- Baptiste Gouret | Crée le 15.05.2025 à 05h00 | Mis à jour le 19.05.2025 à 15h30ImprimerÀ l’occasion du 13-Mai, des militants indépendantistes se sont réunis à La Coulée pour commémorer cette date symbolique. Pour Steeve (deuxième en partant de la droite) et Amélie (à droite), la réaction de certains habitants aux blocages des axes, l’an der Photo Baptiste GouretCoupée en deux pendant plusieurs mois, la commune du Mont-Dore a vécu de longues émeutes en 2024, rythmées par des affrontements réguliers entre forces de l’ordre et militants à Saint-Louis. Un an après, le ressentiment est palpable chez une partie des habitants et le fossé entre les communautés semble plus profond que jamais.
Les branchages et cocos calcinés bordent la route qui longe Saint-Louis, derniers témoins d’une nouvelle nuit de frictions entre des jeunes de la tribu et les forces de l’ordre. Dans un virage de la RP1, les lumières bleues d’un Centaure, véhicule blindé de la gendarmerie, scintillent entre deux postes de sécurité. "Les gendarmes sont partout", lâche un habitant de La Coulée, en ce 13-Mai chargé de mémoire. Un an après le déclenchement des émeutes, le Mont-Dore, haut lieu de la contestation indépendantiste, n’a pas tourné la page des violences qui se sont abattues sur l’agglomération en mai 2024.
Quatre morts
Et pour cause : dans la commune, des mois d’affrontements réguliers entre les forces de l’ordre et des habitants de Saint-Louis ont causé la mort de quatre personnes (trois militants indépendantistes et un gendarme) et ont marqué à jamais les esprits. Pas moins de 65 car-jackings ont été enregistrés sur la RP1, avant que la gendarmerie décide d’installer des verrous de part et d’autre de la tribu.
Durant huit mois, le Mont-Dore a été coupé en deux, obligeant les habitants du sud à emprunter des navettes maritimes pour rejoindre Nouméa. Les verrous n’ont été levés qu’en février. "On a vécu l’angoisse, le fait de ne pas avoir de liberté de circulation, de ne pas savoir comment faire en cas d’urgences, c’était invivable", raconte Sylvie Fernandez. Gérante d’une garderie située à La Briqueterie, elle vivait à proximité d’un barrage "d’un kilomètre de long" installé par des militants indépendantistes sur la route qui traverse ce quartier populaire. "Quand on passait, on entendait des choses horribles, mais on n’a jamais voulu rétorquer", souligne la femme de 58 ans, arrivée en Nouvelle-Calédonie avec son mari en 2006, avant de monter sa crèche, cinq ans plus tard.
Un an après les violences, la commune du Mont-Dore, et particulièrement Saint-Louis, est toujours sous haute surveillance des gendarmes. Photo Baptiste GouretUn "quotidien bouleversé" le 13 mai 2024, qui semble n’être jamais vraiment revenu à la normale. "On sent dans les regards, dans les relations, que quelque chose a changé", observe Florent Perrin, président de l’Association citoyen mondorien, qui milite pour davantage de sécurité des habitants du sud du Mont-Dore, notamment dans la traversée de Saint-Louis. "Ça s’est calmé, mais ça ne respire pas la sérénité", confirme Sylvie Sanchez.
"On sait qu’ils se méfient, nous aussi"
Les épisodes de violences de l’an dernier ont exacerbé les tensions entre communautés, qui se déchirent depuis des dizaines d’années autour du "problème Saint-Louis". Si les accusations des militants indépendantistes étaient officiellement dirigées contre l’État français et son intention de passer en force sur la question de dégel du corps électoral, "on s’est sentis visés", note Florent Perrin, évoquant des injures racistes à répétition. "Le problème, pour eux, c’étaient les blancs", affirme ce dernier. "J’ai eu l’impression que c’était moi la fautive dans l’histoire", s’indigne Sylvie Fernandez.
Installé le long de la RP1, à quelques mètres du pont de La Coulée, un groupe de militants indépendantistes s’est réuni pour commémorer le 13-Mai, une date devenue un symbole de leur combat vers la pleine souveraineté.
À La Coulée, le 13 mai 2025. Photo Baptiste GouretS’ils assument "rester sur [leurs] positions", la réaction d’une partie des habitants de la commune leur échappe. "Ils ont été les premiers à prendre les armes, dénonce Steeve. Nous, on a fait que bloquer les routes", précise-t-il, en se désolidarisant des violences commises à Saint-Louis. "C’est comme dans une armée, on fixe un cap, mais parfois il y a des dissidents. Des jeunes qui foutent le bordel, il y en aura toujours." Qu’importent les responsabilités : depuis un an, la crainte s’est installée de part et d’autre. "On sait qu’ils se méfient, mais nous aussi, toujours", lâche Steeve. La notion de vivre-ensemble, "ça fait longtemps qu’elle n’existe plus ici, déjà bien avant le 13-Mai", estime de son côté Amélie.
Ressentiment partagé
À quelques kilomètres, Hélène, habitante de Saint-Louis, agite son drapeau devant les véhicules engagés sur la RP1. "On ne veut pas oublier", lance la femme de 36 ans. Ils ne sont pas plus d’une trentaine, ce 13 mai 2025, à s’être rassemblés pour commémorer la date d’anniversaire des émeutes. "Beaucoup ont préféré rester dans la tribu, parce qu’ils sont toujours endeuillés et très en colère", soupire Hélène.
Sylvie Fernandez, gérante d’une crèche à La Briqueterie, a vécu plusieurs semaines d’angoisse lors des émeutes de mai 2024. Un an après, elle en veut toujours aux militants indépendantistes. Photo Baptiste Gouret"Mais c’est nous qui devrions être en colère, c’est nous les victimes", s’indigne Florent Perrin. Un an après, ce ressentiment partagé semble indépassable. "On ne comprend pas leur idéologie, ni pourquoi on a dû subir tout ça. La confiance a été brisée", regrette Sylvie Fernandez. Elle espérait un acte de contrition de la part des indépendantistes, mais constate "une déresponsabilisation permanente". "Il n’y a toujours aucune remise en question de leur part", reprend Florent Perrin, assez convaincu qu’un accord ne pourra rien y faire. "L’accord de Nouméa était un accord de paix, mais il n’y a jamais eu la paix à Saint-Louis", tance le président d’ACM, fervent défenseur d’un pont reliant Nouméa et le Vallon-Dore, "unique solution au problème de Saint-Louis".
Preuve que les tensions ne sont pas encore complètement retombées, trois escadrons de gendarmerie patrouillent toujours dans la commune. "C’est la seule raison qui fait qu’on se sent en sécurité, affirme Florent Perrin. Mais s’ils partent…"
Retour sur une crise sans précédent
Il y a tout juste un an, la Nouvelle-Calédonie sombrait dans la violence et la destruction. À cette occasion, Les Nouvelles calédoniennes reviennent, dans une série d'articles, sur ce qui a conduit le pays à l'une des pires crises de son histoire, et sur ses conséquences toujours vivaces. Retrouvez un volet, chaque matin, du lundi 12 au dimanche 18 mai.
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