- Propos recueillis par Anthony Tejero | Crée le 10.05.2025 à 05h15 | Mis à jour le 12.05.2025 à 10h36ImprimerNicolas Meztdorf, député de la première circonscription, assure que les relations se sont améliorées lors de ce conclave avec le camp indépendantiste. Photo Anthony TejeroAlors que les partisans de la France ont rejeté le projet d’accord posé sur la table par le ministre des Outre-mer Manuel Valls autour d’une "souveraineté avec la France", Nicolas Metzdorf explique en quoi cette "indépendance déguisée" est inacceptable pour son camp, qui "entre plus que jamais en résistance" et appelle à l’unité dans la perspective des élections provinciales. Un scrutin crucial pour lequel le groupe Loyalistes-Le Rassemblement tentera par tous les moyens politiques et juridiques d’ouvrir le corps électoral. Un sujet brûlant depuis les émeutes. Entretien avec le député de la première circonscription.
Vous assumez complètement de vous être opposés (Les Loyalistes et Le Rassemblement) à tout accord basé sur une souveraineté partagée que proposait Manuel Valls. Pourquoi ?
Souveraineté partagée, ce n’est pas le bon terme car on considère déjà que le statut de la Nouvelle-Calédonie est dans une forme de souveraineté partagée. L’indépendance-association de Valls, c’est autre chose. Jamais, dans toutes les négociations, même depuis la fin du troisième référendum, il n’en avait été question avec les indépendantistes et l’État. On n’a jamais travaillé ces sujets-là : le transfert des compétences régaliennes à la Nouvelle-Calédonie ; la double nationalité, la reconnaissance internationale.
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On a toujours dit que toute forme de projet, qu’il soit l’indépendance, l’indépendance-association ou une trajectoire vers toute forme d’indépendance, ne serait pas acceptée de notre part. Manuel Valls, est arrivé avec ça au dernier moment. Il a sorti ce lapin du chapeau, donc on ne pouvait pas être d’accord avec ça.
Déjà parce que ce n’est pas ce que les Calédoniens ont choisi, mais aussi parce que l’on n’avait pas travaillé dessus. C’est ce qui a cassé tout espoir d’accord. Manuel Valls est parti en échappée tout seul sur son vélo avec cette indépendance-association. Le peloton indépendantiste n’avait qu’à se ranger derrière dans la roue. Et donc ils n’ont pas pu évoluer sur leurs positions puisqu’ils avaient le soutien du ministre d’État.
Justement, vous avez qualifié Manuel Valls de meilleur allié des indépendantistes. Mais en acceptant l’indépendance-association au lieu de la pleine souveraineté, ne pensez-vous pas que le FLNKS a, lui, fait un pas en avant ?
Non, parce qu’au-delà des discours de Daniel Goa, Emmanuel Tjibaou a lui une position plus modérée. On l’a senti en tant que président de l’Union calédonienne. Mais pour nous, l’indépendance-association, ça ne va pas. Pourquoi je le dis ? Parce qu’en fait, on peut s’associer un jour et se désassocier le lendemain.
Il faut que je l’explique aux Calédoniens : une fois que vous avez transféré les compétences régaliennes à la Nouvelle-Calédonie, c’est-à-dire que la Calédonie est compétente en matière de défense, de monnaie, de justice, de police et de relations internationales, quand bien même vous les déléguez derrière à l’État français, ce que vous avez délégué, vous pouvez le reprendre. Et aucun artifice juridique ne pourra empêcher ça. C’est-à-dire que si demain, il y a un président du gouvernement indépendantiste, avec un soutien du Congrès indépendantiste, et que c’est la branche la plus radicale qui gouverne, qu’est-ce qui empêcherait ce président, avec le soutien du Congrès, d’arrêter de déléguer les compétences régaliennes à l’État. Et que ferait l’État face à ça ? Il ne dirait rien et on serait dans une indépendance totale.
Donc pour vous, l’indépendance-association est une première étape vers la pleine souveraineté ?
Non, c’est l’indépendance, mais déguisée. C’est une indépendance qu’on essaye de faire passer avec des artifices juridiques pour rassurer les non-indépendantistes.
