- Propos recueillis par Anthony Tejero | Crée le 14.02.2025 à 05h00 | Mis à jour le 14.02.2025 à 05h00ImprimerEntretien avec Daniel Houmbouy, directeur général d’Aircal. Photo Anthony TejeroSecouée par une crise profonde, liée à l'effondrement du trafic depuis le 13 mai, Air Calédonie a dû supprimer 155 emplois l'an passé et a réduit d'un tiers son programme de vols pour "survivre". A la demande du gouvernement, la compagnie planche désormais sur un rapprochement avec Aircalin où "tous les scenarios sont envisagés". Dans cette perspective, les avions devraient déménager, courant juillet, de l'aérodrome de Magenta vers l'aéroport de La Tontouta, qui accueillerait alors l'ensemble des vols internationaux et domestiques. Entretien avec Daniel Houmbouy, directeur général d'Aircal.
Depuis plusieurs mois, un rapprochement, sous la forme d’un partenariat ou d’une fusion entre Aircalin et Aircal est à l’étude. Où en est ce dossier ?
C’est une commande de l’actionnaire qu’on a en commun, la Nouvelle-Calédonie, qui nous a demandés dans quelle mesure un rapprochement voire une fusion entre les deux compagnies pouvait générer des économies. Quels gains en tirer en termes de recettes, de développement du tourisme et pour le secteur d’une manière générale ?
Il y a un intérêt manifeste des deux compagnies pour la démarche. Nos deux compagnies ont donc mis en place un groupe de travail pour identifier ces pistes de rapprochement. On n’est pas encore à un stade où ces économies ont été quantifiées, mais on a déjà identifié des possibilités de rapprochement fort et de mutualisation de services et de moyens.
Aujourd’hui, on est dans la démarche de définir quels peuvent être les différents scénarios de rapprochement. Tout est envisagé.
C’est-à-dire ?
On a des pistes de mutualisation, de synergie et on a aussi des scénarios de rapprochement qui peuvent aboutir à une coentreprise, avec une seule entité juridique. On peut imaginer assez facilement avoir une maintenance en commun avec un atelier en commun. Cela peut concerner aussi la formation des salariés, avec un personnel navigant qui passe d’une compagnie à l’autre par exemple. Aujourd’hui, ce qui fonctionne déjà c’est une collaboration plus importante sur la partie commerciale.
Justement, les rotations avec le Vanuatu, opérées depuis octobre par Aircal au lieu d’Aircalin, sont-elles une concrétisation de ce partenariat ?
C’est en effet une émanation de ce rapprochement, qui s’est faite avant même la demande de notre actionnaire. Cela se traduit par la signature d'un code partagé. La très grande majorité des billets que l’on vend sont achetés via la plateforme en ligne d’Aircalin.
Quel est l’avantage pour Air-Calédonie de se positionner sur ce marché régional depuis le placement en liquidation judiciaire d’Air Vanuatu ?
Ce nouveau trafic est un véritable relais de croissance pour nous. Nos ATR sont calibrés pour ce genre de destination. On est à 1h20 de vol du Vanuatu, ce n’est pas beaucoup plus loin que les îles. Comme n’y a plus personne sur cette ligne et qu’il y avait un marché à prendre, les risques étaient plutôt maîtrisés.
On compte inscrire dans la durée la desserte du Vanuatu et rajouter des fréquences
Aujourd’hui, on opère deux fréquences hebdomadaires au départ de Tontouta et depuis le lancement, ça ne désemplit pas. C’est donc une ligne très intéressante pour notre compagnie qui est à la peine aujourd’hui. Elle améliore nos recettes tout en optimisant la productivité de notre flotte.
On verra de quoi l’avenir est fait, mais on peut imaginer ce projet de desserte du Vanuatu à long terme. On compte s’inscrire dans la durée, et en fonction de l’évolution du marché, éventuellement rajouter des fréquences, voire desservir d’autres destinations comme Santo où il y a de la demande.
Il serait question d’un déménagement d’Aircal de Magenta vers Tontouta très prochainement. Qu’en est-il ?
Il s’agit en effet d’un projet porté par la Nouvelle-Calédonie, qui consiste à transférer l’aviation commerciale de Magenta vers Tontouta, ce qui répond à un enjeu économique et financier important pour le gouvernement qui supporte les coûts d’exploitation de l’aérodrome de Magenta. Ce transfert d’Aircal à Tontouta est prévu au mois de juillet. Cela concerne l’aviation commerciale en général et donc également les hélicoptères, ainsi qu’Air Alizé. Donc dès juillet, tous ces vols partiraient de Tontouta.
Nos usagers des îles ont déjà manifesté leurs interrogations, voire leur réticence à aller à Tontouta.
