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    Nouvelle Calédonie
  • LNC | Crée le 01.06.2025 à 09h00 | Mis à jour le 01.06.2025 à 09h00
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    Dessin de Paul-Louis Mariotti par Maurice Bunel.
    Paul-Louis Mariotti n'a jamais nié le crime qui l'a conduit à l'île Nou l'année de ses 20 ans. Question d'honneur. Réhabilité, économe et travailleur, le jeune Corse s'est construit une belle situation : deux mariages, douze enfants dont l'illustre écrivain calédonien Jean Mariotti et des centaines d'hectares de propriété. L'historien Frédéric Angleviel est l'un des arrière-petits-fils du forçat et l'auteur de nombreuses publications consacrées à ses aïeux. Retour sur la vie de Paul-Louis Mariotti dans ce 54e épisode de notre sage consacrée aux familles issues du bagne. Cet article est une archive parue dans Les Nouvelles calédoniennes le samedi 11 juin 2016.

    "Ce n'est pas un crime, c'est une vendetta. La nuance est de taille, pour les Corses. À l'âge de 20 ans, quand j'ai interrogé mon grand-père Joseph Mariotti sur l'histoire de la famille, il m'a raconté sa version des faits, "Les Mariotti vus par" en quelque sorte... " Frédéric Angleviel sourit aujourd'hui des récits hagiographiques, transmis de père en fils, plus proches de la fable que du récit historique. Historien de profession, il sait faire la part des choses et connaît la vérité, souvent plus prosaïque. La vie de ses ascendants est pourtant à l'image d'un roman, remplie de rebondissements. Et tout commence dans un petit village de montagne corse...


    L'historien Frédéric Angleviel est l'un des arrière-petits-fils du forçat et l'auteur de nombreuses publications consacrées à ses aïeux.

    " Le père de mon arrière-grand-père Paul-Louis avait épousé une Italienne, une véritable mésalliance à l'époque pour les habitants de l'ile. À sa mort, prématurée, son frère a récupéré les terres et laissé la veuve vivre chichement avec ses quatre enfants. Quand il a eu 18 ans, Paul-Louis est allé réclamer leur part d'héritage et devant le refus de son oncle, il a décidé de lancer une vendetta. Selon la tradition orale, ils se seraient disputés, l'oncle aurait voulu se saisir d'un fusil, Paul-Louis aurait sorti son pistolet et l'aurait tué. Ce que j'ai trouvé aux archives de Bastia raconte en fait que le jeune homme a attendu son oncle caché sur le chemin et lui a tiré dans le dos quand il est passé. La vendetta n'a jamais été un duel, on supprime l'autre et c'est tout. Il est condamné à six ans de travaux forcés, en février 1878.

    D'une île à l'autre

    " Paul-Louis arrive le 25 octobre 1878 à l'ile Nou, puis il est transféré au fort Téremba et, dès 1881, mis en concession. En trois ans, il a été puni à deux reprises : en 1879 pour avoir "été trouvé en possession de salade dont il na pu justifier la provenance" et en 1880 pour "paresse au travail".


    Paul, Louis et son fils aîné, Ange Paul.

    Il est libéré le 4 février 1884 et, grâce à l'argent de la vente de la maison familiale à Campile, il achète au libéré Chomard une parcelle à Méaré (La Foa). Il a pour voisin le libéré Joseph Hacques, dont il épouse la fille, Marie-Louise, en 1886. Ils ont ensemble six enfants et mènent une vie de dur labeur.

    Le sieur Mariotti, réhabilité, possède une véritable fortune acquise par les économies qu'il a su faire à Thio où il a longtemps été employé dans les mines. 

