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    Nouvelle Calédonie
  • Anne-Claire Pophillat | Crée le 16.05.2025 à 05h00 | Mis à jour le 19.05.2025 à 15h32
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    Face à une situation profondément morose, "il faut travailler sur des réponses et des dispositifs qui facilitent la relance pour faire en sorte qu'elle arrive", insiste Bertrand Courte, vice-président du Medef. Photo Archives LNC / Baptiste Gouret
    Près de 240 milliards de francs de dégâts, 500 entreprises détruites, 11 000 emplois détruits dans le privé, une chute brutale de la consommation, du tourisme, des transactions immobilières…, sans compter les secteurs déjà en difficulté, comme le nickel et le BTP, qui se retrouvent encore plus affaiblis, ainsi qu’une perte importante de recettes fiscales ayant affectées les budgets des collectivités, alors que les finances publiques étaient déjà dégradées. Les émeutes de mai 2024 ont provoqué un effondrement de l’économie de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce cinquième volet de notre série consacrée aux émeutes, un an après, le point sur la situation économique.

    Le résultat est implacable. Le 7 mai, le Cerom, qui regroupe l’Isee (Institut de la statistique et des études économiques), l’IEOM (Institution d’émission d’Outre-mer) et l’AFD (Agence française de développement), a annoncé une première estimation du PIB de 2024, en chute de 10 à 15 % par rapport à celui de 2023, soit un retour en arrière de dix ans en termes de performances économiques. Seuls quelques indicateurs se relèvent péniblement. "Il y a quelques signes de reprise, mais extrêmement timides. Le moral des chefs d’entreprise, qui a atteint son niveau le plus bas, est légèrement remonté à la fin de l’année, indique Fabrice Dufresne, directeur de l’IEOM. Le crédit à la consommation est également reparti. Mais on vient de très loin. Ce n’est pas tant de la reprise que l’arrêt de la chute. On était au fond et on en sort un peu."

    Un tableau noir

    La situation est plus que jamais préoccupante. Concernant les finances publiques, "on va arriver à un point qui va être difficilement soutenable. La Cafat indique que certains régimes sont sur le point d’être en cessation", indique Élise Desmazures, directrice de l’Isee. "Si on a de moins en moins de cotisations sociales, de fiscalité, etc., cela risque d’être compliqué de relever les finances publiques. On laisse en plus sur le côté les populations les plus en difficulté, parce qu’il y a moins de services publics."

    Car si l’impact de la crise a été en partie amorti par les aides de l’État et la mise en place du chômage partiel "exactions", ce dernier arrive à terme le 30 juin, ce qui devrait renforcer le chômage et affecter la consommation. Même si le gouvernement planche sur des dispositifs d’aides au retour à l’emploi, afin de favoriser la reprise d’activité. Et le tableau est bien noir. D’après les derniers chiffres de l’Isee, le nombre de touristes a baissé de 62 % au premier trimestre par rapport à celui de 2024. Ceux concernant l’immobilier sont encore moins bons, précise Élise Desmazures, "avec - 80 % de transactions immobilières en début d’année". La vente de voitures est au plus bas, "les crédits bancaires aussi, tous les indicateurs montrent que la situation est très grave", ajoute David Guyenne, président de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI).

    Les assurances doivent jouer leur rôle

    Autre point de tension : le paiement des indemnisations par les assurances, qui tarde. Sur 112,7 milliards de francs (945 millions d’euros) déclarés, d’après France assureurs, "environ 45 % des sommes ont été validées", estime David Guyenne. "Il faut que ça aille plus vite." D’autant qu’aujourd'hui, c’est au tour des pertes d’exploitations de devoir être estimées. "Elles ne peuvent être réclamées qu’après la reprise de l’activité et un an après le sinistre. On y est arrivé, il faut payer". La question de la réassurance constitue également un enjeu central. La garantie émeutes ayant sauté, cela peut freiner l’envie de reconstruire, mais aussi l’octroi d’un crédit par la banque. Pire encore : les assurances ne couvrent pas tous les quartiers. "Trop de zones sont exclues, comme Kaméré, Ducos, Apogoti…", liste David Guyenne.

    Les départs du territoire, qui auraient augmenté selon David Guyenne, n'arrange rien. "La CCI annonçait 10 700 départs nets en 2024, il y en aurait eu 12 900 au 31 mars de cette année." Conséquence : "on perd des consommateurs, et ceux qui restent ont réduit leur train de vie", soit parce qu’ils ont perdu leur travail, soit parce qu’ils sont frileux vu les circonstances, ce qui affecte la consommation et les recettes fiscales.

    "Réactiver tout un tissu économique"

    Les obstacles paraissent incommensurables. "On a eu ce moment très fort de sidération totale, au début, quand tout a été détruit, mais la reconstruction n’est pas si simple, car il ne s’agit pas juste d’injecter de l’argent, mais de réactiver tout un tissu économique", pose David Guyenne. Mais comment ? Des outils existent, liste le président de la CCI. Ils reposent pour beaucoup sur des incitations fiscales et l’allègement du coût du travail. "Il faut renforcer la défiscalisation nationale pour la reconstruction des entreprises détruites ; mettre en place une garantie d’État sur les prêts de trésorerie ; défiscaliser les indemnisations des assurances et les aides reçues pendant les émeutes…" David Guyenne plaide aussi pour que les entreprises puissent reporter leurs dettes sociales, fiscales et leurs cotisations, "afin de garder de la trésorerie pour payer les salaires, les fournisseurs et pour passer la période". Il souhaiterait également que ceux qui se relancent jouent le rôle de locomotive, "pour tirer l’économie et créer une dynamique".

