- Propos recueillis par Anthony Tejero | Crée le 01.09.2025 à 18h15 | Mis à jour le 22.09.2025 à 09h55ImprimerLudovic Boula est originaire de la tribu de Mou, dans le district de Lössi, au sud de Lifou. Photo Anthony TejeroÀ 33 ans, Ludovic Boula est devenu, samedi 30 août, le plus jeune président du Sénat coutumier, à un moment charnière de l’histoire du pays. Cet enseignant originaire de la tribu de Mou, à Lifou, entend poursuivre les travaux de l’institution autour, notamment, de la jeunesse et de l’évolution de cette assemblée en vue d’acquérir un pouvoir décisionnel. Alors que les sénateurs ont officiellement exprimé leur opposition à l’accord de Bougival, qui "n’est pas acceptable en l’état", ils souhaitent proposer un projet alternatif. Entretien.
Vous êtes le plus jeune président du Sénat coutumier. Est-ce un message envoyé à la jeunesse qui s’est particulièrement manifestée depuis le 13-Mai et que vous jugez "parfois incomprise" ?
Oui et non. J’ai été nommé sénateur par mon grand chef parce que, pour lui, j’en ai les capacités. J’ai une formation d’enseignant et ce bagage pourrait m’aider. C’est donc une question de compétences et de confiance, vu que je suis aussi le fils du grand chef et qu’il me connaît. Pour la présidence, j’étais donc prêt. Il y a eu des discussions en amont avec les trois royaumes de Lifou, et vu qu’on savait déjà que l’aire Drehu reprendrait la mandature, j’ai été désigné à ce poste à travers mes actes.
Vous voulez dire à travers vos actions en tant que vice-président de l’institution depuis 2024 ?
En tant que vice-président, oui, mais aussi par mon expérience, car cela faisait déjà plus de deux ans que j’étais sénateur. Depuis 2023, j’ai ainsi eu à gérer l’organisation du congrès de la jeunesse Kanak. Puis, il y a eu le 13-Mai, où on a tourné dans les quartiers avec le livret blanc des quartiers populaires.
Justement, vous êtes vous-même relativement jeune. Quel message souhaitez-vous adresser à la jeunesse ?
Déjà, je peux comprendre la colère de la jeunesse. On est souvent mal compris, notamment par nos parents. La vie va trop vite et un fossé se creuse entre les générations. Je comprends la jeunesse sur le mépris qu’elle peut ressentir et sur le fait de se sentir rejeté de la société. Je comprends tout ce que ces jeunes peuvent endurer. De par mon expérience aussi. J’ai eu des échecs qui sont devenus des leçons et qui m’ont aussi permis de me relever.
Pour cette mandature, j’ai demandé que les travaux autour du congrès de la jeunesse kanak et du livre blanc des quartiers populaires soient finalisés.
Ce sujet sera donc l’une de vos priorités ?
Oui, vu qu’il y a des travaux qu’on n’a pas pu terminer, en raison de l’insurrection et du sommet de Bougival. Pour cette mandature, j’ai demandé impérativement que les travaux autour du congrès de la jeunesse kanak et du livre blanc des quartiers populaires soient finalisés.
Lors du 25e Congrès du pays kanak, ce week-end, vous avez officialisé votre opposition à l’accord de Bougival. Pourquoi ?
Le projet de Bougival n’est pas acceptable en l’état. Il ne respecte pas l’esprit, le processus de décolonisation de l’accord de Nouméa où le kanak, en tant que peuple autochtone, était au centre du dispositif. La grosse différence de Bougival, c’est qu’on devient une communauté. L’accord de Nouméa, qui a été validé par le peuple et la Constitution française, a fait l’objet d’un gros travail de deux ans et demi et d’un consensus, à la différence de Bougival, où ce sont les politiques qui ont pris la main dessus.
Pourquoi les représentants du Sénat coutumier ont boycotté la troisième réunion du comité de rédaction piloté par Manuel Valls ?
Lors du premier déplacement du ministre (en Nouvelle-Calédonie), beaucoup de gens nous en ont voulu de l’avoir reçu. Mais il fallait qu’il nous écoute pour lui dire notre mécontentement. Déjà, on a prévenu pour le troisième référendum que c’était trop tôt. L’État ne nous a pas écoutés, le FLNKS non plus. Le dégel du corps électoral, on ne nous a pas écoutés. Il y a eu tout ça. On avait prévenu.
Et l’identité kanak pour le peuple autochtone, c’est une question que je pose : est-ce que les politiques ont la légitime d’en parler ? On a prévenu Manuel Valls que pour ce qui relève du peuple autochtone, c’est le Sénat coutumier et les chefferies, les autorités coutumières qui doivent parler. Ce sont les garants de la pérennisation de cette culture.
Ce qu’on a reproché, c’est qu’on est souvent sollicités quand il y a des problèmes, mais nous, on veut autre chose, on veut construire ensemble. On n’est ni loyalistes, ni indépendantistes, on cherche à installer la paix et à ce que le projet de société soit construit ensemble.
Cela veut-il dire que les propositions du Sénat coutumier n’ont clairement pas été entendues ?
Les deux jours où on a pu assister à ce travail, on avait proposé des amendements qui n’ont, en effet, pas été pris en compte.
Il faut un projet de société consensuel sans que la politique prenne le dessus.