    Quand Paul-Louis devient libre de pouvoir quitter la Nouvelle-Calédonie, il fait pourtant le choix de rester et envoie de l'argent à son frère, Pierre, afin que celui-ci le rejoigne. Son cadet laisse femme et enfants en Corse et arrive à Nouméa en 1893. En 1895, l'administration pénitentiaire indique que "Le sieur Mariotti, réhabilité, possède une véritable fortune acquise par les économies qu'il a su faire à Thio où il a longtemps été employé dans les mines. Autorisé à tenir cantine avec commerce d'épicerie et de liquides à emporter, il est aujourd'hui un des plus riches propriétaires du centre", puis elle décrit ses biens : "Charrue, voiture à cheval, 40 poules, 12 porcs, 1 cheval, valeur 12 900 francs, revenu 8 000 francs, situation brillante".

    En quelques années, Paul-Louis a en effet réussi à développer une activité aussi florissante que variée. En plus de ses champs, de son bétail, de l'épicerie, mon arrière-grand-père se lance dans le commerce de peaux qu'il fait tanner dans la rivière La Foa, puis dans une scierie au col d'Amieu.


    Le magasin Mariotti, à Farino, vers 1920.

    À cette époque, l'Hemileia vastatrix n'a pas encore frappé le Caillou, et ses pieds de café lui fournissent deux tonnes de grains par an. Il s'essaye également à la culture de la vigne mais, s'il arrive à obtenir un raisin de table correct, il ne parvient pas à produire un vin qui ne soit pas de la piquette.

    Faustine, ma grand-tante, nous a raconté que son père a présenté son vin à un concours où il a certes remporté une mention, mais insuffisante à ses yeux. Il était furieux. 

    Une série de drames

    Marie-Louise, son épouse, se noie dans la rivière La Foa. Paul-Louis décide alors de quitter Méaré pour Farino où il a une parcelle. Il y transfère et développe ses activités agricoles et son épicerie puis se remarie avec Marguerite Aïna, fille de libéré, avec laquelle il a de nouveau six enfants.


    La famille Mariotti, en 1905. Paul Louis est au côté de sa seconde femme, Marguerite, et entouré de ses enfants.

    Le père Mariotti souhaite que sa progéniture soit instruite et fait ouvrir une petite école tenue par la femme d'un surveillant militaire. Ils étaient moins d'une dizaine d'élèves, assis par terre, l'ardoise sur les genoux. Et lorsqu'il pleuvait trop fort, l'institutrice les emmenait dans sa maison.

     

    En 1910, la commission municipale de Farino est instituée et mon arrière-grand-père en devient le premier président. La situation économique de la famille connaît des hauts et des bas. Le parasite du café puis un cyclone ont raison de ses économies. Les fils du premier lit arrêtent leurs études et épaulent leur père : Ange-Paul, l'aîné, à la scierie, Félix au café et Joseph à l'entrepôt.

    Pendant leurs permissions, Joseph et Félix retournent en Corse, faire la paix avec le reste de la famille. La vendetta est officiellement levée et le pardon mutuel accordé.

    En 1914, tous les frères Mariotti en âge de porter les armes sont volontaires et partent avec le premier contingent du Bataillon du Pacifique. Ange-Paul meurt en Orient. Pendant leurs permissions, Joseph et Félix retournent en Corse, faire la paix avec le reste de la famille. La vendetta est officiellement levée et le pardon mutuel accordé. "

    Entre les deux guerres, la situation économique de la famille décline. La cordonnerie, la tannerie puis la scierie ferment. Les importations freinent l'agriculture locale et Farino se vide de ses âmes. Paul-Louis décède en 1927.

    Il ne voit pas ses deux jeunes fils, Pierre et Jean, mobilisés à leur tour en 1939, pas plus qu'il ne voit publier les premiers ouvrages à succès de ce dernier.


    Félix à gauche et Joseph Mariotti, deux des trois fils du forçat engagés dans la Grande Guerre. Tous les deux reviendront vivants du front. Ange-Paul, leur frère aîné, ne reviendra pas.

