- LNC | Crée le 02.03.2025 à 05h00 | Mis à jour le 02.03.2025 à 05h00ImprimerInnocent Grimigni et son épouse Marie-Nonce, vers 1910 à Pouembout.Venu de l'île de Beauté avec un casier judiciaire bien rempli, Innocent Grimigni est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Grâce à une mise en concession accélérée, le cultivateur de toujours regagnera sa liberté à la force de ses bras, récolte après récolte. Auteure d'un mémoire universitaire sur l'histoire de sa famille, Laura Merer dresse le portrait de son ancêtre au cinquième degré, de sa déchéance à sa rédemption. Retour sur la vie d'Innocent Grimigni dans ce 41e épisode de notre sage consacrée aux familles issues du bagne.
"Ce n'était pas lui. Innocent n'avait rien fait, c'est son frère qui avait commis un crime. L'aîné avait payé pour sauver le cadet, qui était trop jeune pour la prison. Voilà comment l'histoire de notre ancêtre bagnard s'est transmise dans la famille pendant des décennies. Sans ignorer la raison de son arrivée en Calédonie, c'était une façon de se voiler la face. Avec un prénom pareil, il faut avouer que l'alibi était parfait. En me lançant dans les recherches, j'ai rapidement découvert la vie de mon aïeul telle qu'elle s'est véritablement déroulée : c'était bien lui."

Laura Merer Etudiante à l'Université de Nouvelle-Calédonie, Laura Merer avait un faible pour la géographie. L'histoire a repris le dessus au fur et à mesure de la plongée au cœur des aventures familiales."Ce que je sais d'autre à propos de sa vie en Corse, ce sont les condamnations successives qui me l'ont appris."
"Innocent Grimigni est Corse. Cuttoli-Corthicchiato, c'est le nom du petit village près d'Ajaccio où il est né, le 22 mars 1835. Ses parents, Noël et Marie-Angèle, sont cultivateurs, il le sera donc aussi. En 1858, à l'âge de 23 ans, Innocent épouse Marie-Nonce Micheletti, avec qui il aura six enfants. Ce que je sais d'autre à propos de sa vie en Corse, ce sont les condamnations successives qui me l'ont appris. Avant la sentence finale qui l'enverra au bagne de Nouvelle-Calédonie, Innocent effectue trois séjours en prison. Quinze jours de cellule pour coups et blessures en 1856 à l'âge de 21 ans, deux mois pour "tentative d'évasion par bris de prison" dix ans plus tard, et enfin huit jours pour "délit rural" en 1877, à 42 ans. La quatrième et dernière infraction est la plus grave, et de loin. Homicide volontaire avec préméditation. Tout est parti d'une querelle de voisinage, comme souvent en ces temps-là. Le châtiment sera exemplaire. Le 7 juin 1880, la cour d'assises de Bastia condamne Innocent aux travaux forcés à perpétuité."
L'aubaine de Pouembout
Le 26 juillet suivant, le transporté numéro 12259 est embarqué à bord de la Loire. Direction le centre de dépôt du pénitencier de l'ile Nou, où il arrive le 22 janvier 1881. Dans son malheur, mon ancêtre a un peu de chance. L’État français est pressé de voir les condamnés devenir des colons. Les dépêches du ministère des Colonies somment l'administration pénitentiaire locale d'accélérer le rythme. "Je ne saurais trop insister, Monsieur le Gouverneur, sur la nécessité de hâter la mise en concession des transportés parvenus à la première classe", dit l'une d'elles. La création du pénitencier agricole de Pouembout, en 1883, va extraire Innocent des quatre murs de l'île Nou, deux ans seulement après son arrivée. Une aubaine pour un condamné à perpétuité qui n'avait même pas atteint la première classe.
Les bonnes récoltes lui valent même des lots supplémentaires, et en 1885, on autorise sa femme Marie-Nonce et les enfants à le rejoindre sur la concession
Quatre hectares de bonne terre et six hectares de terre à pâturage, c'est le lot qu'on lui attribue. Innocent était déjà cultivateur en Corse, il n'aura aucune difficulté à respecter le calendrier de mise en valeur que lui impose l'administration sous peine de dépossession de ses terres. Les bonnes récoltes lui valent même des lots supplémentaires, et en 1885, on autorise sa femme Marie-Nonce et les enfants à le rejoindre sur la concession.