Vous défendez un "projet alternatif" que vous comptez présenter le 15 septembre. Quels en seraient les contours ?
On veut aller au-delà de Bougival et pas seulement le rejeter, pour élaborer un projet de société. C’est-à-dire qu’on crée une plateforme pour unir toutes les forces vives : la société civile, les politiques, les églises pour échanger. Mais il faut que ce projet de société soit consensuel sans que la politique prenne le dessus. Notre rôle, c’est de veiller à la stabilité du pays. Peu importe l’ethnie, nous, on veut que soit installée la paix. Et c’est le but de cette plateforme.
Les projets de loi qui ont été proposés par notre institution n’ont jamais été pris en compte par les élus, de tout bord.
Sur le plan de l’avenir institutionnel, le Sénat coutumier défend un bicamérisme qui permettrait de donner des pouvoirs décisionnels à cette assemblée. Continuerez-vous ce travail ?
Les projets de loi qui ont été proposés par notre institution n’ont jamais été pris en compte par les élus, de tout bord. Il s’agit de travaux comme la charte du peuple Kanak, le chemin du livre blanc de la jeunesse, les politiques publiques de l’identité Kanak, etc. En Calédonie, il y a deux légitimités. La légitimité démocratique représentée par le Congrès avec nos élus ainsi que la légitimité coutumière. Souvent, on dissocie les deux, mais il ne faut pas. Pour un projet de société, il faut les mettre au même niveau.
Dans ce cadre, pour ce qui relève de l’identité Kanak, le Sénat coutumier est le représentant, le garant de ce peuple, pour décider des sujets qui relèvent donc de ce couloir coutumier. En sachant qu’il y aura des moments où on sera obligés de travailler ensemble sur différents domaines. Mais c’est complémentaire, pas contradictoire.
Quelles seront les autres priorités de votre mandature ?
Avec la jeunesse, il y a la commission droit et justice. C’est un travail qu’on doit finaliser en étroite collaboration avec le tribunal de première instance, pour faire évoluer le droit coutumier. Et dedans, il y a aussi le problème des violences intrafamiliales, c’est-à-dire comment régler le problème de la violence faite aux femmes et aux enfants.
L’un des dossiers prioritaires, c’est aussi le chemin du pardon, où le président Macron nous a sollicités pour faire un travail sur ce processus. Et le projet de Bougival va par exemple à l’encontre de ça. On n’a pas encore terminé le processus de décolonisation. Et ce chemin du pardon s’inscrit pour tous les projets de société. Si on veut continuer, on doit passer par ce chemin du pardon, déjà entre les Kanak, parce qu’il y a des pardons à faire, et avec les autres communautés.
Depuis quelques années, l’idée que les femmes entrent au sein du Sénat suit son chemin. La défendez-vous et comment ?
Bien sûr, je défends les travaux que le chef Hippolyte Sinewami a notamment proposés à l’époque de sa présidence. On n’est pas contre. Mais il faut que cela vienne de la base. C’est-à-dire qu’un sénateur est d’abord nommé par son clan, puis par la chefferie et ce, jusqu’au conseil coutumier. Si un conseil coutumier propose une femme, nous serons d’accord.
La coutume évolue, elle n’est jamais figée. On s’est toujours adapté.
Mais est-ce que votre institution peut influencer, ou inciter la "base" à proposer une femme ?
Prenons l’exemple de Lifou, d’où je viens. S’il y a une sénatrice qui se propose et qu’elle passe ces étapes, moi, je ne dirai pas non. Sénateur ou sénatrice, ça doit se passer dans le même cadre. Il faut qu’il soit crédible et légitime. La coutume évolue, elle n’est jamais figée comme le droit, avec le travail qu’on mène avec le tribunal. On s’est toujours adapté, avec les faits historiques qui sont produits. On ne peut pas revenir en arrière
La désignation des sénateurs pourrait également prochainement évoluer vers une élection. Qu’est-ce que ça changerait ?
Aujourd’hui, on est nommé par le chef de clan, puis porté par la chefferie au conseil d’aire, avant d’intégrer le Sénat coutumier. L’institution propose que le chef de clan propose un candidat, avec ensuite un vote et non plus une désignation au niveau des aires coutumières. Cela s’appellerait le corps des grands coutumiers qui comprendrait les chefs de clan, les chefs de district, etc. L’objectif aussi, c’est d’inciter une montée en compétences des futurs sénateurs, car à ce niveau, il faut que ces personnes connaissent suffisamment le rouage institutionnel, le côté administratif, ce qui a souvent été reproché aux anciens mandataires. Il faut que les sénateurs soient équipés, compétents et mieux formés.
Biographie express
5 avril 1992 : Naissance à Wé, à Lifou
2010 : obtention du bal littéraire (L) au lycée Do Kamo
2011 : inscription en première année de licence de droit à l'UNC.
2012 : retour à la tribu de Mou
2015-2016 : enseignant remplaçant à Lifou
2017-2020 : étudiant à l'IFM (Institut de formation des maîtres)
2021-2023 : activité d'apiculteur et d'agriculteur à Lifou
2023 : Désignation en tant que sénateur coutumier
2024 : Désignation en tant que premier vice-président de l'institution
30 août 2025 : Désignation en tant que président du Sénat coutumier pour la mandature 2025/2026
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