- Outremers360° | Crée le 08.09.2025 à 05h00 | Mis à jour le 08.09.2025 à 11h34ImprimerLe documentaire met en avant le fait que, "dans cette partie du Pacifique, une femme pouvait accéder à la chefferie", explique Alexandre Juster, qui l'a écrit. Photo DRUn portrait inédit de la reine Hortense est diffusé mardi 9 septembre sur NC la 1ère. Le documentaire met en lumière Kanedjo Vendegou, cheffe coutumière de l'île des Pins de 1856 à 1883. Rencontre avec l'ethnolinguiste Alexandre Juster, spécialiste de l'Océanie, qui a écrit le film. Un entretien de notre partenaire Outremers360°.
Qui était la reine Hortense ?
Hortense, Kanedjo Vendegou de son nom de naissance, est née en 1856 à Kwényïï. Elle était la fille du grand chef Kaoua, qui dirigeait la chefferie lors de la prise de possession de l'île par la France le 29 septembre 1853, cinq jours après celle de la Grande Terre. Son père, dont le pouvoir était par ailleurs contesté par une partie des clans de l'île, est mort alors qu'elle n'avait que 7 ans. La succession a donné lieu à une crise dynastique. Les clans opposés à Kaoua ont voulu chasser Kanedjo, qui s'est réfugiée dans une grotte au nord de cette île de 150 km².
Qu'est-ce qui vous a attiré dans le destin de la reine Hortense et vous a poussé à coécrire ce film ?
En terminant le film consacré à la reine polynésienne Pōmare IV, le réalisateur Fabrice Gardel m'avait demandé quelle autre femme du Pacifique j'avais envie de mettre en lumière. J'ai tout naturellement pensé à la reine Hortense. Elle a vécu à une époque charnière de la Nouvelle-Calédonie : la prise de possession française, l'évangélisation et l'arrivée de l'écriture, le débarquement des déportés politiques et donc la création d'une colonie pénitentiaire sur son île.
Hortense, par la négociation, la diplomatie et la recherche du compromis, réussit à faire en sorte que seule la moitié de l'île devienne un bagne.
Le film met en avant l'injonction faite par Paris de transformer l'île en bagne. Quel rôle a joué Hortense à ce moment-là ?
Après la fermeture de la colonie pénitentiaire aux îles Marquises, la France cherche un lieu pour y envoyer les condamnés politiques. Ce lieu, selon la loi, devait être hors du territoire européen. L'urgence était d'autant plus grande qu'après la Commune de Paris, ce type de condamnés allait être nombreux. En avril 1872, la Chambre des députés vote une loi prévoyant que l'île des Pins servirait de lieu de déportation simple pour les condamnés à la déportation libre, tandis que le bagne de la presqu'île de Ducos, qui accueillait déjà les forçats depuis 1864, recevrait ceux condamnés à la déportation en enceinte fortifiée.
À Nouméa, le gouverneur de la colonie, Louis Eugène Gaultier de La Richerie, apprend la future destinée de l'île des Pins alors que le navire emmenant les condamnés a déjà quitté la France. Il annonce la mesure à la reine Hortense, qui va devoir faire évacuer son île. Elle s'oppose fermement à cette décision. Elle écrit une lettre au gouverneur pour lui signifier qu'elle refuse que son peuple quitte sa terre. Il faut alors imaginer la scène : un gouverneur, militaire, officier de marine, face à une femme, de trente ans sa cadette, "indigène", qui va lui mettre des bâtons dans les roues alors qu'il doit appliquer la loi. Hortense, par la négociation, la diplomatie et la recherche du compromis – des éléments forts dans la culture kanak – réussit à faire en sorte que seule la moitié de l'île devienne un bagne. Hortense a infléchi le cours de l'histoire imposé par Paris.
Personne ne pouvait imaginer que cette jeune femme, et comme on disait à l'époque "indigène" de surcroît, puisse détenir quelque pouvoir.
Comment expliquez-vous que son histoire soit tombée dans l'oubli, alors qu'elle a joué un rôle central à l'île des Pins ?
Il est vrai que son époux, Samuel, également chef coutumier, est bien plus resté dans l'histoire qu'Hortense. Il faut se replonger dans le contexte : à l'époque, le gendarme, les militaires, le gouverneur, l'évêque – bref, tous ceux qui appartiennent à l'administration coloniale ou qui y sont liés – sont des hommes. Ils arrivent de France, où les femmes n'occupent alors aucune fonction politique – contrairement au Royaume-Uni, gouverné par la reine Victoria. Personne ne pouvait imaginer que cette jeune femme, et comme on disait à l'époque "indigène" de surcroît, puisse détenir quelque pouvoir.
