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    Nouvelle Calédonie
  • Charlie Réné / charlie.rene@lnc.nc | Crée le 15.05.2018 à 05h40 | Mis à jour le 15.05.2018 à 07h49
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    Infographie Patricia Crezen
    Souvent laissée de côté par les politiques, car trop sensible, la question de la politique foncière ressurgit. 30 ans après la création de l’Adraf d’État, des discussions sont en cours pour faire évoluer les missions

    Les questions foncières n’étaient pas à l’ordre du jour de la visite présidentielle. Et pourtant, dans son discours de clôture, le 5 mai, Emmanuel Macron, au détour d’une réflexion sur la « souveraineté alimentaire », dont la Nouvelle-Calédonie est très loin, y a fait une allusion appuyée. « Nous avons un grand travail à produire pour mieux mobiliser le foncier et changer les règles, avec une structuration juridique et financière qui permettra d’exploiter davantage les terres et de les exploiter mieux », a-t-il ainsi déclaré au Théâtre de l’Île, notant que « l’espace ne manque pas » sur le Caillou. Une référence aux chantiers lancés par les autorités, notamment la province Sud, pour avancer vers « l’autosuffisance » agricole. Mais aussi au travail beaucoup plus discret entamé à propos de l’Adraf. Depuis 2016, les groupes politiques discutent sous l’égide du haussariat, de l’avenir de cette Agence de développement rural et d’aménagement foncier, qui, depuis 1988, sous la tutelle de l’État, gère la redistribution de terres aux clans kanak revendicateurs, leur sécurisation et leur valorisation. Le document issu de ces discussions, et qui évoque les conditions d’un transfert prévu par l’accord de Nouméa mais jamais réalisé, a été présenté lors du dernier Comité des signataires. Et n’a fait l’objet que de très peu de commentaires publics depuis. Le consensus est là mais la « validation politique » prend du temps.

    Trente ans après la poignée de main et quarante après le début de réforme foncière, la question est toujours sensible. L’actualité récente l’a montré. En mars, plusieurs dizaines d’agriculteurs, « exaspérés » par des panneaux - à La Tontouta, notamment -, des courriers ou des actes de délinquance - abattages, menaces… - interpellaient le gouvernement sur « la recrudescence des revendications foncières ». Un sentiment que les chiffres de l’Adraf, qui a reçu quarante courriers dont une vingtaine de nouvelles revendications en 2017, un chiffre stable, voire en légère baisse, ne confirment pas. Mais derrière l’inquiétude, le débat se prépare. Pendant qu’Emmanuel Macron attirait tous les regards, Emmanuel Hyest, était, lui aussi, en visite. Le président de la fédération nationale des Safer, sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural qui aident, en Métropole, les exploitants à accéder à la terre, avait été invité par la FNSEA. « On est à un moment important, explique David Perrard, le chef de file local du syndicat agricole, dont Emmanuel Hyest est d’ailleurs issu. Ce qui se dessine, c’est une convention avec les Safer et le gouvernement pour qu’elles puissent nous apporter leur expertise ». Une perspective confirmée par Nicolas Metzdorf qui pointe un « besoin urgent de nouveaux outils ». D’après l’Adraf, le prix moyen de l’hectare sur le marché rural a été multiplié par six depuis 2000, rendant les installations d’agriculteurs - et la redistribution foncière, d’ailleurs - difficiles. « Les propriétaires calédoniens vieillissent, beaucoup de terrains doivent changer de main dans les 5 à 10 ans, reprend l’élu. Sans outils juridiques et financiers pour réguler le marché foncier, il va y avoir une vraie crise pour le secteur ».

    Les missions… et les finances
    Faire évoluer les missions de l’Adraf ? C’est ce que dessine le document d’orientation présenté à Paris. « L’idée, c’est que la réforme foncière continue, mais avec plus de sécurité pour les terres privées, confie un élu côté indépendantiste. Et avec une agence qui insiste sur la valorisation agricole, que ça soit du privé ou du coutumier ». Rien n’est fait. Certains, comme les Républicains calédoniens ont approuvé le document, mais sont pour l’instant hostiles à un transfert. « On a épuisé les termes du débat sur l’outil, mais il y a la question de la politique foncière que l’on mènera avec qui reste sur la table », note Louis Mapou de l’UNI. Et surtout, il y a la question des finances. « Pas question de transférer avec le périmètre budgétaire actuel », insiste-t-on à Calédonie ensemble. En 2017, l’Adraf a touché 181 millions de francs des ministères parisiens, la majeure partie de ses recettes, et disposait au final d’une soixantaine de millions pour l’acquisition foncière. Bien peu à côté des enjeux. Les négociations se mènent donc aussi avec l’État


    Entretien avec Jean-François Nosmas, directeur général de l'ADRAF

    L’Adraf a été créée il y a 30 ans. Ses missions sont-elles toujours les mêmes ?

    Oui, mais le contexte a évolué. La mission première de l’agence depuis sa création est de mener la réforme foncière avec dès le départ une idée de rétrocession aux clans kanak revendicateurs, mais aussi de mise en valeur. Dans les premières années, l’urgence pour l’Adraf d’État était de redistribuer le foncier accumulé par les opérateurs précédents. Petit à petit, on s’est habitué à la réalité du terrain et aux grands besoins d’accompagnement, de clarification des droits de chacun sur les terres attribuées. Cette « sécurisation foncière » est aujourd’hui une des missions principales.

