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    Nouvelle Calédonie
  • Anne-Claire Pophillat | Crée le 17.05.2025 à 05h00 | Mis à jour le 19.05.2025 à 15h30
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    Les commerces Aléa, Confort du Logis, Furusato et Korail Apogoti, incendiés, pillés et saccagés pendant les émeutes de mai 2024, ont rouvert leurs portes grâce à la ténacité de leur gérant. Photos A.-C.P.
    Incendiées, saccagées, pillées. Nombreuses sont les enseignes, d’alimentation, d’habillement, de mobilier, etc., qui ont souffert des émeutes. Les chefs de ces entreprises, souvent par la seule force de leur volonté, se sont battus pour les rouvrir, dans un contexte économique encore très fragile. Dans ce sixième volet de notre série consacrée à la situation en Nouvelle-Calédonie un après les émeutes, ils témoignent de leur vécu, qui a parfois été un parcours "du combattant", sans pouvoir "se projeter", mais toujours guidés par l’envie de se relever et de continuer.

    Anthony Lavergne, gérant de Confort du Logis et Aléa : "J’ai toujours envie d’y croire"


    Anthony Lavergne a rouvert les deux enseignes, Aléa et Confort du Logis au même endroit, en novembre, toujours au 4e Km, dans l’ancien dock où était entreposé le stock. Photo A.-C.P.

    Les deux enseignes d’ameublement n’ont pas résisté aux émeutes, l’année dernière. Aléa, créé par Anthony Lavergne en 2010, et Confort du Logis, ouvert il y a plus de 70 ans par son beau-père et installé rue Iekawé, au 4e Km il y a près d’un demi-siècle. L’histoire de famille aurait pu s’arrêter là. "Ça a été compliqué, témoigne Anthony Lavergne. Au début, on était tous coincés chez nous, je n’ai même pas pu venir constater l’étendue des dégâts." Pour autant, le gérant n’est pas du genre à se laisser abattre. Sa nature "optimiste" a rapidement repris le dessus. "Ok, ça a brûlé, ce qui est arrivé est arrivé. Maintenant, qu’est-ce qu’on fait de la situation ainsi créée ?" Sa première pensée est pour le personnel. Les deux enseignes emploient 16 salariés. Puis, aux fournisseurs, qu’il faut payer. Et si les deux magasins ont été incendiés, le dock, situé derrière, sur la rue Chalier, est toujours debout. Que faire du stock sans boutique pour le vendre ? Anthony Lavergne doit aussi gérer les commandes en attente dans l’Hexagone et les deux conteneurs de marchandise en route pour la Nouvelle-Calédonie. Or, il a tout perdu. Papiers, disques durs, documents et archives ont brûlé. Le responsable s’accroche. "Mettre les mains dans le cambouis permet de ne pas broyer du noir et de ne pas désespérer."

    Réduction "drastique" des marges

    Une fois ces affaires réglées, le chef d’entreprise réfléchit à la suite et commence à regarder les locaux disponibles, avant de décider d’utiliser le dock. Les deux enseignes y sont regroupées dans un premier temps. Le changement n’est pas négligeable. La surface de vente passe de 3 000 m2 à 500 m2. Le gérant se débrouille seul. Il n’a presque rien reçu des assurances. Seulement un acompte qui représente environ 10 % de la somme qu’il attend. De quoi "financer la déconstruction des bâtiments" rue Iekawé, qui s’effondraient. Une fois l’espace aménagé, l’ouverture est programmée le 4 novembre, presque six mois après les émeutes. Sur les 16 employés, 11 sont toujours là. Trois CDD n’ont pas été renouvelés et deux salariés sont partis pour l’Hexagone. Parmi ceux qui restent, certains ont accepté de diminuer leur temps de travail. "Ça et le chômage partiel nous permettent de tenir. J’ai pu garder tout le monde et j’en suis très content." Autre motif de satisfaction, le jour J, les clients sont au rendez-vous. "Cela s’est mieux passé que ce que j’espérais. Les gens sont venus aussi pour nous soutenir." L’entrepreneur a adapté l’activité, en faisant le choix de réduire "drastiquement" les marges. "Les prix de vente ont baissé de 30 %."