Il faut également prendre en compte qu'il était convenu à l'époque de présenter la Nouvelle-Calédonie comme un territoire peuplé de dangereux cannibales, une vision mystifiée peu compatible avec le fait que des femmes puissent être cheffes. Certains contemporains ont même écrit que le terme "reine Hortense" était un sobriquet, utilisé pour se moquer d'elle. Pourtant, à Paris, une décision ministérielle lui octroie une rente – pas toujours payée en temps et en heure, d'ailleurs – comme cela était prévu dans le traité de prise de possession.

Alexandre Juster a déjà participé à la réalisation d'un documentaire sur la reine polynésienne Pomare IV. Photo DRComment avez-vous préparé ce film ?
Le réalisateur Fabrice Gardel avait déjà tourné des films dans l'Hexagone, en France ou dans les Outre-mer – sur Yasser Arafat, Albert Camus, Aimé Césaire, Joseph Zobel ou la reine Pōmare. Mais cette fois, il s'agissait de faire un film en Nouvelle-Calédonie et sur une personnalité kanak. Dès le début, il a fallu que j'explique aux réalisateurs qu'il serait nécessaire de prendre en compte les chemins coutumiers qui nous mèneraient jusqu'à Hortense. La préparation, le tournage et le montage se sont faits dans le respect de la coutume : non seulement faire un geste coutumier, mais aussi prendre conscience et respecter le monde visible et invisible qui façonnent la société kanak.
La préparation s'est faite avec la Maison de la Nouvelle-Calédonie à Paris, le service des archives à Nouméa, des universitaires... Je me suis également replongé dans les récits de la littérature orale, que j'avais étudiés à l'université il y a plus de 20 ans.
Plusieurs intervenants apportent leur témoignage dans le film, qui sont-ils ?
Il y a tout d'abord les Kuniés, les habitants de l'île des Pins, comme Marie-Jeanne Bourébaré, de l'association des femmes kuniées, le gardien de la grotte de la reine Hortense, Antoine Cagnéwa, ou encore un guide culturel, Steve Koutchaoua. Nous avons aussi interviewé la dramaturge calédonienne Jenny Briffa, la journaliste Lou Lurde, qui a réalisé pour Caledonia un film sur une sœur mariste ayant appris à lire et à écrire à Hortense. Et puis, il y a Emmanuel Kasarhérou, directeur du musée du Quai Branly, et le footballeur Antoine Kombouaré, originaire de l'île des Pins, qui nous confie ses souvenirs, ses sentiments et de nombreuses précisions sur la société kuniée.
La reine Hortense fait partie de ces personnalités dont le nom est connu dans l'archipel, mais dont l'histoire n'a pas été démocratisée ni rendue accessible à tous.
Ce film sort alors que la Nouvelle-Calédonie se trouve dans un contexte politique tendu. Peut-il contribuer, à sa manière, au débat ?
Dans le processus de rééquilibrage en cours depuis les accords de Matignon-Oudinot, il est nécessaire par le dialogue des cultures des différentes communautés de rééquilibrer la connaissance des grandes figures historiques. La reine Hortense fait partie de ces personnalités dont le nom est connu dans l'archipel, mais dont l'histoire n'a pas été démocratisée ni rendue accessible à tous. Ce film vient donc modestement combler un manque. Par ailleurs, la société est cristallisée autour de deux camps politiques. Nous avons voulu faire un film qui présente quelqu'un qui se place au-dessus de la mêlée, en tendant le micro aux personnes concernées sans regard surplombant.
En quoi ce projet est-il un prolongement de votre portrait de la reine Pōmare, en Polynésie ?
Ce film met en avant le fait que, dans cette partie du Pacifique, une femme pouvait accéder à la chefferie, comme ce fut le cas dans d'autres îles du Pacifique : à Tahiti avec la reine Pōmare IV, au royaume de Huahine, aux Marquises, à Wallis, à Fidji ou en Nouvelle-Zélande.

Des entretiens ont été réalisés dans la grotte, aujourd'hui lieu touristique. Photo DRUn documentaire à voir mardi 9 septembre
Le film se passe il y a 170 ans, peu après que l’île des Pins est devenue française, Hortense Kanedjo Vendegou accède à la chefferie de son île. Femme kanak au destin hors du commun, elle consacre sa vie à défendre son peuple et son territoire, refusant le sort que d’autres avaient choisi pour elle ou pour son île. Menacée de destitution dès l’enfance, elle trouve refuge dans une grotte pour préserver sa vie et sa fonction. Plus tard, grâce à des négociations acharnées avec le gouverneur de l’époque, elle parvient à empêcher que l’île ne soit entièrement transformée en bagne pour les insurgés de la Commune de Paris et les révoltés kabyles. Un documentaire inédit dans lequel de nombreuses voix calédoniennes rendent hommage à son héritage, comme Antoine Kombouaré et Emmanuel Kasarhérou, réalisé par Fabrice Gardel et Alexia Klinger, écrit par Alexandre Juster. Un portrait puissant et nuancé d’une femme opiniâtre, pacifiste et de conviction, dont l’influence résonne encore dans la société contemporaine de l’archipel.
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