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    Nouvelle Calédonie
  • Par Esther Cunéo et Jean-Alexis Gallien-Lamarche | Crée le 27.08.2018 à 06h34 | Mis à jour le 27.08.2018 à 06h38
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    Quelques jours après l’attaque de Nouville, des jeunes avaient réussi à attirer des bouledogues avec… un bout de bois attaché à une corde. Photo J.-A.G.-L.
    Les requins-bouledogues qui s’étaient sédentarisés dans la rade de Nouville seront bientôt sous haute surveillance. Combien sont-ils ? Où se déplacent-ils ? L’interdiction du shark-feeding au Port autonome aurait provoqué leur dispersion. Se rapprocheraient-ils des côtes et sont-ils dangereux pour les usagers du lagon ? Les experts et la ligue de voile tirent la sonnette d’alarme.

    Il y a les images, connues de tous, qui circulent sur les réseaux sociaux et les histoires qui restent sous silence. Celles d’un marin sautant dans la rade de la base navale Chaleix qui se fait charger par un énorme requin ont été partagées des milliers de fois. Celles, aussi, des pêcheurs et des lycéens de Jules-Garnier qui s’amusent à attirer les squales dans les eaux du port de Nouville avec un bout de poisson attaché à une corde abondent sur internet. Et puis, il y a les témoignages qui ne sont pas ébruités, de peur, peut-être d’affoler la population. Peu nombreux sont en effet ceux au courant qu’un exercice d’hélitreuillage de l’armée de l’air et de la gendarmerie a précipitamment pris fin, en juin, lorsque quatre plongeurs de la brigade nautique ont été obligés de donner des coups de palmes pour se défendre face aux assauts d’un requin avant d’être récupérés en urgence par le bateau de sécurité. Des plongeurs de la gendarmerie, encore, qui ont aperçu en juillet un requin-bouledogue non loin de l’îlot Maître et de ses baigneurs et sur des sites de plongée où jamais ils n’avaient jusqu’à alors rencontré l’espèce. 

    Des requins " affamés"

    Autant de signalements qui inquiètent pouvoirs publics et usagers du lagon surtout au lendemain de l’attaque d’un requin-bouledogue sur Kito à Nouville. C’est sur la presqu’île et plus exactement vers le Port autonome que tous les regardssonttournés, là où une«colonie» de requins-bouledogues, tous aussi gros les uns des autres, s’est, semblet-il, sédentarisée. « En courant le long du quai, j’en ai aperçu 14 différents. On peut facilement multiplier par quatre la population. Ils se sont “fixés” à Nouville », témoigne Philippe Tirard,un spécialiste des requins.

    Des requins à Nouville, il y en a toujours eu ou presque, racontent les anciens. Problème, les récentes mesures prises par les autorités, mairie et province Sud, visant à durcir l’interdiction du nourrissage de ces grands prédateurs (renforcement des contrôles à l’entrée du port, surveillance des gardes nature, signalétique…) ont eu « pour conséquence directe de contraindre ces squales domestiqués, et désormais affamés, à chercher leur nourriture ailleurs », s’alarme la ligue calédonienne de voile. « On peut penser, sans en avoir la preuve, que c’est la conséquence des mesures qui ont été prises dès janvier, reconnaît Jean-Marie Lafond, à la tête du service de l’environnement de la Maison bleue. Maintenant il faut anticiper le devenir de ces quelques animaux qui avaient fait du Port autonome leur garde-manger en quelque sorte. » 

    Traduction : lancer une vaste étude avec l’appui technique de l’IRD avant la fin de l’année sur les requins-bouledogues de Nouville. Si les modalités de l’étude n’ont pas été totalement arrêtées, on évoque déjà la capture et le marquage des squales. « L’idée c’est d’avoir une estimation assez précise de la population, et de savoir où ils se baladent si on ne les nourrit pas. Ceci avant d’intervenir sur certains spécimens qui pourraient s’avérer dangereux s’ils s’approchaient de zones comme la Baie-des-Citrons ou le Kuendu-Beach », commente Philippe Jusiak, secrétaire général adjoint à la mairie de Nouméa. « On veut aller vite, si possible avant la fin de l’année ». « On ne peut pas exclure une attaque à la “BD”. Je pense même que c’est inévitable, redoute Philippe Tirard. De ce point de vue, l’étude est très importante pour observer où ils se baladent ».

    L’euthanasie envisagée

    De l’avis des experts, il n’y a donc pas 36 solutions. « Soit on les capture et on les euthanasie. Soit on les emmène au large et on les marque », glisse un scientifique, avec pour cette dernière hypothèse, une efficacité « toute relative » compte tenu des distances parcourues par ces grands voyageurs. « L’éloignement a fait ses preuves au Brésil, contredit Philippe Jusiak. Il faut quand même rappeler que les requins sont des espèces protégées, on ne peut pas faire n’importe quoi et se mettre à tous les euthanasier sans fondement. » Toujours est-il que ces deux solutions requièrent d’importants moyens, à la fois humains et financiers, et ne risqueraient que d’envenimer un débat entre les « pour » et les « contre » requins, à l’image des troubles qui ont terni l’image de La Réunion. Une question tracasse les autorités et les chercheurs : le lagon est-il devenu plus dangereux qu’auparavant ? Des experts, qui souhaitent rester anonymes, considèrent que la situation est préoccupante et redoutent le pire. « Est-ce qu’il y a plus de signalements de requins parce qu’il y a plus de monde sur la plage et dans l’eau ou parce qu’il y a plus de requins ? », s’interroge Philippe Jusiak. Vaste débat. Une chose est sûre, les pouvoirs publics ne prennent pas le problème des requins de Nouville à la légère et anticipent avant qu’un drame n’enflamme l’opinion.