Ce conclave a vraiment été marqué par un combat politique de fond entre Manuel Valls et les non-indépendantistes. Finalement, avec les indépendantistes, il n’y a pas eu d’accrochages, parce qu’on connaît leur position et ils connaissent les nôtres. On a débattu, mais c’est resté cordial. Et je dirais même que les moments un peu off ont permis de tisser des relations humaines avec les indépendantistes plutôt positives. C’est avec Manuel Valls que la situation s’est dégradée. Je pense qu’on arrive au point de rupture, rupture de confiance et peut-être même rupture de travail. Mais avec les indépendantistes, la relation ne s’est pas dégradée. Au contraire. C’est la note un peu positive de ce conclave.
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Pendant ce conclave, vous avez défendu un fédéralisme interne qui visiblement a été rejeté par le ministre, qui l’a qualifié de projet de partition de la Nouvelle-Calédonie. Quelle est votre analyse ?
Notre projet de renforcement des provinces a toujours été clair. Il s’agit d’augmenter les compétences des provinces, parce qu’on fait le constat que les accords de Matignon avaient privilégié les provinces, donc la répartition du pouvoir entre indépendantistes et non-indépendantistes de manière à asseoir les deux légitimités, ce qui avait permis une séquence de paix. Et c’est l’accord de Nouméa, en voulant tout centraliser, tout mélanger, qui a un peu déstabilisé les choses. Donc nous, on en est pour un retour à l’esprit des accords de Matignon.
Je rappelle d’ailleurs que la création des provinces est une demande des indépendantistes en 1988, justement pour la répartition du pouvoir entre les uns et les autres. Donc on ne peut pas dire, quand les indépendantistes demandent des provinces, que c’est génial car c’est de la décentralisation et du rééquilibrage et quand les non-indépendantistes demandent exactement la même chose, c’est soit l’apartheid, soit la partition. C’est pour ça que le discours de Manuel Valls est très politique. Il nous oppose et il essaie de nous faire porter la responsabilité de l’échec. On a un ministre qui est, pour le coup, sorti de son impartialité.
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Sans accord, les provinciales devront se tenir d’ici novembre dans le cadre juridique actuel ce qui implique, vraisemblablement, un corps électoral gelé, sujet sur lequel vous êtes complètement opposé…
Je ne vois pas pourquoi il y a des Calédoniens qui seraient nés là et qui n’auraient pas le droit de vote. Je ne vois pas pourquoi il y a des Calédoniens qui seraient là depuis plus de 20 ans, qui paieraient leurs impôts et qui travailleraient ici mais qui n’auraient pas le droit de vote. C’est une question de pure démocratie.
"Le dégel du corps électoral est aussi devenu un combat contre la violence"
Et aujourd’hui, c’est aussi devenu un combat contre la violence. La question du dégel dépasse le dégel. C’est-à-dire que si on ne dégèle pas le corps électoral, ça voudrait dire que le 13 mai, et donc la violence, est supérieur en termes de normes dans notre contrat social au résultat démocratique ou à un État de droit. La question de l’ouverture du corps électoral reste donc centrale.
Vous avez d’ailleurs dit vouloir utiliser tous les moyens juridiques et parlementaires pour faire évoluer ce texte. C’est-à-dire ?
On va regarder ce qu’il est possible juridiquement de faire avec une loi organique et si des recours sont nécessaires. Mais compte tenu de la bonne relation qu’on a tissée avec certains responsables indépendantistes modérés lors de ce conclave, peut-être peut-on avoir une discussion aussi là-dessus avant les élections provinciales ? On ne doit pas fermer la porte à des discussions qu’on aurait entre nous sans Manuel Valls. Pour ne rien vous cacher, le corps électoral était un des sujets les moins clivants lors des négociations
Si je hiérarchise, pour essayer de dégeler le corps électoral, la première des solutions serait donc de discuter avec les indépendantistes, sans l’État, pour essayer de voir ce qu’il est possible de faire. La deuxième chose, si ça ne marche pas, c’est de mener le combat politique auprès de l’État, auprès d’Emmanuel Macron, auprès du gouvernement, auprès du parlement. La troisième chose, si ça ne marche toujours pas, c’est de mener un combat juridique auprès du Conseil d’État et de la Cour européenne des droits de l’homme. Je rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme avait considéré que le corps électoral glissant ne pouvait être que transitoire.
