- LNC | Crée le 27.07.2025 à 06h00 | Mis à jour le 27.07.2025 à 06h00ImprimerJean Pène et son épouse Alphonsine Anna Marie née Jouan. Ils se sont mariés à Nouméa le 17 juillet 1884. Elle aussi était une condamnée.Le transporté Pène est Basque. Condamné à cinq ans de travaux forcés, il décide de rester en Nouvelle-Calédonie à l'issue de sa peine. D'hôtel en goélette, il se construit une situation très confortable. Sa petite-fille, Ginette Hénin, et ses arrière-petits-fils, Jean-Claude et Michel Pène, ont essayé de démêler le vrai du faux dans leur histoire familiale. Retour sur la vie de Jean Pène dans ce 62e épisode de notre sage consacrée aux familles issues du bagne. Cet article est une archive parue dans Les Nouvelles calédoniennes le samedi 3 décembre 2016.
"Une grande partie de ce que nous savons, ou croyons savoir, relève de la tradition orale, des histoires de famille qui passent de bouche à oreille. "
À bientôt 89 ans (au moment de la parution de l'article, le 3 décembre 2016 - NDLR), Ginette Hénin se déplace difficilement mais parle aisément. Assise sur sa terrasse au pied du Mont-Mou, elle dépose devant elle une petite pochette, le fruit de ses recherches. La pêche n'est pas miraculeuse, mais au moins Ginette sait-elle aujourd'hui d'où elle vient. " Notre famille n'a pas fait exception à la règle, l'omerta totale. Je suis une passionnée d'histoire, j'aurais voulu enseigner. Lorsque, plus jeune, je posais des questions, on me disait de m'occuper de mes affaires. Quel enfant de ma génération n'a pas entendu cela ? "

Ginette Hénin, fille d'Eugène et petite-fille du transporté Jean Pène, avec Jean-Claude Pène son cousin, arrière-petit-fils de Jean Pène, petit-fils de Raoul et fils de Robert.Aussi, lorsque sa fille lui propose dans les années 80 d'aller à la recherche de leurs racines en France, c'est une délivrance. "Mais nous ne pouvions pas partir comme cela au hasard, j'ai commencé par écrire au tribunal de Nouméa pour savoir d'où mon aïeul était originaire. Nous savions que Jean venait de France, on nous avait même parfois dit qu'il était surveillant au bagne ! À l'époque, j'ai écrit qu'il était peut-être déporté de la Commune. À la suite de la réponse du tribunal, je me suis adressée à la mairie concernée et j'ai obtenu tout l'état civil de mon grand-père. Notre voyage pouvait commencer. "
Le berceau des Pène
Le voyage remonte à trente ans, mais Ginette sen souvient parfaitement. " En arrivant dans ce petit village des Hautes-Pyrénées, en plein hiver, le choc fut grand ! Nous étions en France profonde, au cœur des montagnes, à deux pas de l'Espagne. Nous avons rencontré une Jeanne Pène, lointaine et vieille cousine, assise au coin du feu, puis quelques cousins. Un gentil maire nous a ouvert les portes de sa mairie un dimanche et montré les registres écrits à la plume. Il nous a dit : "À Sost, vous êtes dans le berceau des Pène".

Les frères de Jean Pène et leurs épouses, restés dans les Hautes-Pyrénées.La famille savait que Jean avait été envoyé à la Nouvelle, tout le monde l'appelait ici "Jean-Baptiste", comme nous d'ailleurs, alors que tous les actes officiels parlent de "Jean" tout court. " Un premier mystère et il y en aura d'autres.
Tout le monde l'appelait ici "Jean-Baptiste", comme nous d'ailleurs, alors que tous les actes officiels parlent de "Jean" tout court. " Un premier mystère et il y en aura d'autres.
" Je pensais que mon grand-père était un paysan, mais sur son acte de condamnation il est domicilié à Lyon et déclaré comme commis marchand. De plus, il sait lire et écrire. Le 16 mars 1872, la cour d'assises du Lot-et-Garonne le condamne à cinq ans de travaux forcés pour vols commis la nuit dans des maisons habitées, à l'aide d'effraction intérieure, en réunion de plus de deux personnes ". Jean Pène est embarqué sur la Garonne et arrive à l'ile Nou le 20 décembre 1873.
Un libéré très entreprenant
Selon Michel Pène, son arrière-grand-père aurait purgé sa peine à Prony et travaillé sur l'exploitation forestière. Il est libéré le 20 juillet 1877 et astreint à résidence jusqu'en 1882, puis il est réhabilité. Son dossier mentionne plusieurs petites condamnations dans la colonie pour port illégal d'armes (un jour de prison), vente illicite de boissons dans un établissement sans licence (six jours de prison), diffamation envers un gendarme (treize jours de prison) et pour avoir donné à boire à un condamné (25 francs d'amende).

