- LNC | Crée le 06.07.2025 à 10h00 | Mis à jour le 06.07.2025 à 10h00ImprimerLuigi Paladini.Une rixe qui tourne mal en Corse et le jeune Luigi Paladini est condamné à quinze ans de bagne. Se doute-t-il, en embarquant à Toulon sur l'Iphigénie, qu'il voyage à bord du premier des 75 convois qui emmèneront plus de 20 000 condamnés entre 1864 et 1897 de la Métropole à l'ile Nou ? Le 9 mai 1864, avec quelque 200 compagnons d'infortune, Luigi Paladini arrive en Nouvelle-Calédonie. Libéré treize ans plus tard puis réhabilité, il devient un entrepreneur important et le père d'une descendance nombreuse. Avec ses cousines Danièle Edo et Rose-May Paladini, Irène Letocart, l'une des arrière-petites-filles du bagnard, s'est plongée avec passion dans son histoire longtemps restée secrète... Retour sur la vie de Luigi Paladini dans ce 59e épisode de notre sage consacrée aux familles issues du bagne. Cet article est une archive parue dans Les Nouvelles calédoniennes le samedi 28 novembre 2015.
"J'ai su qui était vraiment mon arrière grand-père dans les années 90. Chez nous, certains savaient mais personne n'en parlait. À cette époque, c'était vraiment tabou, un peu comme dans toutes les familles d'ailleurs. Depuis cette date, nous ne cessons de chercher de nouveaux documents, de mettre au jour les archives afin de transmettre à nos enfants et petits-enfants ce qu'on y apprend.

Danièle Edo et Irène Letocart (avec les lunettes). Leurs grands-pères, Florindo et Isidore Paladini, étaient frères.Luigi a donc été choisi en raison de ses compétences. Il était tailleur de pierres, et l'administration pénitentiaire avait besoin de maçons, de menuisiers, de charpentiers pour construire les geôles et le camp. Au début, ils vivaient sur le bateau, jusqu'à ce que les dortoirs soient terminés. Nous n'avons pas beaucoup de détails de sa vie dans le camp. Contrairement à ce qui était prévu, à la faveur d'une remise de peine, Luigi ne passe pas quinze mais treize ans à l'île Nou. Il est libéré mais contraint de rester en Nouvelle-Calédonie.
Libre et entreprenant
" À sa sortie, en 1875, les frères maristes lui prêtent un terrain au Mont-Dore. On ne sait pas très bien s'ils le lui louent ou pas. En tous les cas, il cultive son champ et vend sa production à Nouméa. C'est là qu'il rencontre, la même année, Philomène Lorieux. Il est un des rares anciens bagnards à épouser une femme libre. Il faut dire que mon arrière-grand-mère, c'était un sacré numéro. Quatre ans plus tard, le couple s'installe à Païta, on ignore la raison de ce choix. Ils achètent une ferme, un commerce, un hôtel, une diligence, ils multiplient les activités. "

Candide Koch, née Paladini.
Cousinade en 2009. Au centre de la photo, assis (de gauche à droite) : Madeleine et son époux, Florindo fils; René, le père d'Irène (avec le chien) ; la dame en blanc est Andrée Paladini (veuve d'Isidore), la mère de Danièle Edo. Florindo fils et René sont décédés en 2015.Irène sort de grands registres aux pages jaunies et à l'écriture soignée qu'elle garde religieusement. Page après page, ils retracent jour par jour toutes les tâches effectuées par ses aïeux : " Le 20 avril, "acheté cheval blanc, soixante francs". ". Tiens, là, elle a écrit qu'ils ont "chassé les sauterelles dans les champs". " Ainsi, leurs affaires ont prospéré et la famille s'est agrandie. Onze enfants naissent mais seuls six arrivent à l'âge adulte.
À l'image de leur mère, érudite, les trois aînés étudient en Métropole avant de revenir vivre sur le Caillou. Luigi a eu le privilège de pouvoir retourner en France, il est allé chercher son fils Florindo resté à Paris. Nous avons des cartes postales de sa cadette, Candide, ils sont allés ensemble revoir le village corse d'où il était originaire.
La nombreuse descendance
" De Justine mariée à David Lynch, il reste peu de traces. Candide épouse Gustave Koch, et après plusieurs années d'études, elle devient institutrice.
Une école porte son nom aujourd'hui à Nouméa. Florindo, mon grand-père, va devenir une célébrité locale, c'est lui qui a insisté pour que je m'appelle Irène, il était passionné de sciences et du couple Curie. Deux des fils de Luigi ont un destin funeste : Louis est tué avec toute sa famille sur sa propriété de Karikoué, en 1913, tandis que son frère René périt à la fin de la guerre en 1918. Isidore décède, quant à lui, en 1977, à 89 ans, après avoir repris les rênes de la diligence paternelle entre Païta et Nouméa.
" Aujourd'hui, presque tous les descendants de Philomène et Luigi vivent autour de Paita. Nous sommes quarante-sept dans la branche Florindo, quatorze de Candide, trente-trois d'Isidore, deux de Louis et une de Justine ! Plus question de garder nos origines secrètes, j'en parle volontiers pour casser le non-dit. Ma cousine Rose-May écrit un livre sur l'histoire de sa famille, elle est allée en Corse et en Italie car elle cherche à savoir ce que faisait Luigi avant d'être condamné.
" Les temps ont vraiment changé, même si certains anciens sont encore réticents à parler. Il y a trente ans, les familles enquêtaient en douce sur les origines des futurs mariés, les enfants entre eux à l'école étaient très durs et se traitaient de petit-fils de bagnards. Aujourd'hui, on sen moque, dans ma famille j'ai même retrouvé sept condamnés. L'ancêtre de ma belle-fille était faux monnayeur, un certain Donati ! " Mais ça, c'est une autre histoire, à découvrir...
Florindo le communiste

