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    Nouvelle Calédonie
  • Anthony Tejero | Crée le 03.07.2025 à 18h15 | Mis à jour le 26.07.2025 à 14h28
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    Ces lycéens ont des ancêtres japonais, mais beaucoup d’entre eux ne disposent pas de beaucoup plus d’informations sur leurs origines. Photo Anthony Tejero
    Près de 150 lycéens ont assisté, mercredi 2 juillet, à une conférence sur l’histoire de l’immigration japonaise en Nouvelle-Calédonie. Des hommes venus travailler dans les mines qui ont été chassés du Caillou du jour au lendemain durant la Seconde Guerre mondiale, et qui ont parfois dû laisser derrière eux femmes et enfants. Plus de 80 ans après cet épisode sombre du pays, des milliers de Calédoniens ont des origines nippones sans forcément connaître l’histoire de leur famille, souvent passée sous silence. Témoignages.

    "Je sais juste que mon arrière-grand-père est un descendant de Japonais venu travailler ici. Chez ma grand-mère, il y a une photo de cet homme prise au kiosque à musique de la place des Cocotiers." Lou Toluafe, jeune métisse wallisienne futunienne et tongienne, est bien démunie quand il s’agit d’évoquer ses origines nippones, dont elle ne connaît presque rien, au contraire de ses racines polynésiennes. Le cas de cette adolescente de 16 ans est loin d’être isolé. Selon certains spécialistes, jusqu’à 10 000 Calédoniens auraient aujourd’hui une ascendance nippone, sans forcément le savoir ou du moins, sans pouvoir en raconter davantage.

    "Je ne connais même pas son nom"

    "Mon père m’a toujours dit que j’avais des origines japonaises, mais je n’ai pas d’autres informations, à part que cet ancêtre vivait à Koné. Je ne connais même pas son nom de famille, explique Maria Wiwane, 17 ans, bien résolue à faire la lumière sur ce pan méconnu de son histoire. Je ne sais pas encore comment, mais je vais entreprendre mes propres recherches et peut-être déjà en parler avec ma famille qui est nombreuse. C’est un peu frustrant de vivre avec un métissage dont on ne connaît rien."

    Excitation, gêne, tristesse, fierté… Des émotions contraires se mêlaient, mercredi matin, parmi les jeunes lycéens directement concernés par la conférence sur L’histoire des descendants japonais en Nouvelle-Calédonie à laquelle ils ont assisté. Un épisode sombre et encore largement méconnu du Caillou.

    Plus de 5 500 Japonais arrivés par convoi

    Pour rappel, de 1892 à 1941, plus de 5 500 Japonais se sont installés dans le pays pour travailler dans les mines de la SLN et contribuer à l’essor de l’industrie du nickel. Des convois essentiellement constitués d’hommes célibataires. Certains ont ainsi eu des compagnes et des enfants, qu’ils ont été contraints d’abandonner au lendemain de l’attaque de Pearl Harbor. Ces Nippons ont alors été systématiquement arrachés à leurs proches, dépossédés de leurs biens puis internés dans des camps en Australie avant d’être renvoyés, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, sur leur terre natale. Laissant derrière eux femmes, enfants et de longues années de non-dits, si ce n’est de "honte".

    C’est pourquoi le consulat nippon tenait à organiser cet événement auprès de lycéens, afin de "renforcer les liens" entre les deux pays et le sentiment d’appartenance de ces métisses. "C’est une histoire très dure qu’il est important d’apprendre pour ne pas l’oublier et ne pas qu’elle se répète un jour. Avant d’arriver ici, je n’imaginais pas qu’il y avait autant de descendants japonais sur ce territoire, glisse Yukko Hotta, cheffe du bureau consulaire, à Nouméa. C’est une initiative que nous souhaitons poursuivre, car connaître ses origines permet d’ouvrir de nouvelles perspectives à ces jeunes. Au fond, nous partageons cette même histoire tout comme ce même espace qu’est le Pacifique."


    En juillet 2020, alors qu’elle n’avait que 15 ans, Aurore Bonaventure a rencontré les descendants nippons de son arrière-grand-père à Okinawa. Photo Anthony Tejero

    Une région qu’Aurore Bonaventure a eu la chance d’explorer en se rendant à Okinawa en 2015, sur les traces de Kana Nakamura, son arrière-grand-père nippon. Une expérience et des rencontres inoubliables pour cette métisse de Boulouparis.

    "Retour aux sources et ouverture sur le monde"

    "J’ai pu rencontrer mes demi-frères et ma grand-mère là-bas. Je suis d’origine japonaise, mais j’ai d’autres origines aussi et le plus souvent, dans ma famille, on ne sait pas forcément ce qui s’est passé à l’époque. Ce que j’ai comme informations aujourd’hui, c’est donc ce que j’ai pu demander à ma famille d’Okinawa et ce qu’ils ont pu me raconter, témoigne la jeune femme désormais âgée de 30 ans, qui "conseille" à tous les jeunes du pays de se renseigner sur leurs racines. C’est toujours bien de savoir d’où l’on vient. Ce voyage, c’était à la fois un retour aux sources autour de ce passé noir qui a été souvent gardé secret, et une ouverture sur le monde. La richesse des échanges et de ces rencontres, au niveau humain, m’a également beaucoup apporté."

    "Toute la communauté des descendants de Japonais s’est tue complètement pendant 50 ans"


    Marie-Josée Michel a été la présidente de l’amicale japonaise de 1984 à 2005, puis consule honoraire du Japon en Nouvelle-Calédonie, de 2005 à 2020.