Aujourd’hui, rien ne justifie le gel du corps électoral. La seule réponse donnée par Manuel Valls, c’est de dire qu’il faut continuer avec le gel du corps électoral parce qu’il y a eu le 13 mai…
En essayant d’ouvrir le corps électoral, ne craignez-vous pas de raviver les tensions et les violences qu’on a connues en 2024 ?
Je pense que quand on pose cette question, on a déjà perdu car notre société est déjà en déliquescence. C’est-à-dire que quand on se dit " est-ce que si je fais ça, qui est quelque chose de fondamentalement juste, est-ce que j’ai peur de la violence ? ", on est déjà otage de quelque chose. À partir de là, il n’y a plus d’État de droit, il n’y a plus de normes, il n’y a plus de justice, il n’y a plus de règles. À ce moment-là, c’est la loi de la jungle.
Vous appelez à l’unité des partisans de la France en vue des prochaines élections provinciales. Y parviendrez-vous ?
On ne peut pas, à ce moment-là de l’histoire, jouer perso. Qu’on ait une discussion entre les uns et les autres pour essayer de faire converger les points de vue, oui. Est-ce qu’on peut se permettre d’envoyer des multitudes de listes non-indépendantistes ? Non.
On est plus que jamais en résistance face à la volonté de ne pas respecter le choix des Calédoniens
Je crois qu’il faut être très vigilant sur la réalité politique calédonienne aujourd’hui. Nous sommes dans une situation où nous avons un État qui est faible. Nous avons un ministre d’État qui fait vivre le sujet d’indépendance-association d’Edgar Pisani et qui vit bien dans les dorures parisiennes. On est plus que jamais en résistance face à la volonté de ne pas respecter le choix des Calédoniens de garder la Calédonie française et de ne pas respecter l’État de droit. Face à un tel danger, l’union est fondamentale.
Si ces élections provinciales se déroulent dans un corps électoral gelé que vous jugez antidémocratique, reconnaîtrez-vous les résultats du scrutin ?
Non. On a dit qu’on ferait des recours. Comment reconnaître un résultat alors qu’on empêche des gens de voter ? Je rappelle qu’il y a des Calédoniens nés ici, qui ne sont peut-être jamais sortis de leur île et qui ne peuvent pas voter. Il y a un moment où il faut dire stop. On ne peut pas accepter l’inacceptable parce que sinon ça devient la norme et à ce moment-là on dérive vers une république bananière.
Provinciales en 2025, municipales en 2026, présidentielle en 2027… La marge de manœuvre pour trouver un éventuel accord semble se réduire. Sans accord avant les présidentielles, la Calédonie peut-elle tenir, notamment sur le plan économique ?
Quelle est la traduction d’un accord politique ? C’est un changement de statut de la Nouvelle-Calédonie. C’est-à-dire qu’on change nos institutions, on change notre relation à la France, plus ou moins, on change les compétences entre les uns et les autres, etc. S’il n’y a pas d’accord, ça veut dire qu’il n’y a pas de changement de statut. On reste dans le statut actuel qu’on connaît depuis 1998 avec un système qui fonctionne. Donc s’il n’y a pas d’accord, ce n’est pas le saut dans le vide, il y a une forme de stabilité.
Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’il y a des élections que ça empêche les Calédoniens eux-mêmes de se débarrasser de cette pollution nationale pour essayer de bâtir quelque chose au niveau local. Compte tenu de la dynamique de négociations et d’échanges, je pense que c’est quelque chose qu’il faut essayer aussi de préserver. Nous, on est en rupture avec Manuel Valls, pas avec les indépendantistes. Si demain, Monsieur Tjibaou, Monsieur Djaïwé, qui sont les chefs de délégation de l’UC-FLNKS et de l’Uni, nous contactent pour qu’on fasse un point, on sera là.
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