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    Nouvelle Calédonie
  • Propos recueillis par Anthony Tejero | Crée le 02.03.2024 à 08h00 | Mis à jour le 02.03.2024 à 08h00
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    Sophie Bonnet est directrice de recherche à l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et coordinatrice du projet Hope, bouée intelligente qui mesure la capacité des océans tropicaux à piéger le CO2. Photo Anthony Tejero
    Le projet Hope est une première mondiale déployée dans les eaux calédoniennes à partir de ce samedi 2 mars. Pendant deux ans, cette bouée intelligente va étudier la capacité des océans tropicaux à piéger du CO2, jusque-là sous-estimée par rapport aux zones tempérées. Si les résultats s’avèrent concluants, les scientifiques espèrent que les scénarios et les conséquences du réchauffement climatique seront "moins pires" qu’attendu.

    Entretien avec Sophie Bonnet, directrice de recherche à l’IRD (Institut de recherche pour le développement), coordinatrice du projet Hope.

    Qu’est-ce que cette bouée intelligente inédite en Nouvelle-Calédonie ?

    C’est un instrument qui va étudier la capacité de l’océan à piéger du CO2, et donc à dépolluer l’atmosphère, ce qui contribue à la régulation du climat. Elle est high-tech et inédite en Nouvelle-Calédonie, mais pas seulement. Au niveau mondial, ce sera la première bouée ainsi instrumentée, déployée dans l’océan. Il en existe deux autres qui ont été développées, mais uniquement en milieu côtier, en Norvège et en Croatie, et avec beaucoup moins de capteurs qu’Hope, qui sera donc plongé en plein océan.

    En quoi cette fonction des océans, de capter le CO2, est-elle essentielle pour les écosystèmes et la planète en général ?

    Il existe deux processus pour piéger le CO2. Un processus physique, que nous n’étudions pas, et le processus biologique, qui nous intéresse ici.

    Il s’agit d’une pompe biologique à carbone, qui soustrait du CO2 à l’atmosphère pour l’emporter au fond des océans, via toute la biologie qui se trouve au milieu. Si ce processus n’avait pas existé depuis des temps géologiques, les concentrations en CO2 dans l’atmosphère seraient aujourd’hui deux fois plus élevées et la Terre ne serait pas vivable. Il s’agit donc d’un puits naturel de carbone qui se fait par l’océan.

    En quoi ce projet est-il novateur ?

    Jusqu’à présent, on pensait que ce pompage de carbone par les océans se faisait essentiellement dans les zones tempérées et polaires et on croyait que les zones tropicales et subtropicales, qui occupent la moitié des océans mondiaux, étaient inefficaces.

    Or notre équipe a démontré, ces dernières années, que ce n’est pas le cas. L’océan tropical est loin d’être si inefficace puisqu’on a mis en évidence l’existence d’une pompe alternative de CO2 qui est à l’œuvre. Donc ignorer la moitié de l’océan mondial dans ce processus de piégeage, c’est vraiment dommageable pour les modèles de climat.

    Une fois en mer, comment cela va-t-il se passer ?

    Cette bouée va être ancrée sur un point fixe au fond de l’océan, au large du récif Aboré, dans les eaux calédoniennes. Elle est dotée d’une dizaine d’instruments, d’automates et de robots qui vont mesurer une cinquantaine de paramètres toutes les quatre heures et nous envoyer les données en temps réel pendant des années. Pour les océanographes, c’est un rêve.

    L’idée, c’est de déployer cette bouée sur une période de quatre ans. Au moins deux ans en Nouvelle-Calédonie, puis encore deux ans dans un milieu tempéré.

    Cette bouée n’est pas seule, elle est installée au milieu d’une zone de 2 km carrés où six lignes de mouillage, également ancrées et intelligentes, sont déployées et parsemées d’instruments de mesure. Cela en fait la plateforme la plus instrumentée au monde, je pense.

    L’idée, c’est donc de déployer cette bouée sur une période de quatre ans. Au moins deux ans en Nouvelle-Calédonie, puis encore deux ans dans un milieu tempéré afin de pouvoir comparer les deux écosystèmes.

    À l’heure du changement climatique, quelles sont les inquiétudes quant à cette capacité des océans à capter le CO2 ?

    Avec le changement climatique, l’océan est plus chaud et donc se stratifie, c’est-à-dire que le chaud reste en haut et le froid reste en bas, comme sous les tropiques, mais cela se produit également de plus en plus dans les zones tempérées, qui ont ainsi tendance à se tropicaliser.

    Or dans un océan chaud en haut et froid en bas, les nutriments, qui sont à la base de la chaîne alimentaire et donc du captage du carbone, se font rares. Il y a des modèles mathématiques qui montrent que l’oligotrophisation des océans, c’est-à-dire l’appauvrissement des océans sous l’effet du réchauffement climatique, pourrait conduire à moins de piégeage demain.


    Cette bouée de haute technologie de 8,5 mètres de haut et 5 mètres de diamètre est autonome en énergie, alimentée par des panneaux solaires et des éoliennes. Elle a été présentée au public, ce vendredi 1er mars, sur le quai des Scientifiques, à Nouméa. Photo Anthony Tejero

    Mais comme on est en train de montrer que l’océan tropical n’est pas aussi inefficace qu’on le pensait à piéger du CO2, c’est un espoir (d’où le nom du projet Hope) que le scénario soit moins pire que prévu.

    Après, cela ne veut pas dire que l’océan tropical va tamponner toutes les émissions de gaz à effet de serre, certainement pas, mais toute la question de Hope, c’est de pouvoir connaître et quantifier cette pompe à CO2 afin de la modéliser dans les modèles de climat du Giec (le groupe d’intervention des experts du climat de l’Onu).

    C’est donc un espoir au niveau mondial…

    En effet, on peut espérer que les scenarii pessimistes, selon lesquels l’océan piégera moins de carbone, pourraient être atténués par cette pompe alternative que l’on a découverte et que l’on essaie de caractériser avec Hope.

    Mais si à l’avenir, les océans captent moins de CO2, quelles seront les conséquences sur le vivant ?

    Le CO2 va continuer de s’accumuler plus rapidement dans l’atmosphère, créant l’effet de serre, ce qui réchauffe encore le climat avec toute une série de réactions en chaîne.

    Il existe plusieurs puits de carbone, comme les océans, les forêts, les mangroves, etc. Il faut donc faire en sorte que ces puits continuent à faire leur travail.

    Si cette expérience est concluante, quel destin prêteriez-vous à cette bouée ?

    En parallèle, ce projet s’appelle Hope pour opportunité parce qu’on veut montrer que, sans remplacer les océanographes, ce concept peut être une alternative. Envoyer des bateaux en mer, cela coûte rapidement 1 million d’euros (120 millions de francs) par mois. Or c’est plus ou moins ce que coûte cette bouée (d’un montant de 3 millions d’euros, soit 360 millions de francs), qui, elle, peut effectuer des mesures pendant vingt ans.

    Aujourd’hui, on est en train de vouloir décarboner la flotte, c’est-à-dire les navires océanographiques qui consomment beaucoup de fuel etc. On pourrait ainsi imaginer à l’avenir un réseau de bouées intelligentes dans l’océan pour réduire cet impact et étudier l’océan sous toutes ses formes, en fonction des capteurs qui y seraient installés.

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