Il pensait rentrer à la maison la glacière vide. Une matinée sans rien piquer, « une mer franchement sale », Éric Boucard a pensé que ce n’était pas sa journée. La moitié de sa vie dans l’eau, l’autre dans son taxi en sillonnant le Mont-Dore, ce père de famille de 55 ans, passionné de pêche et de photo sous-marine, a réalisé dimanche ce que bon nombre de Calédoniens ne s’autorisent même pas à rêver. À l’extérieur du grand récif, en face de Ouano (La Foa), « dans un endroit que je connais depuis des années », « nous n’avons vu que quatre wahoos entre 8 heures et 11 heures, ils étaient inapprochables », raconte le Mondorien. Après un léger casse-croûte avec son ami Alain, 70 ans, Éric Boucard retourne à l’eau. La rencontre avec le « mousquetaire des mers » est imminente.

Infatigable poisson

Le voilier de I’Indo-Pacifique (son vrai nom) transperce le brouillard de particules qui flottent dans l’eau, il ralentit devant le plongeur. Il n’est plus qu’à deux mètres de lui. Figé, Éric Boucard, « paniqué et en même temps très concentré », « vise plein corps, de biais ». La flèche traverse l’espadon de part en part, « c’est un tir très pénalisant ». Armé d’un fusil de 130 centimètres, la flèche étant reliée à une ligne flottante avec une bouée à l’extrémité (technique de la floatline qui permet « de pêcher des poissons impossibles à négocier humainement en raison de leur force »), le pêcheur est alors tracté sur plusieurs dizaines de mètres. Éric Boucard remonte ensuite sur son bateau, aidé par Alain. Il tient d’une main ferme la corde qui le relie à l’espadon à l’impressionnante nageoire dorsale. Le combat est âpre. Le Mondorien, père de deux enfants, ne lâche rien. « Le bateau, moteur coupé, avançait, tiré par ce poisson pour l’instant infatigable, se rappelle-t-il. Après 10 minutes, il est en visuel, quelques mètres sous la surface ». C’est le moment pour Éric Boucard. Il replonge et pique une seconde fois l’espadon-voilier sous les ouïes. « Le tir suffit à le sécher net ». Il faudra cinq minutes pour hisser le pélagique sur le bateau. Éric Boucard est aux anges. « J’ai pêché le poisson de ma vie ».

Don aux petites sœurs des pauvres

Le quinquagénaire vient d’attraper un des poissons les plus rapides au monde. Arrivé il y a 30 ans en Calédonie guidé par sa passion de la plongée sous-marine, il n’avait jamais réussi une telle prise. La pesée s’effectue dans le parc de Ma Maison des Petites Sœurs des pauvres, à qui il offrira cet espadon de 97,800 kilos pour environ trois mètres de long.

« C’est un poisson presque fantasmagorique, on en rencontre un tous les cinq ans. C’est extrêmement rare sans parler que j’ai eu une incroyable opportunité de tir. Ça n’arrive jamais », sourit le passionné. « Je sais très bien que ça ne m’arrivera plus ».

Publiées sur les réseaux sociaux, les photos du « trophée », partagées des centaines de fois et provoquant autant de réactions, ont fait la fierté des Calédoniens. Un record du monde aurait-il été pulvérisé ? Sur l’international underwater spearfishing association (IUSA), site de référence qui recense les plus belles prises dans le monde, le record (catégorie Istiophorus platypterus) remonte à 2002 avec un spécimen de… 63 kilos. « Il est très probable que ce soit le plus gros poisson fléché en Calédonie », ajoute, pas peu fier, Éric Boucard. Il est sûr qu’il n’a pas fini de rêver de cette pêche miraculeuse.