Pour nous, il y a un intérêt parce que la plateforme aéroportuaire de Tontouta est une plateforme moderne, avec des installations relativement récentes et donc des conditions d’exploitation bien meilleures qu’à Magenta, connu pour avoir une piste difficile, c’est-à-dire exposée au vent, relativement courte et un peu enclavée. Les conséquences, c’est qu’on a des restrictions en termes d’emport passagers ou d’emport bagages en fonction des conditions météo. Il est ainsi déjà arrivé que des gens doivent débarquer des bagages parce qu’on ne peut pas décoller. Un problème qu’on n’aura pas à Tontouta.
Ne craignez-vous pas que ce transfert suscite l’incompréhension, si ce n’est la colère de certains usagers habitués à partir ou arriver directement à Nouméa ?
C’est un choix difficile à faire. Nos usagers des îles nous ont déjà manifesté leurs interrogations, voire leur réticence à aller à Tontouta. Ce que je peux en dire, c’est qu’à Tontouta, il y a des services qu’on n’a pas à Magenta pour les passagers. Cela devrait être un gain en termes d’accueil sur la plateforme avec des commerces, avec de la restauration, avec un parking couvert qui est en revanche payant, mais sécurisé.
Pour autant, cela implique un long trajet et des coûts supplémentaires depuis Nouméa…
La principale contrainte pour les passagers, c’est en effet de rallier Tontouta à Nouméa. Je pense qu’en dehors de cette problématique, il y a un gain pour les passagers d’arriver et de partir au départ de Tontouta.
Au-delà des économies, ce transfert est-il plutôt pensé pour les touristes internationaux qui voudraient directement se rendre sur les îles depuis Tontouta ?
La rupture qu’il y a entre Tontouta et Magenta pour le passager international est en effet une contrainte. On a des demandes de pouvoir faire un vol international et d’aller ensuite directement vers les îles.
Ce qui s’est déjà fait entre Tontouta et l’île des Pins…
On l’a déjà fait avec des professionnels du tourisme, des agences de voyages australiennes notamment, qui étaient en demande. Donc, en effet, Tontouta et la proximité avec les vols internationaux pourraient permettre de faire des connexions. C’est un vrai atout pour le tourisme, mais pas seulement. On peut imaginer aussi des gens résidant sur les îles pouvoir retourner chez eux sans devoir compter un séjour à Nouméa et reprendre un vol le lendemain, au départ de Magenta.
"155 emplois ont été supprimés"
155 postes sur 377 ont été supprimés chez Aircal l'an dernier.Depuis le 13 mai, la compagnie connaît une crise profonde. Vous avez annoncé en juillet dernier un plan social de grande ampleur avec, un tiers des effectifs en moins. Où en est cette procédure ?
Je vais rappeler le contexte : il y avait un ensemble de mesures qui étaient prises pour éviter la cessation de paiements qui était imminente. La plus remarquable de ces mesures était la réduction de la masse salariale. L’objectif, c’était de la baisser de 50 %, avec un peu plus d’un tiers du personnel impacté par des suppressions de postes. Il était évident qu’un effort devait être fait face à la réduction annoncée du chiffre d’affaires avec l’effondrement de notre trafic.
Aujourd’hui, on est à 44 % de réduction de la masse salariale et à 155 emplois supprimés sur un effectif initial de 377 personnes. 222 salariés restent donc dans la compagnie. Sur cet effectif, 105 se sont vus passer à un temps de travail réduit. Les plus impactés étant les opérationnels : les équipes au sol, dans les escales, etc.
Ces 155 personnes ont dont été licenciées ?
Il y a eu plusieurs mesures d’accompagnement. D’abord, on a fait appel à un plan de départs volontaires, avec une petite bonification qui a concerné près de la moitié des personnes touchées. Et ensuite, on a lancé le plan social. Il y a eu aussi des démissions. Toute cette phase s’est terminée au mois de décembre.
Quelques semaines après le début des émeutes, vous misiez sur une baisse du trafic de 35 % pour l’année 2024 avec un manque à gagner de 1,7 milliard de francs. Qu’en est-il ?
Aujourd’hui, on est plutôt à un manque à gagner d’1,9 milliard pour l’année 2024 et le trafic a été bien inférieur à nos estimations. Après les émeutes, on misait sur 300 000 passagers annuels contre 440 000 initialement attendus. Finalement, on a enregistré seulement 265 000 passagers en 2024.
Quelles sont les raisons de cette reprise si faible ?
Déjà, le tourisme est quasiment arrêté. L’international, bien évidemment, mais aussi le tourisme local. À la reprise, en juin, nous avions mis un programme de vol très réduit, c’est-à-dire un vol par destination, par escale, par jour, qu’on ne remplissait pas. Très vite, on a adapté le programme par rapport à la demande, on a renforcé le nombre de vols vers Lifou ou Maré. Mais ce n’est pas le cas de destinations comme l’île des Pins, et dans une moindre mesure Ouvéa, où le trafic est davantage porté par la clientèle touristique que l’on n’a jamais retrouvée. Pour l’île des Pins, cela représente 80 % de notre trafic et 60 % à Ouvéa.