Pouembout, vers 1885. Innocent, Marie-Nonce, et trois de leurs enfants, Martin, Noël et Marie Innocente.Après cinq années de séparation, la famille Grimigni est réunie. Elle va même s'agrandir, l'année suivante, avec la naissance d'un septième et dernier enfant. Il est temps pour Innocent de tourner progressivement la page du bagne.
En 1900, sa condamnation à perpétuité est commuée en dix ans de travaux forcés à compter du 14 juillet de l'année. Dix ans plus tard, jour pour jour, sa libération est prononcée. Il vivra dix années de plus en homme libre, avant de s'éteindre le 3 mai 1920. L'héritage d'Innocent, le voici : une existence à la dure, faite de travail de la terre et d'élevage, et une famille unie dans l'effort de survie. Les enfants aidaient leur père sur la concession familiale, ils poursuivront les travaux agricoles avec acharnement.
Parmi eux, Martin connaîtra une réussite particulièrement éclatante pour un fils de bagnard.
Le fils prend la revanche du père
"En plus de son activité de cultivateur à Pouembout, mon arrière-arrière-grand-père prend un emploi de contremaître dans les mines de Tiéa pendant quelque temps, pour compléter ses revenus. Il faut bien cela pour accueillir sa compagne, Marcelle Sarah Folger, originaire de Hienghène, et pour faire vivre leurs trois premiers enfants, Catherine, Charles et Yves.

Pouembout, vers 1920. Martin et Marcelle Grimigni, assis au centre, entourés de leurs enfants.Le couple se marie en 1902 et tient un commerce, le Comptoir de Pouembout. Les affaires vont bon train et Martin continue le travail sur la concession. Les ressources sont suffisantes pour accueillir sept autres enfants, qui naîtront entre 1903 et 1919. En 1920, le Comptoir est vendu pour financer un grand projet : l'achat du plus gros bâtiment du village.
Martin rachète la maison de l'homme qui avait tous les droits sur son père dix ans plus tôt. Une belle ironie du sort.
Cette villa coloniale est tout simplement l'ancienne maison du commandant du pénitencier de Pouembout. Martin rachète la maison de l'homme qui avait tous les droits sur son père dix ans plus tôt. Une belle ironie du sort. Cette maison, qui deviendra le château Grimigni, était le sujet de départ de mon mémoire. Martin et Marcelle s'approprient l'endroit en l'aménageant en un hôtel-restaurant. La cuisine de la patronne en fait rapidement une adresse réputée jusqu'à Nouméa, mais il en faut plus pour satisfaire l'appétit dévorant de l'homme de la maison.

Pouembout, vers 1900. La maison du commandant du pénitencier agricole, qui deviendra plus tard le château Grimigni. Le bâtiment a été revendu par Martin en 1959, et il abrite aujourd'hui la bibliothèque municipale. Crédit photo : ANC.Le succès en affaires, le prestige de la grande maison, cela ne suffit pas. Martin se lance désormais dans une carrière en politique, avec succès bien entendu. Il est élu à plusieurs reprises à la commission municipale. En 1930, il en devient le président, soit le maire de l'époque. Une réhabilitation du nom Grimigni à nulle autre pareille."

Pouembout, vers 1960. Jacqueline Gibert, la mère de Laura. La voici aidant les hommes à soccuper d'un cerf fraîchement abattu. Depuis la grande époque de son grand-père Maxime, la chasse est une activité sacrée chez les Gibert.Les Gibert, prochain chapitre

Poya, vers 2001. Quatre générations réunies : Marcel Gibert, grand-père de Laura, son fils Gérald, son petit-fils Michel Merer, son arrière-petit-fils David Merer."Ce mémoire ma ouvert l'appétit. Il y a encore tellement de choses que j'aimerais connaître sur ma famille. Je tiens un petit carnet où je les note toutes. La prochaine étape, ce serait de faire le même travail pour la branche Gibert.
En 1920, Yvonne Grimigni, fille de Martin et de Marcelle, a épousé Maxime Gibert, mon arrière-grand-père. Je sais que notre ancêtre Gibert était lui aussi un forçat, condamné pour des accusations d'escroquerie et de faux monnayage. Ensuite, ce sera au tour des Merer, la branche de mon père. Je sais encore très peu de choses sur eux."
Note
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé. Cet article est paru dans le journal du samedi 2 juillet 2016.
Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.
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