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    Nouvelle Calédonie
  • Anne-Claire Pophillat | Crée le 21.07.2025 à 05h00 | Mis à jour le 26.07.2025 à 18h36
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    Christophe Menkes, climatologue IRD, participe au projet Clipssa, Climat du Pacifique, savoirs locaux et stratégies d’adaptation, qui doit durer jusqu’en 2027. Photo A.-C.P.
    À la veille de la 2e édition du Forum sur le changement climatique, organisée sur le campus de l’université, gros plan sur le projet Clipssa*, porté par l’Institut de recherche pour le développement (IRD), l’Agence Française de Développement (AFD) et Météo France. Les scientifiques qui y participent se penchent sur le climat à l’horizon 2100 à l’échelle du Pacifique, et notamment en Nouvelle-Calédonie. L’enjeu ? Produire des projections climatiques d’une résolution exceptionnelle de 2,5 km. Les données issues de ces travaux permettront d’analyser les impacts du changement climatique sur des secteurs comme l’agriculture, afin d’aider à l’élaboration de stratégies d’adaptation. Explications avec le climatologue Christophe Menkes.

    En quoi consiste le projet Clipssa ?

    Clipssa vise à développer des simulations climatiques à haute résolution pour anticiper l’évolution du climat d’ici 2100. Ce projet consiste d’abord à mettre à jour les données sur les changements de l’atmosphère observés dans nos îles et comprendre comment les savoirs locaux sont mobilisés et transmis pour y faire face, puis à fournir des informations scientifiques sur ce à quoi s’attendre en termes de modifications du climat de ces îles dans le futur et leurs impacts sur différents secteurs, comme l’agriculture et la disponibilité en eau, afin de faciliter pour les pouvoirs publics, l’élaboration de plans d’adaptation face au changement climatique.

    Clipssa vise donc à décrire la séquence future des événements extrêmes. Par exemple, est-ce qu’on aura davantage La Niña qui durent trois ans dans le futur ou pas, aura-t-on plus ou moins de cyclones et de quelle intensité, aura-t-on plus de canicules, plus ou moins d’évènements de sécheresse, etc.

    D’après les premiers résultats que vous avez obtenus, quelles sont les grandes lignes de l’évolution du climat dans la région et en Nouvelle-Calédonie ?

    Il y a deux échelles à considérer. Celle du Pacifique et celle de la Nouvelle-Calédonie. Concernant le Pacifique, les données disent que les températures vont continuer à augmenter dans le scénario actuel d’émission de gaz à effet de serre. La France métropolitaine a publié un rapport sur ce qu’elle serait à + 4 °C, objectif de référence pour 2100. Cet horizon correspond plutôt à 3 °C en moyenne sur le globe et à 2,2 °C en moyenne pour les îles du Pacifique, parce que le réchauffement de la planète n’est pas uniforme. L’hémisphère Nord se réchauffe plus que le Sud.

    Si la terre continue de se réchauffer dans le scénario d’émission de gaz à effet de serre actuel, tous les modèles montrent une augmentation comprise entre 2,9 et 5,2 °C en 2100 pour le scenario le plus pessimiste, et entre 2,1 et 3,9 °C dans un scenario plus optimiste. C’est loin des 2 °C prônés dans les accords de Paris en 2015.

    On a déjà observé une augmentation du nombre de vagues de chaleur terrestres sur les 40 dernières années dans les données de Météo France. Et on s’attend à une croissance substantielle de ces canicules, à la fois de leur nombre, mais aussi de leur intensité.

    Avec Clipssa, vous travaillez sur un modèle de climat inédit qui permet d’affiner les prévisions. Quel est-il ?

    Les modèles utilisés par le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) donnent une évolution d’une température moyenne sur des mailles de dimension comprise entre 100 et 200 km2, ce qui n’est pas assez fin pour la Nouvelle-Calédonie. Clipssa permet, pour le Pacifique, d’élaborer des modèles à mailles plus réduites. Nous avons, dans un premier temps, affiné ce modèle à 20 km2. C’est lui, ainsi que d’autres modèles provenant des Australiens et des Néo-Zélandais, qui prévoient une augmentation de 3,2 °C en moyenne en 2100 pour le territoire. Mais, ces mailles ne sont toujours pas appropriées pour les îles du Pacifique. Nous avons donc procédé à un affinement supplémentaire, qui n’existe pas dans d’autres modèles internationaux, à 2,5 km2 pour la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française et le Vanuatu. Cela signifie que nous allons produire, à la fin de l’année, des simulations du climat sur les 100 prochaines années par maillage de 2,5 km2 sur ces archipels, afin notamment de distinguer les zones où le climat changera significativement.