    Joseph quitte Farino pour travailler sur mine à Thio. En 1931, il y épouse une fille de colon libre qui va gérer leur magasin. Elle est la première femme du village à posséder une voiture et descend une fois par semaine faire le plein de marchandises à Nouméa. Félix récupère les terres familiales et les agrandit. Elles sont ensuite vendues par son fils, Henri, puis restituées en partie aux tribus. La plupart des enfants ont fondé une famille sur le Caillou. Ils sont plus de trois cents descendants en Nouvelle-Calédonie. Les livres étalés sur la table devant Frédéric Angleviel sont nombreux et d'autres sont en préparation, car désormais la parole est libre.

     Il y a encore quinze ans, en 2000, "l'omerta familiale" était toujours présente. À la suite d'un malentendu avec la rédaction d'un journal, l'histoire des Mariotti était parue dans la presse.

    " Je me souviens qu'en 1988, RFO m'avait invité en tant qu'historien à parler des aumôniers du bagne mais j'avais dû décliner face au malaise que ce sujet créait chez quelques anciens. Il y a encore quinze ans, en 2000, "l'omerta familiale" était toujours présente. À la suite d'un malentendu avec la rédaction d'un journal, l'histoire des Mariotti était parue dans la presse. Cette diffusion m'avait alors brouillé avec une grand-tante mais, aujourd'hui, ce temps est définitivement révolu. "

    Jean Mariotti (1901-1975), le plus célèbre écrivain calédonien


    Jean Mariotti, le fils de Paul-Louis, est assis au centre (caserne Gally-Passebosc à Nouméa).

    " Je suis né, disait-il, une nuit de la Saint-Barthélémy, dans une maison entourée de sapins. " Après une enfance en Brousse et des études au lycée Lapérouse de Nouméa, Jean refuse la carrière d'ingénieur dont rêvait pour lui son père, " Alors je suis parti, sans coup de tête. Je ne me suis pas évadé " (Le bureau des rêves perdus, 1958).

    Il s'embarque à 21 ans comme aide-cuisinier sur un vieux cargo, le Calonne. Arrivé en France, il y fait pour vivre toutes sortes de métiers : courtier en assurances, directeur de colonie de vacances, détective, manutentionnaire puis inspecteur de librairie chez Hachette où il rencontre puis épouse une jeune émigrée russe, Ludmilla Karjinska.

    De 1929 à 1945, il publie Tout est peut-être inutile, Takata d'Aîmos, Remords, Contes de Poindi et Les nouveaux contes de Poindi, et À bord de l'Incertaine.

    En 1942, il s'évade d'un stalag, s'engage dans la Résistance et participe à la libération de Paris. En 1947 paraît Le dernier voyage du Thétis.

    Cette année-là, c'est le retour en Calédonie pour y préparer le livre du centenaire de la prise de possession, dont la réalisation lui a été confiée par le Conseil général. Après ce pèlerinage, il rentre à Paris en 1950 et fait paraître La conquête du séjour paisible, puis Daphné et, en 1969, un recueil de poèmes, Sans titre. Auteur de quatorze ouvrages, conteur et philosophe, Jean Mariotti est fait citoyen d'honneur de la ville de Bastia.

    Farino, la dynastie Mariotti

    " En 1910, Le Bulletin du Commerce se fait l'écho d'un souhait civique : "Les habitants du centre de Farino, lequel gagne chaque jour en importance, auraient le plus grand intérêt à obtenir la formation d'une commune indépendante. Farino compte 25 électeurs et ce nombre atteindra bientôt 50, la jeunesse étant nombreuse.

    Fort éloigné de La Foa, situé sur un plateau isolé à 300 mètres d'altitude, ses intérêts sont dissemblables de ceux du centre auquel ils sont liés". Le gouverneur institue donc, cette année-là, la nouvelle commission municipale de Farino. Paul-Louis en devient le premier président. Cette charge est ensuite occupée par ses fils Joseph puis Félix, et enfin, pendant plus de quarante ans, par son petit-fils, Riquet (1961-2001).

    La famille Mariotti et alliée (Bernut) a donné quatre présidents, un délégué et un maire à la commune pour un total de 84 années!"

    Note

    Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé.

    Cet article est paru dans le journal du samedi 11 juin 2016.

    Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.

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