un fjord toujours plus chaud, une teinte rougeâtre se répand sur la glace et la neige.

    Derrière cette pigmentation surnommée "neige de sang", un type d’algue des neiges, Sanguina nivaloides, qui n’a été scientifiquement identifiée qu’en 2019.


    Le chasseur groenlandais Hjelmer Hammeken embarque un phoque mort sur son bateau dans le port d’Ittoqqortoormiit. Photo Olivier MORIN / AFP

    Lorsque la neige fond, cette algue se protège de l’intensité lumineuse en produisant un pigment rouge orangé. Mais ce faisant, cette couleur diminue la capacité de la neige à réfléchir la lumière du soleil, accélérant ainsi la fonte.

    Microscopiques, ces algues sont, selon des études, responsables de jusqu’à 12 % de la fonte annuelle de la calotte groenlandaise, soit 32 milliards de tonnes de glace. Un chiffre "colossal" pour les chercheurs.

    Un autre exemple de ces phénomènes d’emballement climatique : les émissions de gaz à effet de serre entraînent une hausse des températures, laquelle accélère la fonte des glaciers et favorise la croissance des algues, qui à son tour fait que le glacier absorbe encore plus de rayons solaires et de chaleur.

    Répercussions planétaires

    "Nous faisons face à une catastrophe", assène le Français Eric Maréchal, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

    Trente ans seraient nécessaires, selon lui, pour démontrer une tendance de cette ampleur. "Ce processus pourra-t-il être arrêté à temps ? Je ne le pense pas", lâche-t-il.

    En s’approchant d’un imposant glacier qui dévale une vallée abrupte à Vikingebugt (la "baie des vikings"), Vincent Hilaire, le chef de l’expédition, pointe son fusil vers une trace laissée dans la boue par un ours polaire.

    Mais pour ces chercheurs prendre le risque de traverser le pays de l’ours blanc en vaut la chandelle.

    Le contre-la-montre engagé contre le changement climatique oblige les équipes du CNRS et de Météo France à se hâter de collecter des échantillons de "neige de sang" susceptibles, avec les données satellitaires, de les aider à comprendre le comportement de l’algue.

    "Le risque que nous courons ici, c’est la disparition de tout un écosystème", explique Eric Maréchal.

    Or "s’intéresser à ce qu’il se passe au Groenland, c’est aussi comprendre la dynamique du dérèglement du cycle de l’eau à l’échelle de la planète et de la fonte majeure qui cause l’élévation des océans."

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