- Propos recueillis par Anne-Claire Pophillat | Crée le 08.08.2025 à 12h28 | Mis à jour le 21.08.2025 à 17h15ImprimerProfesseur de géographie, Matthias Kowasch connaît bien le secteur du nickel calédonien, sur lequel il a réalisé sa thèse entre 2006 et 2010. Il est également passé par l’UNC et revient régulièrement sur le territoire. Photo A.-C.P.Professeur de géographie à Sorbonne Université, Matthias Kowasch a animé une conférence à l’UNC sur les enjeux socio-économiques et l’avenir de la filière nickel en Nouvelle-Calédonie jeudi 7 août. Le spécialiste est convaincu que l’industrie métallurgique peut se relever, mais à plusieurs conditions. Trouver un débouché à la production, résoudre la question du coût de l’énergie, disposer d’une forte acceptation sociale, développer une doctrine commune et peut-être réduire les objectifs de production. Entretien.
Vous avez entrepris vos travaux de recherches il y a près de vingt ans. Depuis, deux usines sont entrées en production, dont une qui est aujourd’hui à l’arrêt. Comment analysez-vous la situation ?
Quand je suis allé à Koné en 2007, c’était une sorte de ruée vers l’or. Tout se construisait. Des lotissements, des centres commerciaux, une piscine, un complexe culturel, etc. Aujourd’hui, beaucoup de lotissements sont vides. Certains hôtels ont fermé. C’est la crise économique. Beaucoup de monde a perdu son travail dans le Nord. C’est frappant de voir cela. Et quand je suis allé à Yaté, j’ai trouvé que rien n’avait changé. C’est resté comme avant la construction de l’usine de Goro. On se demande forcément où va l’argent de l’usine. On sait qu’avec les multinationales, une bonne partie des bénéfices quittent le pays au détriment du développement local. Il faut mettre en place des outils pour changer la donne.
Le deuxième constat, c’est que le nickel est une industrie très dépendante du marché mondial. La Kanaky-Nouvelle-Calédonie a toujours connu, depuis 150 ans, des hauts et des bas. L’industrie minière fonctionne par cycles, c’est sa nature même. Je pense que quand on mise dessus, c’est pareil pour le pétrole, il faut nécessairement investir dans d’autres secteurs économiques pour réduire la production minière et moins détruire l’environnement. Et, comme le fait par exemple la Norvège, créer un fonds pour les générations futures.
N’y a-t-il pas, au-delà des hauts et des bas du marché mondial, d’autres problématiques en Nouvelle-Calédonie, comme les conflits sur les terres, la gestion des industries, la stratégie, etc., qui compliquent le redémarrage du secteur ?
Oui. On en a discuté avec l’Adraf (Agence de développement rural et d’aménagement foncier, NDLR). Bien souvent, quand il y a un projet économique sur terre coutumière, des conflits fonciers se révèlent. Le développement économique est presque toujours inégal. L’industrie minière l’est aussi. Il y en a qui profitent, d’autres moins. Même si on essaie de compenser et de mieux distribuer la richesse. Selon Jean-Louis Thydjepache, le directeur des relations avec les communautés à KNS, cela reste une grande problématique : "Comment distribuer la richesse ?" De quelle façon et avec quels instruments ? Au niveau du pays, de la province, de la commune, des clans, etc. ?
La métallurgie a un avenir en Nouvelle-Calédonie, considérant les besoins de l’Union européenne. Le nickel fait partie des matières premières critiques et stratégiques.
L’ancienne directrice d’Eramet, Christel Bories, estime que la métallurgie n’a plus d’avenir en Nouvelle-Calédonie. Souscrivez-vous à ces propos ?
Quand on regarde l’économie calédonienne, le secteur du nickel joue un rôle tellement important, qu’on ne peut pas l’arrêter du jour au lendemain. C’est, en valeur, plus de 90 % des exportations. En plus de tout ce qui est indirect, induit avec la sous-traitance. L’idée est d’avoir une base avec le secteur nickel, qui permette ensuite de diversifier l’économie et de miser sur d’autres secteurs pour ne pas faire l’erreur de rester tout nickel. Il faut commencer dès maintenant. À moyen et long termes, il s’agit d’avoir une économie plus solidaire basée sur les besoins locaux et moins dépendante du marché mondial.