Florindo entouré de trois grands chefs." Sa mère l'avait envoyé étudier à Paris. C'est là que mon grand-père, alors étudiant en anthropologie, découvre le marxisme et fréquente les milieux anarchistes. Ce qui ne plaisait pas du tout à Luigi, son père !
Après quelques années passées à enseigner en Australie, Florindo rentre au pays. Il devient éleveur à Païta et se marie à Marie Lucas, dont il aura deux enfants. Il devient un homme politique de gauche, adversaire redoutable et redouté, doté d'une autorité naturelle malgré sa toute petite taille... Je crois bien que ma grand-mère était même plus grande que lui !
Florindo est membre de la Chambre d'agriculture et conseiller général pendant une vingtaine d'années. Fondateur du Parti communiste calédonien en mars 1946, il est très apprécié des Broussards et des Mélanésiens qu'il défend et aide à tous les niveaux. C'était un trublion, excessif et original. Il a marqué le territoire, célèbre pour son incroyable verve. On se pressait à ses conférences politiques, le public venait l'écouter autant par conviction que pour passer un bon moment. Il a aussi créé un syndicat pour défendre les classes laborieuses. Alors qu'il était à cheval, il a reçu un coup de fusil. Certains attribuent cela à une tentative d'assassinat. Personne ne sait. Mais cela lui vaut d'être amputé du bras droit. Mon grand-père est mort le 27 mars 1956, à la suite d'une crise cardiaque. "
Une aïeule au caractère bien trempé

Philomène Paladini (née Lorieux) et son époux Luigi posent devant leur hôtel de Païta avec trois de leurs garçons: Louis, Isidore et René. Charlotte, la petite Mélanésienne, jouait souvent avec eux." Philomène, c'était vraiment un phénomène ! C'était une femme libre qui se fichait bien du qu'en-dira-t-on. Elle a bravé la société au point d'épouser un ancien bagnard. Elle a embarqué sur un voilier - le Sumroo - sans escale, direction la Nouvelle-Calédonie. On ne sait pas si elle a voyagé seule ou avec la famille qui l'a employée à Nouméa car, dans ses notes, il n'y a pas mention de compagnie sur le bateau.
La traversée épique a duré plus de quatre mois et, en vraie aventurière, elle a rédigé ses mémoires de voyage. C'est drôle et subtil.
Arrivée sur le Caillou, la jeune fille, alors âgée de 23 ans, éduquée comme une grande dame et parlant couramment anglais, est engagée comme comptable dans un magasin de Nouméa. C'est là qu'elle rencontre Luigi Paladini, fraîchement libéré. Un véritable coup de foudre. Ils se sont mariés dans l'année.
C'était en 1875. Toute sa vie, elle a été anticonformiste. Alors que toutes les dames montaient en amazone avec de grandes robes, elle montait à cheval à califourchon et en pantalon. Mon arrière-grand-père était peut-être un peu effacé, même si c'était un original qui portait des bagues ! Mes parents nous parlaient surtout de leur grand-mère qui était très dure. Elle a porté onze enfants tout en travaillant à la ferme et au magasin.
Parfois même, elle accouchait les jeunes femmes de Païta. Comme Danièle et moi, elle était passionnée de botanique.
Elle est décédée le 12 octobre 1937, à 86 ans. "
Note
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé.
Cet article est paru dans le journal du samedi 28 novembre 2015.
Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.
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