    Depuis l’attaque, je ne suis plus retourné à la mer

    Autour de son cou, une dent de requin. Comme un symbole de ce qu’il a vécu, il n’a jamais quitté ce pendentif « rapporté d’Australie par un cousin pendant que j’étais à l’hôpital », dit-il. C’est à Nouville, « mon quartier depuis tout petit », et plus exactement à la plage de l’EFPA où il aime poser ses filets de pêche et s’entraîner à l’apnée, que Kito a échappé à la mort en janvier dernier. Dans un mètre d’eau, à quelques mètres de la terre ferme, ce père de quatre enfants, âgé de 41 ans, a été attaqué par un requin, probablement un bouledogue. « J’ai senti quelque chose qui me tirait le bras. J’ai d’abord pensé qu’on me faisait une blague. Puis j’ai ressenti une vive douleur au ventre. J’ai compris que c’était grave », raconte, pour la première fois, Kito. L’attaque est fulgurante. « Il y a eu deux charges. Il est revenu sur moi. Ce fut très rapide ».

    " Il ne faut pass attendre un mort "

    La suite est digne d’une scène de film d’horreur. Kito sort de l’eau sous les yeux de son fils Naoki, 10 ans, en train de s’aguerrir à la pêche au harpon. Le requin l’a mordu au bras et à l’abdomen. « J’ai perdu beaucoup de sang. Heureusement qu’Emmanuel et Jacques m’ont secouru. On n’a pas attendu les secours, on est directement partis au Médipôle », témoigne-t-il. Kito se bat alors pour survivre - « j’avais du mal à respirer, je pensais que mon souffle allait s’arrêter, il ne fallait pas que je panique » -, il est placé en coma artificiel plusieurs jours avant de démarrer des séances éprouvantes dans un caisson hyperbare pour accélérer la cicatrisation des plaies. Les jours qui passent se révèlent être un combat de tous les instants. « Les médecins ont fait un super-boulot, je veux vraiment les remercier », insiste Kito. Depuis qu’il a quitté l’hôpital, ce surveillant à la maison de l’étudiant au campus de Nouville se remet peu à peu. Son bras droit lui fait mal et les doigts de sa main ne se ferment plus comme avant. Sur son ventre, la cicatrice laisse apparaître la taille de la mâchoire du squale. En racontant son histoire, Kito sourit, rigole, minimise ce qui lui est arrivé. Mais sa jovialité apparente cache un profond traumatisme. « Je ne suis plus retourné à la mer depuis l’attaque », confie-t-il. Il poursuit : « je ne sais pas encore comment je vais réagir quand j’y retournerai. Je n’y pense pas. Mais c’est sûr que je vais reprendre un jour la pêche, ça me manque. Puis la mer me permet de vider mon esprit, j’ai besoin de ça ». Des images de l’attaque lui reviennent parfois à l’esprit sans qu’il puisse vraiment les chasser. Et puis les questions affluent sans qu’ils puissent y apporter des réponses. « Il faut étudier ces requins à Nouville. Qui ils sont, où est-ce qu’ils vont ? ». Kito espère forcément beaucoup des réponses qu’apportera l’étude lancée par les autorités. « Il ne faut pas attendre qu’il y ait un mort. On n’est malheureusement pas à l’abri d’une nouvelle attaque ».

    Repères

    La pêche au requin interdite en province Sud… à une exception près 

    Il a fallu attendre avril de l’an dernier pour que la Maison Bleue interdise formellement « la pêche, la détention, le transport, l’exposition, la vente, ou la mutilation » des squales. C’était déjà le cas en province Nord depuis 2008 et dans la zone économique exclusive (ZEE) cinq ans plus tard. Dans le Sud, la pêche au requin, « toutes espèces » confondues, est passible d’une amende pouvant grimper jusqu’à 2,6 millions de francs. À une exception près : la province se réserve en effet la possibilité de déroger à la règle « lorsque des intérêts relatifs à la protection de la vie humaine le justifient et en l’absence de solution alternative satisfaisante ». Comme ce fut le cas à Poé avec l’euthanasie d’un requin-tigre suite à une attaque mortelle. Et bientôt à Nouville ?

    À Poé, le requin hante toujours les esprits

    La célèbre plage de Bourail ne s’en remettra peut-être jamais. Le 9 avril 2016, Nicole Malignon décédait après avoir été mordue par un requin-tigre dans un mètre d’eau à quelques mètres du rivage, choquant l’opinion publique. Entre l’impact économique sur les petites et grandes structures touristiques de Poé et les couacs relatifs à « la traque » du « requin tueur », la commune a profondément été marquée par cette crise. Deux ans après les faits, le secteur touristique se relève petit à petit. Les étrangers reviennent. Les locaux aussi. Un plan de balisage a été mis en place et la plage est surveillée pendant les vacances par les pompiers. Mais la peur d’une nouvelle attaque de requin reste dans toutes les têtes. « Ça arrive que des gens voient des tigres dans le lagon de Poé », dit Philippe Tirard.

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