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    Nouvelle Calédonie
  • Propos recueillis par Julien Mazzoni | Crée le 19.07.2025 à 05h00 | Mis à jour le 26.07.2025 à 18h31
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    Pour Milakulo Tukumuli, "il ne faut pas être dupe, le oui et le non vont continuer de vivre" en dépit de la signature de l'accord de Bougival.  Photo Julien Mazzoni
    Quelques jours après la signature d’un accord à Bougival, le chef de l’Éveil océanien en livre sa lecture. Pour Milakulo Tukumuli, il repose sur une notion, "la confiance les uns en les autres." Entretien.

    Alors qu’un accord semblait impossible, finalement, vous êtes parvenus à un compromis à Bougival. Qu’est-ce qui a fait basculer la décision des uns et des autres ?

    Il faut revenir un petit peu à Déva pour comprendre ce qui s’est passé à Bougival. À Déva, le ministre avait posé sur la table le projet de souveraineté avec la France, qui est simplement la suite de l’accord de Nouméa. Mais il n’y a pas de suite, en vérité. C’est quoi la suite ? Il y a la décolonisation et il y a les trois non. Ça veut dire que les Calédoniens doivent acter par référendum qu’au bout d’une période, la Nouvelle-Calédonie aura un statut de souveraineté avec la France, donc un transfert des compétences régaliennes avec délégation immédiate à la France. En fait, c’est changer pour ne pas changer.

    Ce statut a été rejeté à Déva. Les loyalistes ont dit  "Valls n’est plus l’interlocuteur". Ils sont partis chercher le président de la République pour qu’il reprenne la main. C’est ce qu’il a fait. Il a convié tous les partenaires et a proposé une période de stabilité de quinze à vingt ans et peut-être un référendum sur un projet. Quand on arrive à Bougival, il y a un projet sur la table, qui est le cadre du président de la République.

    Comment on passe de ça à l’accord de Bougival ? Les uns et les autres reprennent ce projet, les Loyalistes et le Rassemblement vont le balayer et ils vont discuter avec le FLNKS seuls, en mettant de côté l’Éveil océanien et Calédonie ensemble, pour trouver une autre solution. Un autre compromis. C’est Bougival. Une décolonisation qui se poursuit, mais qui est totalement différente de ce qu’on a pu connaître par le passé. Donc nous, on a signé cet accord.

    Ce moment où vous avez été un petit peu "mis à l’écart" avec Calédonie ensemble, vous l’avez vécu comment ?

    On n’a pas été exclus. Ils avaient besoin de se parler pour dire qu’ils voulaient trouver une solution différente. Peut-être se dire aussi certaines choses qu’ils ne pouvaient pas dire devant nous. Mais à un moment donné, ils nous ont réintégrés dans la discussion, qui n’a pas abouti, d’ailleurs. C’est l’État qui a repris les choses en main, à partir de lundi. Mais la surprise, c’était que l’État revienne avec un projet qui était le même, en vérité.

    Je ne sais pas si c’est le "oui, mais pas maintenant", c’est le "oui, mais je ne sais pas quand". Ou c’est le "non, peut-être jamais".

    Pour vous, Éveil océanien, qui défendez depuis toujours le "oui, mais pas maintenant", ça correspond à cet esprit ?

    Je ne sais pas si c’est le "oui, mais pas maintenant", c’est le "oui, mais je ne sais pas quand". Ou c’est le "non, peut-être jamais". Et tout ça dans un système où on a un corps électoral qui n’est plus celui de 1998, qui est figé, qui est gelé. Là, on a un corps électoral qui est glissant. Ce qui convient à la création d’une nationalité. Une nationalité, c’est ouvert, ce n’est pas fermé. Et avec un droit à l’autodétermination qui s’est transformé en plusieurs droits à l’autodétermination qui se font sur les compétences. Donc ingénierie institutionnelle, la mécanique, elle est là, dans cette différence. Ça peut être difficile à entendre pour les uns et les autres. Chacun a fait des concessions. Il y a des gens qui ont voté trois fois non. Il fallait faire des concessions sur le mot État, sur la double nationalité, sur un processus de décolonisation qui se poursuit.

    Du côté des indépendantistes, ils font des concessions aussi. Ce corps électoral qui n’est plus gelé, mais qui devient glissant. Qu’il n’y ait plus de référendum d’autodétermination avec des modalités d’exercice, mais des référendums possibles dès lors qu’il y a une majorité qualifiée. Tout ça, en fait, est basé sur un seul mot. C’est le pari de la confiance qu’on peut avoir les uns envers les autres.

    Il y a des points sur lesquels vous avez fait des concessions vous aussi ?

    Il y a des choses auxquelles nous étions opposés. Fondamentalement, nous sommes opposés à ce que le pouvoir fiscal aille aux provinces.

    Dans l’accord de Bougival il y a des piliers sur lesquels le compromis s’est construit. Les bouger, c’est compliqué.

    Est-ce quelque chose qui peut encore évoluer ? Ou est-ce figé ? L’accord de Bougival jusqu’au référendum de février, peut-il encore être amendé ?

    C’est compliqué de l’amender. L’équilibre est tellement fragile. Je pense que dans l’accord de Bougival il y a des piliers sur lesquels le compromis s’est construit. Les bouger, fondamentalement, c’est compliqué.

    À vos yeux, l’État français, avec cet accord, poursuit-il le processus de décolonisation ?

    L’État est partenaire des accords et, depuis 1988, il nous a laissés faire. Il dit aux Calédoniens de décider. Il y a eu trois référendums. Quand les Calédoniens vont voter, c’est eux-mêmes qui décident de leur avenir. Et encore aujourd’hui, à Bougival, ce sont les Calédoniens qui décident de la manière dont les choses se poursuivent. Et on voit bien que l’État continue à nous laisser décider de notre avenir.