Hôtel de la Chaumière: selon la tradition familiale, l'hôtel a été construit en 1883 par Jean Pène, puis revendu à Lucien Peltier. En 1910, l'établissement est racheté et restauré par Joseph Banuelos, maire de La Foa de 1961 à 1974. L'hôtel devient « Banu ». Le 9 mai 1942, l'amiral Thierry d'Argenlieu y fut enfermé, dans la chambre 9, et libéré par le général Patch.Sans que personne de la famille puisse expliquer l'origine de son argent, Jean Pène loue un îlot en baie de Saint-Vincent en 1882, puis achète deux concessions à La Foa, sur lesquelles il fait construire l'Hôtel de la Chaumière, ensuite revendu à M. Peltier puis, en 1910, à M. Banuelos.

Jean Pène, son épouse et leurs cinq enfants. De gauche à droite, debout : Héloïse (Babo), Eugène (le père de Ginette Hénin) et Noémie (Istivies puis Novela) ; au premier plan : Gabrielle et Raoul (le grand-père de Jean-Claude et Michel). La photo a été prise dans leur habitation de La Foa.En 1884, il épouse une condamnée, Alphonsine Anne Marie Jouan: Ce mariage légitime leur premier enfant, Héloïse, née deux ans avant. Deux enfants vont naître à La Foa, Eugène, le père de Ginette, puis Noémie. Jean Pène achète un bateau à vapeur, en 1887, la Marie, qui va pendant plusieurs années faire la navette entre Nouméa, Téremba, Fonwhary, et La Foa.

À Balade, les chalands étaient tirés par un remorqueur à vapeur, la Marie. Vers 1884, à la fermeture de la mine, ce bateau a été recyclé sur d'autres cours d'eau et en l'occurrence sur la rivière La Foa. Le 14 mai 1887, Jean Pène achète par acte sous seing privé le navire à M. Tanguy. La Marie était le seul navire à vapeur équipé de roues à aube. Jean Pène puis Vidal assurent le service maritime de Nouméa jusqu'à La Foa, Téremba et Moindou de 1887 à 1894. En 1894, la Marie est retirée du service par Vidal qui achète le Nouméa. Crédit photo : cliché Léon Devambez. La rivière La Foa ANC.Il revend son remorqueur en 1890 puis en achète un plus gros. Avec le Cagou, il fait du cabotage de Nouméa à Bourail entre 1891 et 1894. Ses deux derniers enfants, Raoul, le grand-père de Jean-Claude et Michel, et Gabrielle naissent à Nouméa. L'ouvrage de Jean-Marie Creugnet mentionne que Raoul et Eugène étudient à Païta, à Saint-Léon chez les frères maristes.
" On peut dire qu'ils auront bougé ! " Michel ne connaît pas les détails de la vie de son arrière-grand-père, mais dans les grandes lignes il peut constater que son aïeul a la bougeotte. " La famille part s'installer à l'ilot Casy. "
À Prony, Jean Pène aurait fait du commerce et du transport de bois selon la mémoire familiale; les annuaires de l'époque le déclarent cantinier, jusqu'en 1908.