    Reste, également, la nécessité d’un "plan de réduction des dépenses publiques" et la forte préoccupation concernant le nickel, frappé depuis plusieurs années par une crise dont il ne se sort pas, en raison notamment du coût de l’énergie. "Il n’y a qu’un investissement de l’État qui peut permettre d’avancer. C’est une des grandes incertitudes alors que cela représente un des piliers forts de l’économie calédonienne."

    L’absence de confiance

    Le constat est partagé. "Les gens sont réticents à réinvestir sans visibilité", insiste Benoît Meunier, président de la Fédération calédonienne du BTP (FCBTP). Ce que n’a pas arrangé l’échec des récentes négociations politiques. Or, la confiance est indispensable à la reprise, note Fabrice Dufresne, directeur de l’IEOM, et un accord politique serait de nature à la favoriser. "C’est un des éléments moteurs. Sans elle, les acteurs économiques, les ménages ou les entreprises, ne vont pas reconsommer ou réinvestir comme avant."

    Certes, "cela retarde un peu la relance, parce que la visibilité politique est un des leviers", souscrit Bertrand Courte, vice-président du Medef, mais cela n’empêche pas d’avancer. 2025 pourrait rester "une année de survie, pointe David Guyenne, mais ça doit être une année pour reconstruire. Il y a matière à avoir un espoir". Cet espoir, Bertrand Courte le porte aussi. "Il faut travailler sur des réponses et des dispositifs qui facilitent la relance pour faire en sorte qu’elle arrive." Et liste les dossiers en attente : pouvoir d’achat, attractivité, réformes fiscales… Les réformes envisagées par le gouvernement dans le cadre de l’accord-cadre signé lundi 12 mai avec les partenaires économiques et sociaux vont donc dans le bon sens.

    L’inquiétude sociale

    Malgré les quelques lueurs positives, les différents acteurs témoignent de leur crainte d’assister à un malaise d’ampleur dans les mois à venir. Benoît Meunier s’inquiète pour les salariés du BTP, souvent formés sur le tas. "Ils vont avoir du mal à trouver autre chose. Cela va engendrer une grave crise sociale." Le chômage est également un des aspects qui soucie Bertrand Courte. "Beaucoup de gens ont perdu leur travail et vont sortir des dispositifs de chômage."

    Steeves Teriitehau, délégué syndical de la Fédé, souscrit. "Il commence à y avoir des tensions, des gens qui ont faim." Le syndicaliste estime que le gouvernement n’a pas pris la mesure de ce qu’il se passe, et que le plan de réformes fiscales "favorise les entreprises au détriment de la consommation. Il faut maintenir un pouvoir d’achat pour éviter les émeutes de la faim". Steeves Teriitehau redoute que 2026 ne soit semblable à 2025. "Il faut se retrousser les manches." Pour éviter de "s’inscrire dans un cercle vicieux duquel il serait difficile de sortir", remarque Élise Desmazures, de l’Isee. Certes, les perspectives sont maigres, et les paramètres dont dépend la relance très nombreux, mais "des chantiers vont se lancer, glisse Bertrand Courte. C’est l’occasion de tout poser sur la table et de tout repenser".

    Le secteur du BTP sombre


    Dans le BTP, "on ne voit pas le bout du tunnel", se désespère Benoît Meunier, président de la FCBTP.

    "Ça ne va pas bien du tout", lâche Benoît Meunier, président de la Fédération calédonienne du bâtiment et des travaux publics, évoquant l’attentisme du privé et les caisses vides des collectivités, attendant le démarrage de la reconstruction des bâtiments publics financée par l’État, qui n’arrive toujours pas. Et il y a du changement. La somme initiale prévue, 24 milliards de francs (200 millions d’euros), se serait transformée en 15 milliards (130 millions d’euros), car des communes ne vont pas forcément tout reconstruire, comme les écoles qui perdaient des élèves avant les émeutes. "Aujourd’hui, affirme Bertrand Courte, vice-président du Medef, 44 dossiers ont été déposés auprès du haut-commissariat, pour un montant global de 5 milliards de francs (42 millions d’euros), et 3,6 milliards (30 millions d’euros) ont été validés. On est loin du compte." Sachant que les chantiers ne pourront être lancés qu’une fois les études réalisées et les appels d’offres sortis, ce qui amène à 2026.

    Une activité historique basse

    "Les entreprises du BTP ont perdu entre 50 et 90 % de leur chiffre d’affaires", et l’indice de consommation du ciment, révélateur de l’état de la filière, connaît son plus bas niveau, poursuit Benoît Meunier. Il était de 45 600 tonnes en 2024 contre 69 000 tonnes en 2023, "qui était déjà une très mauvaise année. C’est du jamais vu depuis 52 ans". Il ne reste que 698 employeurs sur les 900 que comptait le secteur, et le nombre de salariés, de 6 000 avant les émeutes (déjà en baisse), est tombé à 4 210 aujourd’hui. "Il y a encore des licenciements en cours. Les carnets de commandes sont désespérément vides." Une hémorragie. Et le moral a plongé en même temps. "On ne voit pas de lumière au bout du tunnel."

    Retour sur une crise sans précédent

    Il y a tout juste un an, la Nouvelle-Calédonie sombrait dans la violence et la destruction. À cette occasion, Les Nouvelles calédoniennes reviennent, dans une série d'articles, sur ce qui a conduit le pays à l'une des pires crises de son histoire, et sur ses conséquences toujours vivaces. Retrouvez un volet, chaque matin, du lundi 12 au dimanche 18 mai. 

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