    À gauche, la carte de la Nouvelle-Calédonie avec des mailles de 200 km2. À droite, des mailles de 2,5 km2, qui correspondent au modèle climatique sur lequel travaille Clipssa. Infographie Ch. Menkes

    Connaît-on les conséquences de la poursuite du réchauffement climatique en Nouvelle-Calédonie, peut-on dire avec quel climat les Calédoniens devront vivre dans le futur ?

    Dans le scénario actuel d’émission de gaz à effet de serre, nos petits-enfants vont vivre avec un climat où il y aura 3 °C en moyenne en plus, ce qui est très important. Quand il fait 32 °C en moyenne, il fera 35 °C. Ces températures, que l’on atteint aujourd’hui durant les vagues de chaleur, deviendront la normale. Et il y aura les canicules, qui se superposeront à ces températures déjà élevées. On a déjà observé une augmentation du nombre de vagues de chaleur terrestres sur les 40 dernières années dans les données de Météo France. L’épisode de canicule de décembre 2024 a été le deuxième plus important depuis 1955. Et on s’attend à une croissance substantielle de ces canicules, à la fois de leur nombre, mais aussi de leur intensité.


    Les températures devraient augmenter de 3 °C en moyenne en Nouvelle-Calédonie d’ici la fin du siècle. Infographie Ch. Menkes

    Qu’en est-il de l’évolution des précipitations ?

    On attend les simulations de Clipssa concernant le devenir des précipitations à l’échelle des îles (2,5 km) pour la fin de l’année, mais au-delà de leur évolution moyenne, la manière dont elles vont changer nous intéresse. Par exemple, si on prend les cyclones – une diminution de leur fréquence est prévue sur tous les bassins de la planète -, on ne s’attend pas particulièrement à une augmentation de l’intensité des vents dans nos régions en l’état actuel de nos connaissances, mais à une augmentation de l’intensité des pluies, qui peuvent être un élément très destructeur et dangereux, causant des éboulements, des crues, etc. Les pluies pourraient augmenter de 10 à 20 % dans les cyclones dans le Pacifique Sud.

    En revanche, pour l’instant, à des échelles de 20 km, l’ensemble des modèles ne nous montrent pas, en Nouvelle-Calédonie, une évolution particulière en ce qui concerne la pluie de façon générale. Les observations indiquent qu’elle ne diminue ou n’augmente pas en moyenne sur l’année, mais sur certaines périodes. Par exemple, les données montrent une diminution des pluies au mois de juin.

    L’évolution du risque de feu est une des préoccupations majeures. Outre la hausse des températures, une étude précédente montrait qu’il y avait un risque d’assèchement de 20 à 30 % en moyenne sur la côte Ouest et dans le Sud en particulier dans le futur, augmentant le risque de feu.


    La pluviométrie prévue sur le Caillou. Infographie Ch. Menkes

    Pensez-vous qu’il pourrait y avoir, en 2100, des endroits qui deviennent difficilement vivables en Nouvelle-Calédonie en raison de la chaleur, de la sécheresse, etc. ?

    Je pense que les températures seront plus élevées sur la côte Ouest que sur la côte Est, c’est-à-dire qu’il y aura peut-être 3,5 °C sur la côte Ouest et 2,5 °C sur la côte Est. Les simulations à 2,5 km de Clipssa nous le diront. Ce serait donc plus vivable sur la côte Est que sur la côte Ouest, ne serait-ce qu’à cause des précipitations, parce qu’il va continuer à davantage pleuvoir sur la côte Est, même si les précipitations devraient diminuer d’une manière générale.

    Comment vont être utilisées les données issues de Clipssa ?

    Les pouvoirs publics nous ont demandé de travailler sur l’agriculture et l’eau, parce que cela fait partie de leurs priorités. Derrière, il s’agit d’une question de sécurité alimentaire. L’évolution du climat aura des conséquences sur le secteur. Si la température augmente de 3 °C, si la saison des pluies commence plus tard, ou s’il y a 20 % de précipitations en moins, cela met en danger certaines cultures et il va falloir les cultiver différemment, changer les pratiques, par exemple planter à un autre moment, ou plus en hauteur, si possible, afin de retrouver des températures plus clémentes. Certaines cultures pourraient devenir non viables. Durant La Niña, un certain nombre d’agriculteurs ont perdu leurs productions.

    Des modèles sont en train d’être établis. Ils vont permettre de dire que telle culture, dans telle zone, est favorisée ou défavorisée par l’évolution du climat. Par exemple, s’il y a moins de précipitations sur une zone donnée, ce n’est pas telle espèce de taro qu’il faudra planter, mais une autre plus résistante à la sécheresse et vice-versa.

    Concrètement, Clipssa vise à mieux comprendre l’influence du changement climatique sur le devenir de certaines cultures ?