« Mine de chrome Ballande près de La Coulée, dans les années 1930. Louis de Béchade et R. Pène de retour d'une inspection d'une coupe de bois de kaori. » Crédit photo : ANC fonds Maxwell Shekleton.En 1911, il loue deux parcelles de zone maritime à Port-Boisé. Pendant cette période, son épouse Alphonsine décède en 1899 à Nouméa, puis deux de ses filles se marient, baie du Sud. Héloïse épouse Ernest Louis Babo, et Noémie s'unit à Georges Istivies. Jean Pène quitte ensuite le Sud pour revenir à Nouméa.
Il devient restaurateur en 1912. L'année suivante, il épouse en secondes noces Lucie Sauret, puis le couple divorce.
Jean Pène décède en 1926.
De père en fils
Raoul, le fils du condamné, va lui aussi devenir entrepreneur, un charpentier de marine reconnu. En 1915, l'année de sa mobilisation, il épouse Madeleine Willmott.

Raoul Pène, le charpentier de marine. Le quatrième enfant du transporté Jean Pène crée à Nouméa une entreprise de charpente de marine, baie de la Moselle. Des ateliers sortiront de nombreux cotres à moteur et des pétrolettes.Son petit-fils Jean-Claude raconte : " Il est revenu de France blessé. En 1916, à Barleux, un éclat d'obus lui a arraché l'épaule gauche, il a été soigné à l'hôpital militaire de Canly dans l'Oise puis réformé en 1917. Je me souviens de sa grande cicatrice qu'on lui demandait de nous montrer, on était gosses, cela nous faisait peur. Sa blessure ne l'a pas empêché de devenir un excellent charpentier de marine.
Il a formé beaucoup de gens comme, par exemple, Monsieur Routier. Il avait plusieurs bateaux, le Requin, la frégate, et une petite pétrolette, la Baudouine (car le moteur était un Baudouin !)... En 1922, il a acheté une propriété à Port-Laguerre, il a fait du commerce et de l'élevage.

Les ateliers de Raoul Pène. Une photo du carénage de sa goélette le Requin, baie de la Moselle. Le Requin, un ketch à moteur, est construit en 1930. Au premier plan, des petits cotres de pêche qu'il produisait également.Il tenait aussi un hôtel restaurant à Païta, un grand hôtel en bois; je me souviens des poteaux, devant, auxquels dans le temps on attachait les chevaux. Chaque mois, paraît-il, il organisait un bal. Il avait un deuxième établissement, un commerce, à l'emplacement de l'actuel magasin Saliman. "
Eugène a, comme son père l'ancien forçat, beaucoup voyagé. Il épouse en 1906 Laurence Marie Duplessis à l'île des Pins. Celle-ci est la fille unique de Louis Charles Duplessis, fonctionnaire de l'administration pénitentiaire en poste chez les Kunié. Ensemble, ils ont onze enfants.

Eugène et son épouse Laurence Marie Duplessis. Ils se marient en 1906 à l'ile des Pins. Sur les genoux, Guy, qui décède prématurément de diphtérie, et leur fille aînée, Laurence Louise dite Lola.Ginette est la dernière. " Mon père a fait de nombreux métiers à de nombreux endroits: un peu de commerce, puis il a été officier d'état civil dans la baie du Sud.
Il a ensuite travaillé avec Henri Lafleur. Il prospectait à Thio. Et enfin, il a tenu le bureau de poste de Tomo."
L'histoire de la famille Pène regorge de " on-dit " en tout genre, parmi lesquels, Jean Pène, qui aurait été un joueur invétéré, aurait perdu de nombreux biens ou terrains au jeu... Mais les fables sont des fables, laissons-les dans les tiroirs des buffets de famille...
Pène-Pouchon
Sur plusieurs documents, le patronyme Pouchon ou Pochon ou encore Pauchon est accolé à Pène : " C'est une erreur et un jugement du tribunal dès 1917 retire officiellement ce deuxième nom. "
Selon Michel Pène, Pouchon est un sobriquet basque. On disait "poutchon" pour dire "petit" en langue basque, comme aujourd'hui on dirait "pitchoune". "
Ginette, elle, a eu par ses cousins Latour des Hautes-Pyrénées une autre explication: " Il s'agirait du nom de l'accoucheuse. À l'époque, pas de maternité bien sûr et c'est une dame qui se déplaçait, en l'occurrence Mme Pochon ou quelque chose comme ça, et son nom aurait été accolé à celui de l'enfant. "
Note
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé.
Cet article est paru dans le journal du samedi samedi 3 décembre 2016.
Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.
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