    Construire un projet de société

    Mais, la situation ne pourra pas durer comme ça très longtemps, estime Anthony Lavergne. "La société ne gagne pas d’argent, je n’ai pas pris de salaire pendant six mois." L’objectif est donc de rouvrir définitivement. Quid de l’instabilité ? "On ne sait toujours pas ce qu’il va se passer dans six mois, un an." Pour que ça reparte, le chef d’entreprise considère que le monde économique ne peut pas tout faire. "Il faut que le reste suive, la confiance, la politique, la sécurité. Et ça, ce n’est pas notre boulot." Et plaide pour des décisions économiques pertinentes. "On ne peut pas à la fois baisser les prix et augmenter les impôts." Si Anthony Lavergne craint que "le plus dur soit devant nous", mentionnant notamment la fin du chômage partiel, le gérant ne baisse pas les bras. "J’ai toujours envie d’y croire, mais il faut que la société, l’État, le gouvernement et les partis politiques nous donnent de vraies perspectives. Construisons ensemble un projet de société pour le pays."

    Jamie Tomiyama, cogérante de Furusato : "Ça fait vraiment plaisir de revoir tout le monde"


    L’équipe presque au complet de Furusato dans le nouvel espace de vente, rue du 18 Juin, et qui représente le mont Fuji, motif choisi par le chef Noboru Tomiyama (au centre), qui travaille avec sa femme Jocelyn et sa fille, Jamie (à sa droite). Photo A.-C.P.

    Dans l’adversité, la famille Tomiyama fait bloc. Cela a été le cas une première fois, en 2020. Le restaurant que Jocelyn et Noboru Tomiyama – tous deux venus en Nouvelle-Calédonie travailler dans des restaurants japonais, elle des Philippines et lui du Japon, dans les années 1980 – ont ouvert ensemble au Méridien en 1995, le Shogun, est contraint de fermer ses portes, l’hôtel étant réquisitionné en raison du Covid. Le couple ne baisse pas les bras et relance son activité sous une autre forme. La même cuisine, mais cette fois-ci à emporter. Furusato voit le jour en juillet 2021, en face de l’OPT Magenta, au 12, rue du 18 Juin. Les clients, fidèles, les suivent. Et la réputation de la qualité de la cuisine du chef, Noboru Tomiyama, leur permet de rebondir. C’était sans compter les émeutes, trois ans plus tard.

    "On était impuissants"

    Les locaux sont saccagés dès les premiers jours de la crise insurrectionnelle, avant d’être brûlés, se rappelle leur fille, Jamie. À 22 ans, ses études universitaires achevées, Jamie Tomiyama fait désormais partie de l’affaire familiale à temps plein et travaille aux côtés de ses parents. "On voyait tout à distance grâce à la caméra. On n’était impuissants, on ne pouvait rien faire. Vivre ça après le Covid, mes parents étaient à bout." D’autant qu’il ne reste plus rien. Tout est parti en fumée. Même le carnet de recettes que Noboru Tomiyama conservait précieusement et qu’il avait eu la bonne idée de prendre en photo quelques semaines auparavant. "Seul lui connaît exactement la composition des sauces. Il ne veut pas tout dévoiler pour garder son secret." Son diplôme de cuisinier non plus n’a pas résisté aux flammes. Ni son premier couteau. Par-dessus tout, les crédits n’avaient pas fini d’être remboursés. "C’était difficile de recommencer à zéro."

    Les clients au rendez-vous

    Après un temps d’hésitation, la volonté et l’amour du pays leur donnent la force de se relever. Jocelyn et Noboru Tomiyama tentent une nouvelle fois l’aventure. "Papa aime trop la Nouvelle-Calédonie. Il ne voulait pas laisser le personnel et ne pas abandonner les clients qui nous ont envoyés pleins de messages de soutien." Cette "dernière chance" est notamment rendue possible grâce à un soutien financier de l’État et de la province Sud. Un nouvel emprunt est cependant nécessaire afin d’aménager le local qu’ils trouvent dans la même rue, seulement quelques numéros plus loin, au 60. "Papa était à fond, il a fait les plans, la décoration." La réouverture, le 5 mai, est attendue par les amateurs de cuisine japonaise. Les commandes affluent. "Ça a été la folie, on ne s’attendait pas à ça. Cela nous a beaucoup touchés. Les clients nous ont félicités et encouragés, ça fait vraiment plaisir de revoir tout le monde. Surtout, mes parents sont contents d’avoir repris, ils ont mis beaucoup d’argent, de temps et d’eux-mêmes dans ce projet."