    Oui, comme le taro et l’igname par exemple, parce qu’elles ont une valeur, outre économique, culturelle importante. Mais, il y a aussi les patates douces, certains fruitiers, ou encore l’ananas en Polynésie française. Pour l’instant, les chercheurs ont recueilli des informations sur la façon dont les savoirs face aux aléas climatiques se transmettent, notamment ceux liés à l’agriculture traditionnelle. Puis, des modèles sont en train d’être établis. Ils vont permettre de dire que telle culture, dans telle zone, est favorisée ou défavorisée par l’évolution du climat. Par exemple, s’il y a moins de précipitations sur une zone donnée, ce n’est pas telle espèce de taro qu’il faudra planter, mais une autre plus résistante à la sécheresse et vice-versa. On ne va pas pouvoir continuer à faire de la patate douce qui est systématiquement détruite parce qu’il y a de l’eau dans la plaine de La Foa, par exemple, si des évènements La Niña prolongés sont plus fréquents. Il faudra s’adapter d’une manière ou d’une autre.

    Clipssa produira des données climatiques qui pourront également servir d’indicateurs pour les autres secteurs qui ne sont pas abordés, la santé, l’énergie, etc. Il faudra ensuite d’autres projets de ce type pour s’intéresser aux impacts du climat futur sur l’océan dans des secteurs tels que la pêche, la biodiversité marine… Certains de ces projets sont d’ailleurs déjà en cours tel que le projet MaHeWa (Marine Heat Waves), qui s’intéresse particulièrement aux impacts des canicules marines sur les écosystèmes.

    Est-ce que les politiques publiques prennent assez en compte les résultats des recherches en général ?

    Les pouvoirs publics sont devenus conscients de l’importance de prendre en compte les résultats de la recherche sur le climat. Le constat a été fait que les données sur l’évolution du climat n’étaient, jusqu'à présent, pas assez prises en compte dans les politiques publiques. Ce constat a conduit le gouvernement à s’impliquer dans Clipssa et notamment dans l’élaboration d’un plan d’adaptation au changement climatique.

    L’homme, responsable du changement climatique

    Le climatologue Christophe Menkes insiste. "On a suffisamment d’observations depuis suffisamment longtemps pour pouvoir dire : ‘oui, il y a un réchauffement continu de la planète et il n’est pas naturel'." Le changement climatique que connaît la planète est donc bien une variabilité induite par l’homme. Si le chercheur l’affirme, c’est que le climat a été étudié sur des millions d’années, et que les scientifiques connaissent le fonctionnement des variabilités naturelles. "Et ce n’est pas du tout ce qu’il se passe en ce moment."

    "Une rapidité qu’on n’a jamais vue"

    La preuve la plus évidente, avance Christophe Menkes, c’est que "sur les 800 000 dernières années, le niveau de CO2 dans l’atmosphère a dépassé, en quelques dizaines d’années, tout ce qu’on n’a jamais pu observer, et qu’il continue d’augmenter", parallèlement à la hausse des températures à la surface de la planète et de l’eau depuis 1950. Or, "il y a une corrélation entre l’augmentation de la température et celle des gaz à effet de serre". Sauf que si ces derniers croissent, c’est en raison "des émissions dont nous sommes responsables", pose le climatologue. En outre, ce phénomène "se fait avec une rapidité qu’on n’a jamais observée sur le dernier million d’années". En 150 ans, "la température a augmenté de manière équivalente à une déglaciation qui se fait sur 10 000, 20 000 ans."

    Autre argument mis en avant : l’utilisation de modèles, par les scientifiques, qui permettent de voir ce que deviendraient les températures si les gaz à effet de serre demeuraient constants. "Elle n’évoluerait pas. La température de 1850 demeure en moyenne la même jusqu’en 2024."

    Et pour répondre à ceux qui avancent que l’ensemble des paramètres ne sont pas pris en compte, à l’image des cycles de Milankovitch (des variations cycliques des paramètres de l’orbite de la Terre qui engendrent des variations du climat terrestre, NDLR), "c’est faux", appuie Christophe Menkes. "Ils sont intégrés aux modèles, comme les éruptions volcaniques, par exemple. Tout ce qu’on pense être des éléments qui font varier le climat est pris en compte. Le réchauffement a été scientifiquement prouvé. Les rapports du Giec répètent la même chose depuis 1990 : ‘on est responsable du réchauffement'."

    Note

    *La 2e édition du Forum sur le changement climatique, initiée par le gouvernement, est organisée le 22 juillet sur le campus de l’université de Nouville, pour mettre à l’honneur la jeunesse et la science.

    *Clipssa : Climat du Pacifique, savoirs locaux et stratégies d’adaptation : https://clipssa.org. Le projet sera développé en Nouvelle-Calédonie, ainsi qu'au Vanuatu, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna. 

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