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    Grand Nouméa
  • Anthony Tejero | Crée le 14.05.2025 à 05h00 | Mis à jour le 19.05.2025 à 15h29
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    Jacob Waneux veut redonner de l’espoir et inciter les habitants de Kaméré à échanger et de nouveau vivre tous ensemble. C’est pourquoi il vient de co-fonder l’association Renaissance KMR 5.2. Photo Anthony Tejero
    C’est l’un des quartiers qui a été le plus durement touché par la crise insurrectionnelle. À Kaméré, où la plupart des services et des enseignes ont été détruits, la "galère" est devenue le lot quotidien de bon nombre d’habitants frappés de plein fouet par une précarité grandissante. Et ce, sur fond d’insécurité dans certains secteurs comme à Tindu, où les locataires se sentent "abandonnés". Dans ce contexte qui pousse au repli sur soi, des riverains refusent de s’avouer vaincus et se retroussent les manches pour recréer du lien et redonner vie à cette presqu’île qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Reportage dans ce troisième volet de notre série consacrée aux émeutes, un an après.

    "On veut que tout redevienne comme avant le 13 -Mai. On était bien, notre vie nous plaisait. Aujourd’hui, on a tout perdu." Assises à l’ombre d’un arbre, sacs et cartons de courses posés sur le trottoir, ces habitantes de Logicoop font une pause. Voilà plus d’une demi-heure qu’elles marchent dans la chaleur humide, de retour du magasin le moins loin de leur logement. Comme pour beaucoup d’autres riverains, cette "galère" est désormais leur quotidien. Acheter à manger, retirer de l’argent, chercher son courrier ou gérer les papiers… Toutes ces tâches, a priori anodines, sont devenues un véritable parcours semé d’embûches "usant et énervant" pour les résidents du secteur de Kaméré, l’un des quartiers les plus durement touchés par la crise insurrectionnelle. Pharmacie, centre médical, supermarché, agence OPT… Aucune de ces infrastructures et ces services, incendiés et détruits, n’ont rouvert un an après le déclenchement des émeutes.

    "Maintenant, quand on se croise, on regarde ailleurs"

    Alors pour se donner un peu de courage et tenter de faire contre mauvaise fortune bon cœur, la solidarité s’organise, notamment lorsqu’il n’y a plus assez de pièces pour prendre un "taxi 500". "On part à plusieurs et on achète ce qu’il faut pour tout le monde, car lorsqu’on est avec les enfants, il faut au moins compter deux heures de marche aller-retour depuis Ducos", raconte Dalida, 39 ans, dont le large sourire peine à dissimuler une déception et une colère plus profonde. C’est du gâchis. Qui va vouloir reconstruire maintenant ? Et tous ces jeunes qui ont tout cassé, ils sont où maintenant qu’on a besoin d’eux, surtout pour aider nos vieux ? Pour s’occuper d’eux, pour aller acheter leurs traitements médicaux, etc."


    Les professionnels de santé ont quitté le secteur de Kaméré depuis les incendies et destructions de leurs locaux dès le début des émeutes.  Photo Anthony Tejero

    Un discours auquel opine du chef Cécile, qui a dû quitter sa "vie heureuse" à Boulari, avec son compagnon et ses enfants pour revenir s’installer chez sa mère, à Logicoop. "À 33 ans, je n’avais pas prévu ça… Mais avec tout le bordel qu’il y a eu, j’ai perdu mon travail et on ne parvenait plus à payer notre loyer, confie cette maman, qui constate un net changement de l’ambiance dans ce quartier. Les gens sont devenus très fermés. Avant, on se disait tous bonjour, maintenant, quand on se croise, on regarde ailleurs. Ça peut se comprendre vu tout ce qu’il s’est passé."

    "On se sent abandonnés"

    Une méfiance "palpable" chez Malia*, 60 ans et Rosemay*, 35 ans, deux habitantes de Tindu "où beaucoup d’habitants sont partis et beaucoup de délinquants sont revenus" depuis les émeutes. "Il y a des endroits de nouveau calmes, mais chez nous, ça s’est vraiment détérioré. On se sent abandonnés, racontent ces locataires, qui sortent désormais, de jour comme de nuit, avec "de quoi se défendre", notamment une antenne de voiture, toujours prête à être dégainée du sac. Plusieurs groupes de jeunes se retrouvent dans Tindu quand le soleil se couche. Ils nous volent à manger, les téléphones, etc. On ne rentre jamais tard si on doit sortir, car on ne se sent pas en sécurité. On ne veut plus rester. Ce qu’on a vécu est traumatisant."

    Mais encore faut-il pouvoir trouver un autre logement. Ce qui n’est pas si simple pour ces habitantes qui ont toutes deux perdu leur emploi depuis le 13-Mai. "Avant, on n’avait pas de dette, mais maintenant, on les accumule. Mois après mois, c’est de pire en pire et ça fait bien peur. Mais on essaie de garder espoir en l’avenir et de positiver."


    Pour la moindre course ou tâche administrative, ces habitantes doivent parcourir de longues distances à pied. Une "galère au quotidien" difficile à vivre, mais qui n’enlève en rien leur bonne humeur communicative. Photo Anthony Tejero

    Un état d’esprit que veut également adopter Jacob Waneux, qui a décidé de se retrousser les manches pour "rebâtir" Kaméré et donner un nouveau souffle de vie à ce quartier populaire qui n’est plus que l’ombre de lui-même. "De nombreuses familles sont parties pour vivre dans les squats ne pouvant plus payer de loyer. Et entre les personnes qui sont encore là, il n’y a plus beaucoup d’échanges. Les gens se replient sur eux, notamment à cause de la précarité. C’est tabou de montrer aux autres ses difficultés", analyse ce chef mécanicien de 51 ans, qui vient de créer l’association Renaissance KMR 5.2 pour essayer de "reconstruire le vivre ensemble" tout en tendant la main aux plus démunis. "La méfiance s’est installée entre les différentes communautés. Mais il y a quand même encore une envie d’aller vers l’autre. Je m’accroche à cette idée et notre association propose de faire ce pas en avant, en organisant des événements placés sous le signe de la solidarité pour redonner vie à notre quartier."

    "Offrir des perspectives aux jeunes"

    Une renaissance qui ne peut se faire sans les jeunes, que les bénévoles veulent tenter de (re) prendre en main. "Après les affrontements et les deux morts qu’on a eus ici, il y a toujours de la haine, ou du moins une colère, notamment chez les jeunes, confie Jacob Waneux, loin d’être fataliste. On essaie de discuter avec eux et d’avoir des discours d’apaisement. Aujourd’hui, on voit qu’il y a moins de bagarres qu’avant par exemple. Notre association veut également les suivre et leur offrir des perspectives, des opportunités en les incitant notamment à créer leur propre activité et que ces jeunes deviennent alors des exemples pour les autres."


    Les traces et messages des émeutes sont encore visibles dans tout le quartier comme devant le Super U, pillé et incendié, qui était le seul supermarché de la zone. Photo Anthony Tejero

    Retour sur une crise sans précédent

    Il y a tout juste un an, la Nouvelle-Calédonie sombrait dans la violence et la destruction. À cette occasion, Les Nouvelles calédoniennes reviennent, dans une série d'articles, sur ce qui a conduit le pays à l'une des pires crises de son histoire, et sur ses conséquences toujours vivaces. Retrouvez un volet, chaque matin, du lundi 12 au dimanche 18 mai. 

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