    Entretien avec Marie-Josée Michel, descendante de Japonais et spécialiste de l’histoire nippone en Nouvelle-Calédonie

    Vous réalisez un travail de recherche de descendants japonais en Nouvelle-Calédonie. Quelles sont les plus grandes difficultés que vous rencontrez ?

    On connaît l’histoire de l’émigration japonaise jusqu’en 1941, au moment du drame de Pearl Harbor. Mais à partir de là, lorsque les Japonais émigrés ont été "ramassés" et envoyés dans des camps en Australie, toute la communauté des descendants de Japonais s’est tue complètement pendant 50 ans. Ce n’est qu’en 1992, lorsque l’amicale japonaise a célébré le centenaire de la présence en Nouvelle-Calédonie, qu’on a pu se rendre compte qu’on avait mis une chape de plomb sur les faits, sur les constats, sur la détresse de ces familles qui avaient perdu un père et un mari.

    On le retrouve encore cinq à six générations après. Il y a des troubles identitaires chez des jeunes qui ne savent pas d’où ils viennent. Ils savent juste que le grand-père ou l’arrière-grand-père a dit qu’il avait des origines japonaises. C’est une situation très compliquée pour ces enfants. Et donc c’est ça la plus grande difficulté : quand on s’est caché, quand on a eu la honte, quand on s’est tu, on a oublié les archives et on n’a rien noté. C’est pourquoi je rencontre des enfants, des lycéens, des étudiants, qui sont à la recherche de leur famille.

    Comment ces jeunes peuvent-ils s’y prendre pour retrouver leurs racines nipponnes ?

    À l’amicale japonaise, il nous faut absolument avoir au moins le nom de l’ancêtre, son prénom et son lieu de naissance. Avec ces trois indices, on a près de 1 300 Japonais émigrés enregistrés dans nos archives. Et on est capable de situer s’ils étaient à Paagoumène, dans une mine de Koné ou de Thio, etc.

    On se sert également des archives australiennes, qui sont très complètes, puisque ces émigrés sont partis en internement dans les camps de cette île. Et là, ils ont des fiches d’immigration avec tous les détails, les signes particuliers, etc.

    Pour les familles originaires d’Okinawa, qui est une petite île à l’image de la Nouvelle-Calédonie où les réseaux sont très serrés, très bien maillés, on arrive à retrouver facilement ces ancêtres. Sauf que quand ils viennent d’ailleurs, c’est beaucoup plus difficile. Mais on a pour cela des spécialistes de l’émigration japonaise en Nouvelle-Calédonie qui nous aident.

    Il y a des troubles identitaires chez des jeunes qui ne savent pas d'où ils viennent.

    Justement, d’où viennent les Japonais qui sont arrivés en Nouvelle-Calédonie ?

    Ce sont les régions les plus pauvres, au sud du Japon, parce que ces personnes se sont embarquées dans cette aventure pour des raisons économiques. À l’époque, le Japon était pauvre : il y avait des difficultés, une grosse population, etc. Des jeunes vont donc s’expatrier pour aller gagner de l’argent à l’extérieur. Ces personnes viennent notamment de tout le bassin sud d’Okinawa, un archipel qui se trouve tout à fait au sud de la grande île de Kyushu. Mais beaucoup viennent également de Kumamoto, qui était la région d’où venaient mes deux grands-pères par exemple.

    D’un point de vue plus personnel, pourquoi vous êtes-vous emparée de cette histoire au point d’en devenir l’une des spécialistes ?

    Je suis une passionnée et je suis une militante, parce que j’ai eu un très gros sentiment d’injustice. L’une de mes grands-mères était la concubine de ce Japonais Matsumoto et d’un coup, elle a perdu son mari, son soutien de famille, qui a été envoyé dans des camps, puis directement à Kumamoto. Et elle me racontait tellement de belles choses sur sa vie du temps des Japonais. Or, du jour au lendemain, tous ces Japonais qu’on disait travailleurs, bienveillants, gentils et généreux ont été internés et faits prisonniers. Il s’agissait de civils, ce n’étaient pas des militaires. Quand je parle des troubles identitaires dans la communauté, pendant très longtemps, les enfants issus de couples mixtes ont porté le poids de cette tragédie.

    On estime qu’aujourd’hui près de 10 000 Calédoniens ont une descendance, de près ou de loin nippone…

    Oui, absolument, ça fait beaucoup de personnes, même si ces origines se diluent au fil du temps. En ce qui me concerne, je suis de la troisième génération et c’est finalement la génération charnière parce que nos pères n’ont pas parlé, tellement le poids était lourd. Ils se sont sacrifiés pour élever leurs enfants. Et nous, nous portons cette souffrance, et c’est pour ça qu’on veut la faire connaître, et qu’on veut perpétuer l’histoire de cette émigration, parce que ça fait partie de l’histoire calédonienne.

    On a vu de nombreux jeunes qui n’ont même pas le nom de famille de leurs ancêtres, est-ce qu’il est trop tard pour retrouver leurs origines ?

    Non, à condition qu’ils parlent avec leurs vieux. Il faut qu’ils parlent avec leur famille, avec leurs voisins, etc. Il suffirait peut-être d’un nom ou d’un lieu pour que ça déclenche quelque chose. C’est un vrai puzzle, on ouvre un tiroir, dès qu’on a trouvé, on le referme, et puis il faudrait ouvrir un autre tiroir. C’est possible, mais il faut de la volonté. Je pense qu’il est important de vivre avec ce métissage et de le porter. À partir du moment où vous savez d’où vous venez, vous pouvez aller beaucoup plus loin dans la vie.

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