Eramet a des intérêts qui ne sont plus ici. Le groupe a investi à Weda Bay, et tire beaucoup plus de profits en Indonésie. Premièrement, l’usine SLN est très vieille. Deuxièmement, en Indonésie, le coût de l’énergie est moins cher, notamment parce que le pays possède un secteur d’extraction de charbon sur place et que l’énergie est subventionnée. La Chine a massivement investi en Indonésie, au niveau de l’extraction minière mais aussi de la transformation. En 2021, l’Indonésie possédait déjà 21 usines, et ce chiffre devrait encore doubler dans les décennies à venir, construites avec la technologie chinoise. La Chine produit 3 % de la production mondiale de nickel, mais en consomme 60 %, donc elle a intérêt, pour sa propre industrie, à sécuriser son approvisionnement. Elle le fait via l’Indonésie. La main-d’œuvre n’y est pas chère, les règles environnementales ne sont pas aussi strictes, etc. Donc la Nouvelle-Calédonie a beaucoup de mal à concurrencer le nickel indonésien.
Malgré cela, la métallurgie a un avenir en Nouvelle-Calédonie, considérant les besoins de l’Union européenne. Le nickel fait partie des matières premières critiques et stratégiques. Certes, l’UE peut acheter en Indonésie, mais sa réglementation précise qu’elle ne peut pas importer plus de 60 % d’une matière première stratégique et critique à un seul et même pays, elle doit diversifier son approvisionnement. Et l’Union européenne ne souhaite pas être dépendante de la Chine.

L'avenir de la SLN est incertain. Si un prêt de 12 milliards de francs lui a été octroyé par l'État en avril, il ne lui permet de tenir que jusqu'à la fin de l'année. Photo Archives A.-C.P.Est-il crédible d’envisager que l’Union européenne se fournisse en nickel calédonien ?
Elle a tout intérêt à le faire, même si elle paye un peu plus cher. Elle pourrait avoir un label "production locale", plus responsable… Après, ce sont des négociations politiques. La France doit aussi jouer un rôle avec les acteurs politiques locaux.
Pour le moment, on est obligé de continuer à vivre avec ce handicap de l’énergie.
Si l’Europe se positionnait clairement sur le nickel calédonien, cela faciliterait-il la reprise des usines ?
Oui, je pense, parce que pour un investisseur, le fait de savoir qu’il peut vendre est rassurant. Il pourrait transformer sur place et approvisionner des usines de production de batteries en Europe.
N’est-il pas trop tard ?
La demande n’est pas encore tarie, elle va se poursuivre. Il est tard, mais pas trop tard pour s’accrocher au train.
Le coût élevé de l’énergie est l’une des plus grosses difficultés pour l’industrie. Comment faire pour le réduire ?
Le charbon contribue fortement au réchauffement climatique. La France, comme la Commission européenne, ne veut plus de cette énergie non renouvelable. Pour le moment, on mise sur le gaz naturel. Et on pourra essayer de diversifier avec du solaire ou de l’hydrogène dans le futur. Mais, en attendant, on est obligé de continuer à vivre avec ce handicap de l’énergie.
Lors des discussions sur l’accord de Bougival, à Paris, l’idée d’avoir deux usines, une dans le Nord et une dans le Sud, aurait été évoquée. Est-ce que cela vous paraît aller dans le bon sens ? Est-il temps de redéfinir la doctrine nickel ?
C’est un moyen pour relancer l’économie et peut-être même un levier pour la diversifier. Je pense que pour les trois usines, peut-être deux – voire une – dans le futur, la première des choses serait que tous les acteurs définissent un projet commun pour le nickel calédonien, qui ne mettrait pas en concurrence le Sud et le Nord. Pourquoi ne pas fabriquer des produits différents à Koniambo et à Goro…
Je pense que deux usines, c’est largement suffisant.
Est-ce que cela signifie qu’il pourrait y avoir une production de matte et de ferronickel par exemple ?
Exactement, que ça soit complémentaire, et pas l’un contre l’autre. Sinon, c’est encore plus difficile. Et là, il faut se mettre d’accord, ça pourrait même être un seul opérateur pour les deux usines. Déjà, je pense que deux usines, c’est largement suffisant. Et puis, il y a la possibilité de l’export de minerai brut, qui rapporte actuellement plus de bénéfices. Et puis, il sera important de réduire la production et la consommation de nickel et d’autres matières premières, non seulement en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, mais à l’échelle mondiale, dans un modèle de décroissance économique.