    Dans son interview parue jeudi dans Les Nouvelles, Victor Tutugoro dit qu’il faut construire ensemble un pays. C’est ce qu’on entendait déjà en 1998 avec l’accord de Nouméa. Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui c’est différent d’il y a trente ans ?

    Parce qu’il y a une notion quand même assez différente, c’est que pour le moment, il n’y a pas de référendum d’autodétermination.

    Et quand on dit que le statut est pérenne et évolutif, c’est-à-dire que pour évoluer, on a besoin de se faire confiance les uns et les autres, surtout dans un corps électoral qui va bouger, qui n’est plus figé comme en 1998. Donc en fait, si on veut poursuivre le chemin ensemble, on est obligé de travailler ensemble. Après, il ne faut pas être dupe, le oui et le non vont continuer de vivre. Et ça, on le regrette, parce qu’on rêve d’un pays où il n’y a plus cette dualité. Malheureusement, je pense que ce clivage-là va perdurer.


    Milakulo Tukumuli, au congrès de l’Éveil océanien, à Païta, le 17 mai 2025. Photo Anthony Tejero

    La recomposition du Congrès, qui va profiter à la province Sud, qui a cinq sièges de plus, c’était quelque chose de nécessaire à vos yeux ? Et justement, par rapport à ce fait de travailler ensemble, quel impact cela aura-t-il sur la façon de faire de la politique ?

    D’abord, il y a toujours eu une surreprésentation des provinces Nord et Îles, ça fait partie du rééquilibrage. C’était nécessaire à ce moment-là et ça l’est toujours, aujourd’hui.

    Mais avant Bougival, elle était trop forte. C’est-à-dire qu’elle ne correspondait plus vraiment à la situation de 1980. Donc c’est un ajustement au fur et à mesure de la démographie qui a évolué.

    Je crois que c’est une erreur de penser que ces cinq sièges supplémentaires à la province Sud vont échouer aux non-indépendantistes parce que c’est réparti à la proportionnelle.

    Je crois que la réalité est un peu différente. Encore une fois, c’est le programme politique qui sera porté qui fera la différence.

    Ça peut être l’occasion de voir de nouvelles forces émerger et modifier le paysage politique ?

    En 2019, après le référendum, on s’est déjà posé cette question, dans un moment où le clivage était fort. Je peux répondre que oui, parce qu’en 2019, nous, Éveil océanien, en avons été la preuve malgré ce clivage. Et je crois qu’on est identifiés, aujourd’hui, comme étant les centristes, ni indépendantistes, ni loyalistes.

    Il y aura toujours des extrêmes, d'un bord comme de l'autre, qui refuseront l'accord.

    Il va maintenant falloir défendre ce projet sur le terrain pour convaincre la population. Comment appréhendez-vous cette campagne ? Chacun va y aller de son côté, ou envisagez-vous, dans un second temps, de la faire avec les autres partenaires ?

    Pour nous, ça ne va pas être très compliqué, parce qu’on a toujours tout expliqué à nos militants.

    Au congrès du 17 mai de l’Éveil océanien, on leur avait expliqué quelles étaient les options. On va maintenant leur expliquer Bougival, qu’est-ce que ça implique, quelles sont les nouvelles dispositions, parce que les gens sont vraiment intéressés par ça, mais il n’y aura pas beaucoup de difficultés. Nous aurons un gros travail à faire sur le terrain, non pas pour convaincre, mais pour faire de la pédagogie. En espérant que du côté des indépendantistes et des non-indépendantistes, eux aussi, arrivent à faire le travail.

    Après, il ne faut pas se voiler la face, si l’ensemble des partis sont d’accord, on n’aura pas 100 % des gens qui valideront ce compromis. Il y aura toujours des extrêmes, d’un bord comme de l’autre, qui refuseront l’accord, comme ce fut le cas pour l’accord de Nouméa. Mais si les Calédoniens le valident, nous ouvrirons un nouveau chapitre.

    Nickel : "Il faut aller vers un nouveau modèle"

    "L'État s'est engagé à accompagner les trois usines, qui ne sont pas au rendez-vous. La France a beaucoup de difficultés financières, elle doit faire des efforts pour nous accompagner. KNS n'a plus d'industrie, la SLN est en grande difficulté, PRNC aussi. L'État va concentrer l'effort sur l'énergie. Je reprends le discours du président de la République en juillet 2023 sur la place de la Paix, qui évoquait 64 milliards pour l'énergie, pour rendre notre industrie compétitive. Ça, c'est la part de l'État, mais c'est adossé à une réflexion de notre côté sur la stratégie. Transformation ? Trois usines ? Que faire de l'export ? C'est quoi la nouvelle stratégie ? Le nouveau code minier pour la Nouvelle-Calédonie ? Toutes ces questions-là ont été discutées à Paris. Donc on va travailler de manière commune pour refaire du nickel un poumon économique. L'industrie du nickel telle qu'on la connaît aujourd'hui a hérité d'un contexte qui a totalement changé. Nous sommes toujours sur une stratégie des années 80. Je ne dis pas qu'elle est mauvaise, mais il faut l'ajuster. La question des exports et la question des titres miniers sont revenues sur le tapis. Et je pense qu'il y a une unanimité sur les questions économiques et sociales de la part de l'ensemble des partenaires politiques, en particulier au niveau du nickel. Le constat, c'est que ça n'a pas marché, et maintenant, nous sommes d'accord pour dire qu'il faut aller vers un nouveau modèle."

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