    Philippe Dinh, gérant de Korail Apogoti : "Ça fait du bien de voir le magasin revivre"


    Lyndsey et Mélissa, employées de Korail Apogoti, ont repris le travail le 14 avril. L’enseigne, gérée par Philippe Dinh (à droite), a rouvert le 8 mai, un an après les émeutes. Photo A.-C.P.

    Quand il arrive à passer les barrages, le 17 mai 2024, Philippe Dinh retrouve son magasin dans un état méconnaissable. Le Korail d’Apogoti, qu’il a ouvert cinq ans plus tôt, en 2019, a été entièrement pillé et saccagé. À la vue de la scène, Philippe Dinh éprouve du "dégoût". "C’est comme si on était rentré chez vous, dans votre intimité, et qu’on vous avait souillé." Un dégoût et une colère qui ne l’ont pas quitté aujourd’hui. Les premiers mois sont fastidieux, les allers-retours avec l’assurance nombreux. Il faut payer les traites, les charges, honorer le remboursement des investissements entrepris pour l’ouverture de l’enseigne, rembourser les fournisseurs… L’entrepreneur est désabusé. "Cela a été très compliqué, les banques sont frileuses. Avec les assurances, elles n’ont pas joué le jeu. C’est ce qui a été le plus dur."

    Difficile moralement

    Ces mois ont représenté un "parcours du combattant". Relancer le supermarché a nécessité "beaucoup d’effort. Moralement, c’est difficile", avoue Philippe Dinh. "Ce n’est pas évident de tout recommencer une deuxième fois." Pour autant, le gérant persévère. Il commence à "retaper le magasin avec les moyens du bord", aider d’amis et de sa famille. Les 15 employés, en chômage partiel, ont repris le 14 avril. Korail a rouvert il y a une semaine, le jeudi 8 mai. "On repart, mais en ayant perdu de l’argent, en devant emprunter pour honorer les indemnités qu’on aurait dû recevoir des assurances et en ayant des dettes à payer aux fournisseurs." En outre, les dépenses ont augmenté, en raison d’un investissement plus important dans la sécurisation des locaux : grille, matériel de sécurité, la présence d’un vigile toute la journée contre la demi-journée auparavant.

    "Les gens sont contents"

    Les habitants du quartier, eux, sont revenus dès le premier jour de la reprise. "L’affluence était là, les gens du coin sont contents de revoir le magasin. Ça fait du bien de le voir revivre." Toutefois, Philippe Dinh le reconnaît. "Le boss", comme l’appellent ses employés, se rend un peu moins en boutique qu’auparavant. Pour le reste, le gérant s’attache à gérer le quotidien. "À chaque jour suffit sa peine", cite-t-il, dans un contexte d’instabilité et d’absence de visibilité. "On ne peut pas voir plus loin, donc je ne me projette plus." Le chef d’entreprise se concentre sur l’essentiel : les enfants, la famille, honorer ses traites. Philippe Dinh et les commerçants de la zone souhaiteraient désormais que l’accès à Apogoti soit rendu plus agréable. Refaire les panneaux, repeindre le pont… "Beaucoup de gens ne sont pas encore revenus. Cela permettrait qu’ils aient moins peur et que ce soit plus accueillant."

    Retour sur une crise sans précédent

    Il y a tout juste un an, la Nouvelle-Calédonie sombrait dans la violence et la destruction. À cette occasion, Les Nouvelles calédoniennes reviennent, dans une série d'articles, sur ce qui a conduit le pays à l'une des pires crises de son histoire, et sur ses conséquences toujours vivaces. Retrouvez un volet, chaque matin, du lundi 12 au dimanche 18 mai. 

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