Faut-il augmenter les autorisations d’exportation ?
Peut-être, oui. Mais, il s’agirait d’une phase de transition. À long terme, la priorité est de transformer sur place. L’Indonésie a protégé son marché en interdisant l’exportation de minerai brut depuis 2020 dans l’objectif de protéger son économie. La Nouvelle-Calédonie ne peut pas concurrencer, donc il faut des partenariats établis, comme l’Union européenne, pour avoir des contrats et ainsi savoir où on peut exporter. À Goro, ils voulaient produire pour les batteries de Tesla, mais rien n’a encore été vendu. Tesla demande que certaines conditions soient remplies, ce qui n’a pas encore été fait.
Il est beaucoup question de nickel batterie, mais est-ce le seul débouché possible du nickel calédonien ?
La grande consommation de nickel reste la production d’acier (inox). Donc, il ne faut pas uniquement penser nickel batterie.
Le directeur de la SLN a proposé d’utiliser le minerai de Koniambo et de le transformer à la SLN. Est-ce que cela pourrait être une solution transitoire ?
Politiquement, c’est délicat, mais d’un point de vue purement économique, pour une phase transitoire bien définie, pourquoi pas.
Un nickel "responsable"
Le développement durable est l’autre spécialité du professeur de géographie de Sorbonne Université, à Paris. L’idée d’un label nickel "vert" est évoqué depuis plusieurs années pour la production calédonienne. Pour Matthias Kowasch, cette expression est "un euphémisme". "Comme quand on parle de mine durable. Pour moi, ça n’existe pas. En revanche, on peut dire une mine responsable", explique le spécialiste, pour qui ce terme regroupe le fait d’intégrer les populations locales, de miser sur les énergies renouvelables, de diminuer les impacts environnementaux, de reboiser les anciennes mines, de réduire la production, etc. "Les industriels qui disent 100 % propre, c’est un mensonge. Il y a des résidus toxiques, des effets d’érosion, le nickel est une ressource non renouvelable, comme d’autres métaux."
Le nickel calédonien serait donc plutôt "responsable". "Je pense qu’on fait des efforts, mais pas encore assez. Il y a toujours des améliorations à faire. J’ai visité, par exemple, en Autriche, une mine de fer qui fonctionne uniquement à l’électrique. Les camions montent sur mine avec des lignes électriques aériennes."
Pour ceux qui souhaiteraient approfondir le sujet, l’article "Fluctuations du marché du nickel et impacts locaux en Nouvelle-Calédonie – Kanaky" est disponible sur le blog Beyond hot air, consacré au nickel.
Un livre sur la Nouvelle-Calédonie
Matthias Kowasch, dont le travail porte "principalement sur la gouvernance des ressources naturelles et minières, ainsi que l’éducation au développement durable", a assuré deux conférences publiques en Nouvelle-Calédonie, une à Koné et une autre à l’université de Nouville, sur les enjeux socio-économiques et l’avenir de la filière nickel en Nouvelle-Calédonie.
Il est également venu présenter un ouvrage collectif sorti en 2024, Geographies of New Caledonia – Kanaky, auquel ont participé une trentaine d’auteurs et qui a nécessité six à sept ans de travail de préparation. Les 21 chapitres, rédigés par des chercheurs de l’IRD, de l’IAC, de l’UNC, des représentants coutumiers, mais aussi par des chercheurs australiens, canadiens, allemands et français, portent sur "la pêche, l’agriculture, la biodiversité, la protection environnementale, la mine, le développement urbain, les langues kanak, l’éducation, la décolonisation, les référendums d’autodétermination, le rôle de la femme en politique, etc., c’est très divers et permet de brosser un portrait du pays. Après, ce n’est jamais complet, il n’y a pas de chapitre sur le rôle de la religion ou le changement climatique, par exemple", explique Matthias Kowasch.
Le livre, rédigé en anglais, vise notamment à faire connaître le territoire aux chercheurs des pays anglophones voisins, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Fidji, etc. L’ouvrage sera bientôt en vente à la librairie CalédoLivres. Il est également accessible gratuitement en version numérique sur le site de l’éditeur, Springer.
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