Nous avons baissé de 37 % le trafic global en 2024
Justement, le programme de vols a nettement été revu à la baisse depuis juin. Quelle est l’ampleur de cette réduction ?
De façon générale, nous avons réduit de 37 % le trafic global en 2024, sachant qu’on a eu un arrêt total des vols entre le 13 mai et le 5 juin, et une reprise progressive à partir du 5 juin. En ce qui concerne l’île des Pins, cette baisse est même de 43 % sur l’année.
Votre stratégie de " survie " comprenait également la demande au gouvernement d’une subvention de 600 millions de francs. Avez-vous reçu cet argent ?
En plus de la réduction de la masse salariale, nous devions avoir le soutien des actionnaires, composés à 53 % par la Nouvelle-Calédonie, puis la province des Îles à hauteur de 25 % et par le Sud et le Nord. Mais c’est essentiellement le gouvernement qui finance Aircal.
La Nouvelle-Calédonie a totalisé 1 milliard de subventions sur 2024. Comme on avait déjà un plan de redressement de la compagnie, l’actionnaire s’était engagé à hauteur de 525 millions au budget 2024, avant même les émeutes. Cela a donc ensuite été complété par une subvention complémentaire d’environ 500 millions de francs.
Votre stratégie comprend également la location d’un de vos avions à Air Tahiti. Quel est le but ?
L’avion a été mis en location à Air Tahiti depuis le mois d’octobre et on devrait le récupérer, au plus tôt, au mois de septembre prochain. L’objectif est de soutenir la trésorerie de la compagnie puisqu’aujourd’hui, les revenus de cette location couvrent le remboursement des emprunts contractés lors de l’achat de cet avion, qui se compte encore en centaines de millions par an.
Cette stratégie est-elle le signe d’un rapprochement avec Air Tahiti ?
La location d’avion s’inscrit dans le cadre d’un partenariat plus large que l’on a avec Air Tahiti. Il s’agit de leur mettre à disposition un avion dont ils ont besoin, ainsi que des pièces détachées et de la maintenance pour cet avion.
On pourrait avoir un partage de flotte avec Air Tahiti
On échange avec Air Tahiti pour pouvoir faire évoluer ce partenariat pour résoudre certains de nos problèmes. Comme on a prévu une location longue durée de cet ATR, on pourrait imaginer instaurer une planification de cette mise à disposition des appareils dans les deux sens.
C’est-à-dire ?
Au lieu de céder l’avion pour une année continue à Air Tahiti, on pourrait très bien imaginer que lors des périodes de forte affluence en Nouvelle-Calédonie, on fasse revenir notre avion ou alors qu’un avion d’Air Tahiti vienne temporairement compléter notre flotte en fonction des besoins (notamment en cas de maintenance d’autres appareils comme c’est le cas actuellement à Magenta). Et inversement, puisqu’il y a un décalage dans la saisonnalité entre la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie. On pourrait ainsi avoir un partage de flotte et donc une certaine rationalisation.
"On devrait retrouver un trafic normal à l'horizon 2028-2029"
Daniel Houmbouy, directeur général d'Aircal depuis 2022, envisage un retour à la normale dans quatre ou cinq ans.Pour 2025, quelles sont vos perspectives de reprise ? Et à quel horizon espérez-vous un retour à la normale, c'est-à-dire au trafic de 2023 ?
Selon nos estimations et celles des experts, la reprise du trafic sera moins soutenue que ce qu'on a pu connaître post-Covid. On est optimiste, tout en étant raisonnable. On mise ainsi sur une augmentation de trafic de l'ordre 10 à 12% pour l'année 2025, ce qui nous ferait passer à 295 000 passagers. En revanche, on devrait trouver un trafic équivalent à 2023, plutôt au l'horizon 2028-2029.
Ce sont des perspectives assez pessimistes…
Non, c'est plutôt dans la moyenne de la tendance. On échange à ce sujet aussi avec Aircalin, par rapport à leurs perspectives de reprise, notamment du tourisme. Donc cette donnée, qui fait consensus au niveau des experts, est très réaliste.
D'autres suppressions de postes sont-elles envisageables ?
La baisse de 50% de la masse salariale, avec cet objectif de maîtrise des charges, vise vraiment à retrouver de la rentabilité. Mais il n'est pas question aujourd'hui de supprimer de nouveaux postes et de faire un second plan social. Pour 2025, l'accent va être mis sur la progression de nos recettes.
Aujourd'hui, l'organisation que l'on a est optimale pour opérer un programme de vols réduit. Dès lors que le trafic va augmenter, que la demande va augmenter, on adaptera ce programme de vols, il faudra renforcer les équipes. Cela commencera par passer de nouveau à plein-temps le personnel qui est en temps partiel. Ensuite, on devra procéder à des recrutements pour accompagner cette montée en charge.
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