     

    L’Adraf fait-elle de moins en moins de redistribution ?

    En 40 ans de réforme foncière, 30 ans d’Adraf d’État, un travail considérable a été mené : on a répondu à une bonne partie des revendications posées. C’est ça qui explique que la redistribution est bien moindre mais il y a aussi des raisons pragmatiques : les finances. On intervient en zone rurale - et périurbaine -, où le prix des terrains a explosé à partir des années 2000. Conjugué à une baisse de nos subventions, provenant à plus de 90 % de l’État, ça nous donne des capacités d’actions limitées. Le budget d’acquisition pour 2018, c’est 60 millions là où les terrains à potentiel agricole se vendent 1 à 2 millions de francs l’hectare. On a tout de même un stock important, près de 9 000 hectares, dont la plupart sont des terrains acquis voilà des années, et qu’on fait en sorte d’attribuer. Le rythme était plutôt bas en 2017 - 200 hectares - mais vu les décisions du conseil d’administration, on est quasiment sûr d’attribuer au moins 900 hectares en 2018.

     

    Certains regrettent que les terrains attribués ne soient pas suffisamment mis en valeur…

    Une fois les attributions faites, les clans et les familles sont chez eux, ils ont leur vision de l’aménagement, qui peut dépendre de leurs moyens. Ce qu’on voit, c’est que la réappropriation du foncier prend du temps, et c’est normal, mais elle se fait petit à petit, avec de plus en plus de volonté d’entretenir l’espace, et d’y être présent. Des réflexions sont lancées. Toutefois il ne faut pas être angélique : sur beaucoup de terrains, il ne se passe pas grand-chose à cause de problèmes d’organisation dans les GDPL* ou de désaccords. Le rôle de l’Adraf, c’est souvent de rappeler l’histoire et le fonctionnement à ceux qui ont tendance à l’oublier - des jeunes parce qu’ils n’étaient pas là quand il y a eu des accords, ou d’autres qui représentent des clans ou des familles mais finissent par se comporter presque en propriétaires privés. La fédération des GDPL ou le Sénat coutumier interviennent aussi sur ces sujets mais le travail est immense. L’Adraf a déjà fait des propositions de textes réglementaires sur le renouvellement des membres des GDPL ou sur la transparence.

     

    L’Adraf d’État a été créée par des accords politiques dont on arrive au terme. Qu’est-ce que ça implique pour l’agence ?

    L’avenir de la réforme foncière est bien sûr un sujet hautement politique et il est discuté par les élus. Ce que l’on peut dire, c’est qu’il est clairement l’heure de faire des bilans et d’adapter les outils à leur contexte. On sait que le sujet du foncier est sensible, ça n’est pas un hasard si on est le dernier établissement à ne pas avoir été transféré, mais il est central pour les politiques de développement et d’aménagement. Ce qui me frappe, c’est cette tendance à compartimenter : le coutumier d’un côté, le privé de l’autre, le domaine… Sur le terrain, c’est beaucoup plus imbriqué : de plus en plus de Kanak sont propriétaires privés, il y a 14 000 hectares de terres coutumières en location, dont plus de 9 000 à des non-Kanak, des occupations des zones domaniales… Je pense qu’il est temps d’avoir une politique foncière au sens large avec des positionnements clairs.

     

    Pour vous, est-il envisageable de décréter la fin de la réforme foncière ?

    La réforme d’envergure est derrière nous, ça ne fait aucun doute. Mais il y a de la revendication non traitée, on reçoit des gens toute l’année. À minima il faudrait regarder la situation de chaque clan et de chaque famille qui revendique.

    On a des familles qui sont à l’étroit, des terrains qui sont à risque, comme à Houaïlou, des inquiétudes sur l’érosion… Après on peut être imaginatif : on peut répondre à certaines revendications autrement qu’avec des attributions, par exemple en travaillant sur les noms, sur des symboles…

    * Le groupement de Droit Particulier Local, créé en 1988, rassemble des familles et des clans.

     

    Repères

    Quatre opérateurs en 40 ans
    C’est le plan Dijoud, en 1978, qui donne l’impulsion à une réforme foncière « dans la perspective du respect des droits historiques des communautés mélanésiennes ». Menée par la Nouvelle-Calédonie, elle est confiée en 1982 à l’Office foncier (État), qui multiplie les acquisitions et agrandit les réserves. En 1986, l’Adraf est créée en tant qu’établissement public du territoire, qui favorise les exploitations agricoles individuelles. Au terme de l’accord de Matignon, l’Agence est refondée et placée dans le giron de l’État : le critère du lien à la terre devient le principal moteur.

    « Sans consensus, on n’avance pas »
    Les agents de l’Adraf, fins connaisseurs du milieu coutumier et techniciens fonciers, s’efforcent de « mettre autour de la table » clans et familles pour trouver un consensus sur une attribution ou une organisation. L’agence, souvent appelée en cas de conflit, garde une trace des accords passés et les numérise.

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